Le budget 2025, au-delà des ratios européens, est-il un enjeu de crédibilité pour les marchés financiers auprès desquels nous empruntons pour faire face au déficit budgétaire français ?
Oui, le budget 2025 est un facteur clé. Au-delà du respect des critères européens, les investisseurs surveillent la soutenabilité des finances publiques à long terme. Une dérive budgétaire ou l'absence d'un plan clair pour redresser les finances publiques peut rapidement rendre les emprunts plus coûteux pour l'État. Les marchés, notamment les investisseurs obligataires, ajustent leurs exigences en fonction de la perception du risque souverain, impactant le coût de la dette. Une perte de confiance se traduit souvent par une augmentation des taux d’intérêt, destinée à compenser le risque accru.
Depuis le 9 juin, avec l’incertitude politique causée par les élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale, les yeux des investisseurs sont rivés sur la France. Ceux-ci ont quelque peu sanctionné le CAC 40 et les obligations françaises. L’indice sous-performe le DAX qui établit régulièrement des records. Quant au spread des taux à dix ans entre l’Allemagne et la France, il est en hausse depuis février 2021. Ce mois-ci, le taux obligataire français à 10 ans a doublé celui de l’Espagne, après avoir déjà dépassé celui du Portugal en juin dernier. Plus inquiétant encore : à 5 ans, le coût de l'obligation française dépasse désormais celui de la Grèce ( !) et de l’Espagne. La France est clairement dans la mauvaise direction, d’autant plus dans un contexte géopolitique et économique délicat.
On attend de nouveaux avis d’agences de notation sur la qualité de la signature française. Quels sont les réels impacts des agences de notation sur le coût du crédit de nos emprunts nationaux ?
Ces agences sont puissantes et influentes, mais également critiquées pour leur position oligopolistique et leur incapacité à anticiper la crise de 2008. Leur notation reflète la capacité de l’Etat, en tant qu’emprunteur sur les marchés financiers, à rembourser sa dette. De ce côté, la France ne risque théoriquement rien tant que l’euro et la planche à billets de la Banque Centrale Européenne (BCE), utilisée tel un pare-feu, existent. La BCE veillera, quoi qu'il arrive, « quoi qu’il en coûte » (comme l’affirmait Mario Draghi, son Président de l’époque, le 26 juillet 2012). En général, les dégradations de note par les agences de notation ont un faible impact car elles sont souvent anticipées (comme pour la note française en 2012 et 2013). Cependant, dans un climat de crise, elles peuvent catalyser des tendances établies, comme lors de la crise de la dette dans l’Eurozone (2010-2012), lorsque la dette grecque était attaquée. Mieux vaut donc ne jamais donner aux spéculateurs le bâton pour se faire battre.
Ces avis sont politiques ou basés objectivement sur les seules questions financières ?
Les agences de notation peuvent prendre des décisions « politiques ». Cela a été le cas lorsque Standard & Poor's et Fitch ont dégradé la note du Royaume Uni lors du Brexit en 2016 (qui ne s’avéra finalement pas néfaste pour la croissance). Je peux me tromper mais, en général, les agences de notation n’ont pas intérêt à handicaper l’économie d’un pays allié, la France, surtout en période de conflit avec la Russie. Si la France était dégradée cet hiver, les taux à 10 ans actuellement à 3,00% pourraient grimper à 3,15% avant de refluer à la baisse. Cette valeur de 3,15% est importante, il serait préférable de ne pas la franchir.
La France est toujours poursuivie pour « déficit excessif » par la Commission de Bruxelles. Que risque-t-on ?
D’après le Conseil européen, la procédure pour déficit excessif vise à faire en sorte que tous les États membres retrouvent une discipline budgétaire et évitent d’enregistrer des déficits excessifs afin de maintenir une dette publique peu élevée ou de réduire un fort endettement pour atteindre un niveau soutenable. Le 26 juillet 2024, la France a été concernée par cette procédure de mauvais élève en même temps que la Roumanie, la Slovaquie, la Pologne, la Hongrie, Malte, la Belgique et l’Italie.
Ce n’est d’ailleurs pas une première, hélas !
Ce n’est pas la première fois , en effet, que la France fait l’objet de cette procédure. Elle y a déjà été soumise entre 2003 et 2007, puis de 2009 à 2017, à la suite de la crise financière de 2008 et de celles de l’euro des années 2010. Cependant, la France n’a jamais écopé de sanctions financières. En effet, pour qu'une amende soit infligée, il ne suffit pas d’être placé en procédure pour déficit excessif. Bruxelles doit aussi démontrer un manque de volonté de la part du Gouvernement à redresser ses finances publiques et ramener son déficit sous la barre des 3% du PIB (il était de 5,5% en 2023 et devrait dépasser les 6% en 2024). Or, comme ses prédécesseurs, le gouvernement Barnier a proposé un plan de réduction budgétaire étalé sur plusieurs années, visant un retour sous les 3% d'ici 2029. Jusque-là, ce type d'initiative a toujours suffi à convaincre Bruxelles. Toutefois, la patience des institutions européennes pourrait finir par atteindre ses limites.
