L’assassinat de René Moawad, premier président après la guerre civile libanaise il y a 35 ans, a marqué le « premier acte » du coup d’État contre l’accord de Taëf et le projet de transition d’un pays ravagé par la guerre et ses milices vers un État institutionnel. Par la suite, d’Élias Hraoui à Émile Lahoud, le président de la République était pratiquement « désigné » au palais d'Al-Muhajireen à Damas et formellement élu ou prolongé via les urnes. Ce processus ne relevait pas d’une simple « directive syrienne », mais d’un « ordre de mission » émis par Hafez el-Assad, puis par son fils.
Le retrait des troupes syriennes du Liban le 26 avril 2005 n’a pas libéré l’élection présidentielle des ingérences extérieures, la laissant otage des jeux de pouvoir et des urnes manipulées. À peine la Syrie retirée, les forces du « 8 Mars » (ou « Merci la Syrie ») ont tenté de remplacer le représentant syrien au Liban par le Hezbollah. Ce dernier, en comblant le vide laissé par Damas, a alors pris pied dans l’exécutif, gérant directement les leviers du pouvoir.
Le premier scrutin présidentiel après Lahoud, dont le mandat avait été prolongé, s’est tenu le 23 novembre 2007. En jouant la « carte du vide présidentiel », le Hezbollah a empêché les forces du « 14 Mars » de traduire leur majorité parlementaire en une victoire à Baabda, avant de neutraliser leur influence grâce à l’« invasion du 7 mai ». Cette opération armée, menée contre Beyrouth et le Mont-Liban, a coûté la vie à des dizaines de civils et a débouché sur l’accord de Doha, qui a permis l’élection du chef de l’armée, Michel Sleiman.
Le second scrutin présidentiel, marqué par la fin du mandat de Sleiman le 24 mai 2014, a vu le Hezbollah utiliser à nouveau la « carte du vide » pendant deux ans et demi pour imposer son candidat, Michel Aoun. La tentative de Saad Hariri, chef du Courant du Futur, de promouvoir la candidature de Sleiman Frangié en collaboration avec Nabih Berri et Walid Joumblatt a échoué. Isolé, Samir Geagea a alors soutenu Aoun, après avoir conclu avec lui un accord autour des principes souverainistes de la déclaration de Maarab.
Le duo chiite a clairement perçu les messages des émissaires, sous la pression croissante exercée sur lui, que ce soit de sa propre base, frustrée par l’impasse dans la reconstruction et le caractère insuffisant et arbitraire des aides pour les sinistrés, ou encore en raison du nouveau contexte politique qui se dessine au Liban et dans la région.
Nous vivons actuellement le troisième épisode de l’échéance présidentielle depuis la fin du mandat de Michel Aoun, le 30 octobre 2022. Le Hezbollah a une nouvelle fois joué la carte du « vide présidentiel », utilisant des tactiques d’obstruction pour imposer le candidat du « duo chiite », Sleiman Frangié. Avec le soutien de son « frère aîné », le président du Parlement Nabih Berri, le Hezbollah a orchestré l’absence de quorum, refusé d’ouvrir des sessions électorales successives, ou posé des conditions préalables comme la tenue d’un dialogue pour parvenir à un consensus avant tout vote. La dernière séance électorale remonte ainsi au 14 juin 2023.
Aujourd’hui, la région bascule dans une nouvelle ère depuis le 7 octobre, marquant l’effondrement de l’« axe de la résistance », avec :
- La réduction de Hamas à des poches isolées à Gaza et son entrée dans une phase d’effondrement inévitable.
- L’assassinat de Hassan Nasrallah, contraignant le Hezbollah à accepter un cessez-le-feu, renonçant à la doctrine de « l’unité des fronts » et se pliant à un délai de 60 jours supervisé par un général américain, en vue d’appliquer les résolutions 1559, 1680 et 1701 des Nations unies, impliquant le désarmement des factions illégales.
- La chute du régime Assad en Syrie, coupant le principal lien vital de l’axe et isolant davantage le Hezbollah.
- L’intensification des frappes contre les Houthis au Yémen, laissant entrevoir une résolution imminente de ce conflit.
- Les efforts des autorités irakiennes pour stabiliser la situation intérieure et éviter les répercussions de « l’unité des fronts ».
- L’incertitude croissante des relations entre la communauté internationale et l’Iran, alors que l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine pousse Téhéran à chercher un rapprochement avec l’Occident pour alléger les sanctions et résoudre la question nucléaire.
Le Hezbollah prépare déjà sa base à un éventuel revirement, en construisant un narratif de « victoire illusoire », affirmant qu’il aurait imposé Aoun tout en écartant Geagea, qui n’est pas candidat.
Depuis la fin du mandat de Michel Aoun le 30 octobre 2022, le Hezbollah et son allié, le président du Parlement Nabih Berri, ont bloqué le processus présidentiel pour imposer le candidat du « duo chiite », Sleiman Frangié. Cependant, sous la pression locale et internationale, le duo a dû revoir sa stratégie, abandonnant les conditions préalables de Berri, telles qu’un dialogue préalable ou un accord sur un candidat unique, pour finalement convoquer une nouvelle session présidentielle le 9 janvier 2025, après plus d’un an et demi d’impasse.
Le duo chiite a clairement perçu les messages des émissaires, sous la pression croissante exercée sur lui, que ce soit de sa propre base, frustrée par l’impasse dans la reconstruction et le caractère insuffisant et arbitraire des aides pour les sinistrés, ou encore en raison du nouveau contexte politique qui se dessine au Liban et dans la région.
Toutefois, le consensus arabe et international, couplé au soutien parlementaire croissant en faveur du général Joseph Aoun, a placé ce dernier au centre des discussions. Sa candidature correspond aux critères définis par le groupe de contact international, bien qu’un obstacle subsiste : la nécessité d’obtenir 86 voix pour amender la Constitution, en raison de son statut de fonctionnaire de catégorie A.
Alors que l’Arabie saoudite et d’autres acteurs internationaux insistent sur un président capable de relever les défis économiques et politiques, notamment en appliquant les résolutions 1559, 1680 et 1701, et en désarmant les milices illégales, le Hezbollah se retrouve dans une position délicate. Militairement, il doit respecter le cessez-le-feu accepté sous pression internationale, et politiquement, il doit éviter une prolongation du vide présidentiel ou l’élection d’un président inadapté aux exigences de la nouvelle phase.
Dans ce contexte, le Hezbollah semble progressivement abandonner son veto total sur Joseph Aoun. Le 5 janvier 2025, Wafic Safa, haut responsable du parti, a déclaré : « Nous n’avons pas de veto contre le général Aoun, mais notre veto reste ferme contre Samir Geagea, qui incarne un projet de division et de destruction. » Ce positionnement ouvre la voie à un compromis, d’autant plus que les Forces libanaises ont affirmé qu’elles ne bloqueraient pas l’élection d’Aoun si un consensus se forme autour de lui.
Cependant, le Hezbollah prépare déjà sa base à un éventuel revirement, en construisant un narratif de « victoire illusoire », affirmant qu’il aurait imposé Aoun tout en écartant Geagea, qui n’est pas candidat. Son offensive médiatique actuelle contre Geagea semble être un écran de fumée pour masquer un recul stratégique face à une réalité politique et régionale en pleine mutation.