Fin août, trois soldats français sont morts en Irak. Ils étaient déployés dans le cadre de l’opération antiterroriste Chammal, luttant contre les combattants de l’État islamique. Décryptage.
Valeurs Actuelles
« Max est à terre. » Les ondes radios s’affolent. Des rafales avec le bruit caractéristique de Kalachnikov retentissent. Les tirs s’intensifient. Ce lundi 28 août, à 200 kilomètres de Bagdad, dans le nord de l’Irak, un groupe de commandos français riposte à une embuscade tendue par des djihadistes de l’État islamique. Le détachement de ces soldats d’élite riposte et entame la reprise de la zone aux côtés de forces spéciales irakiennes.
Pendant près de cinq heures, dans l’immensité du désert d’al-Aïth, le détachement franco-irakien combat au cœur de cette zone contrôlée par les terroristes de Daesh. Un soldat français, le sergent Nicolas Mazier, est tué. Quatre autres sont grièvement blessés. Trois membres du contre-terrorisme irakien sont également touchés.
Le décès du sergent Mazier est le troisième d’un soldat français en Irak en l’espace de quelque jours. L’adjudant Nicolas Latourte et le sergent Baptiste Gauchot ont perdu la vie quelques jours plus tôt, à la suite pour l’un d’un exercice opérationnel et pour l’autre d’un accident de la route.
« La disparition de ces trois soldats nous rappelle l’importance stratégique de l’opération Chammal pour la sécurité de la France, malgré sa relative discrétion médiatique, souligne Cédric Perrin, vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. La France a beaucoup concentré son attention sur le Sahel et sur les troubles politiques de la région. Mais la présence de ce dispositif militaire rappelle aussi que la menace terroriste au Moyen-Orient est toujours une réalité. »
Défendre la sécurité des Français
Un avis partagé par le sergent Rolland G., ancien soldat des forces spéciales, déployé au cours de l’opération Chammal en 2016 et 2017 : « L’État islamique n’est pas mort et attend tapis dans l’ombre d’avoir les capacités militaires, matérielles et même politiques pour se reformer. Ce qui lui permettrait de fomenter une nouvelle vague d’attentats vers l’étranger. La présence française en Irak est légitime, car, contrairement à ce que l’on pourrait penser, Daesh a toujours cette volonté de nuire. »
Selon un rapport des Nations-Unies datant de 2022, l’Irak compterait encore sur son territoire entre 7 000 et 10 000 djihadistes. Ces combattants sont localisés par les états-majors occidentaux dans l’est de l’Irak et le nord de la Syrie. Le 30 avril dernier, l’émir Abou Hussein al-Qourachi, chef présumé de l’organisation terroriste, était neutralisé au cours d’une opération menée par les services secrets turcs, près de la localité de Jindires, dans la région d’Afrine (nord-ouest).
Une opération militaire qui corrobore les propos récemment tenus, en mars, par le général américain Michael Kurilla, chef du commandement militaire américain pour le Moyen-Orient : « Entre ceux qui sont détenus en Syrie et en Irak, c’est une véritable armée de Daesh en détention. S’il est libéré, ce groupe constituerait une grande menace pour la région et au-delà. »
« Le ministère de l’Intérieur et la DGSI continuent de déjouer au quotidien des tentatives d’attentats, rappelle le général Christophe Gomart, ancien directeur du renseignement militaire de 2013 à 2017. Cet ennemi a toujours un pouvoir de nuisance. Notre présence permet de recueillir des informations opérationnelles nécessaires à nos services de renseignements et essentielles dans la protection de notre territoire national. »
Cette présence militaire française en Irak a été faite à la demande de Bagdad. En 2014, l’État islamique est à son apogée. Son califat s’étend de la Libye à la Syrie. Le djihad de Daesh s’exporte en France et provoque une vague inédite d’attentats. Pour combattre cette puissance islamique émergente, la France intervient au sein d’une coalition et lance l’opération Chammal.
« Entre 2014 et 2017, la France est intervenue dans la partie nord de l’Irak pour combattre le califat autoproclamé de Daesh, développe l’État-major des Armées auprès de Valeurs actuelles. La France a motivé l’envoi d’avions, d’artillerie, d’armes et de munitions pour prendre part à cette lutte contre Daesh. Aux côtés des forces irakiennes, la présence de Chammal a permis de reprendre ce territoire. Désormais, nous concentrons nos efforts sur deux piliers : l’appui en soutien et la formation auprès des irakiens. »
La présence française en Irak s’élève au nombre de 600 soldats, assurant donc cette mission de conseil et d’assistance auprès des armées de Bagdad. Depuis 2017, selon le ministère des Armées, ce sont plus de 8 000 volontaires irakiens qui ont bénéficié de cette assistance.
Au contact des soldats irakiens
« Appui » et « formation » sont donc les nouveaux paramètres de cette mission. « La priorité de Chammal est la formation de l’armée irakienne pour qu’elle soit autonome sur son territoire. Cela se traduit par des entraînements au maniement des armes, à des manœuvres de combat urbain et en conseil auprès des états-majors, explique le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue de la défense nationale. Quant à l’appui, il y a une composante aérienne stationnée aux Émirats arabes unis et en Jordanie, qui participe à des frappes ciblées. Les appareils de type Rafale permettent ainsi le recueil de renseignements sur des positions de Daesh. »
Ancien opérateur des forces spéciales de l’armée de Terre, Charles K. a été déployé en 2019 en Irak aux côtés des forces armées locales. Avec son groupe de commandos, il entraînait les soldats irakiens au maniement des mortiers, aux techniques d’interventions et les accompagnait en patrouille, contribuant notamment à la capture d’un chef djihadiste : « Pour les Irakiens, la présence de formateurs français est bénéfique. À notre contact, ils ont pu retourner au combat sans craindre d’être submergés. On les aide à contrôler leur territoire et être en mesure de le défendre. »
Une expérience similaire vécue par Rolland G. : « Cette mission de contre-terrorisme en Irak consiste à combattre les problèmes de sécurité extérieure pour anticiper les problèmes de sécurité intérieure. Notre présence vise à essouffler et disperser cet ennemi pour éviter qu’il se réorganise. Mes frères d’armes ne meurent pas pour rien, car ils s’impliquent directement pour la sécurité de leurs compatriotes. »
L’évolution de la mission a-t-elle eu les résultats escomptés ? Si Daesh a reculé, l’Irak est toujours en proie à des groupuscules djihadistes violents et disposant de matériels. Avec la mort à quelques jours d’intervalle de trois soldats français, beaucoup s’interrogent sur l’utilité de leur sacrifice et la nécessité de leur mission.
Pour le sénateur LR Cédric Perrin, cette présence militaire française est une solution sécuritaire de premier plan mais, « l’Irak doit surtout trouver des issues politiques, sociales et économiques pour se reconstruire. La France apporte des solutions de formation qui sont nécessaires à l’autonomie de ce pays, mais aussi importantes pour sa propre sécurité pour ne pas revivre la vague d’attentats de 2015 ».