Une amende financière décidée par Bruxelles pourrait alourdir l’addition pour la France… N’est-ce pas une incohérence d’infliger une telle amende alors que le pays est déjà en déficit ?
L’amende dédiée à la procédure pour déficit excessif s’élève à 0,05% du PIB et s’accumule tous les six mois. Pour la France, cela représente environ 2,7 milliards d’euros par an. Étant donné la complexité et la durée de la mise en œuvre de cette procédure, la première échéance éventuelle ne pourrait survenir qu'à partir du début de l'année 2025. Si 2,7 milliards d’euros est un budget conséquent, cela ne représente en réalité qu’une goutte d’eau dans le chaos de nos finances publiques.
L'objectif de cette amende n'est pas de détériorer une situation financière déjà fragile pour un État membre, mais elle revêt avant tout une dimension politique. Pour un gouvernement, il devient extrêmement délicat de justifier auprès des contribuables que leurs impôts servent désormais à payer une amende résultant de son incompétence. Cette situation peut alors provoquer des changements rapides de gouvernements ou des ajustements budgétaires drastiques. Cela étant, malgré les nombreuses procédures pour déficit excessif engagées au fil des années, aucune amende n'a jamais été imposée à un pays de l’Eurozone, souvent en raison de négociations politiques ou de prorogations accordées.
Pourquoi le sujet de l’endettement français occupe tant d’espaces alors qu’aux États-Unis, au Japon, par exemple, le sujet n’est pas au cœur du débat public ? Ni Trump, ni Harris ne l ont évoqué pendant la campagne électorale !
Contrairement aux États-Unis et au Japon, la France ne dispose pas de certains atouts structurels qui atténuent les préoccupations liées à la dette dans ces pays.
Cette question va-t’elle soucier le Président Trump ? Une priorité pour lui ?
Aux États-Unis, le dollar est la monnaie de réserve mondiale, ce qui incite les pays du monde entier à en détenir, soit sous forme de devises, soit sous forme d'obligations américaines. Cela facilite grandement le financement de la dette publique. Par ailleurs, la puissance économique américaine rassure les investisseurs, reléguant ainsi la question de la dette au second plan du débat public. « The dollar is king ».
Et pour le Japon ?
Au Japon, l’endettement est majoritairement détenu par des acteurs nationaux, environ 90%, limitant le risque systémique. Aux États-Unis, c’est environ 80% de la dette qui est détenue par des Américains. En France, en revanche, seulement 50% de la dette est détenue par des investisseurs nationaux, ce qui accroît la vulnérabilité du pays face aux marchés internationaux.
En outre, la France n’a pas le contrôle direct de sa monnaie, étant seulement membre de l’Eurozone. Enfin, la France doit se conformer aux règles budgétaires européennes mentionnées précédemment. Ces contraintes, qui n’existent pas aux États-Unis ou au Japon, renforcent la surveillance de la dette française.
La France est-elle condamnée à ne jamais réaliser des réformes économiques de fond ?
La France n’est pas intrinsèquement condamnée à l’immobilisme mais elle est mal partie. Depuis la fin des années 1970, les politiciens français ont avant tout appliqué des politiques interventionnistes – dites keynésiennes– et continuellement accru le poids de l’État. Ils ont prouvé leur incompétence depuis des décennies. Aujourd’hui, le résultat est un État obèse inefficace, qui, peu importe la couleur politique de son gouvernement, croit que chaque problème se résout à coup de dette ou d’augmentation d’impôts. Malheureusement, derrière chaque euro prêté, il y a un créancier – international la moitié du temps – qui doit être remboursé.
Dans ce sens, le gouvernement Barnier ne rassure pas, loin de là. Il s’apprête à reproduire la même politique appliquée depuis 50 ans. Au lieu de réduire les impôts et les dépenses de l’État, il va augmenter les impôts sans s'attaquer réellement à la question des dépenses de l'État. Une récession semble donc inévitable. Les dernières statistiques sur les défaillances d'entreprises reflètent un véritable désastre entrepreneurial. La dernière fois que nous avons échangé, c’était au sujet de l’Argentine. Je vous avais dit que la France prenait le même chemin. Depuis, la trajectoire n’a pas changé.
(*) Head of Research chez XTB France