Il est désormais établi, de manière tangible et « légitime » comme certains aiment à le dire, qu’aucune échéance constitutionnelle au Liban ne peut être accomplie sans un consensus interne, quelle que soit l’ampleur des interventions ou des pressions extérieures. Le dernier exemple en date est l’élection du chef de l’armée, le général Joseph Aoun, à la présidence de la République. Son élection aurait été impossible sans les voix des députés du « duo chiite ». D’ailleurs, le général aurait pu ne pas être élu si une autre composante politique et parlementaire que le « duo » avait décidé de ne pas le soutenir.
Selon des experts chevronnés en matière d’échéances libanaises, la leçon que l’on peut tirer, aussi bien à l’interne qu’à l’externe, de l’élection de Aoun est claire : aucune échéance ne peut être réalisée sans un consensus interne approuvé par les forces extérieures, et non l’inverse. Si tel n’était pas le cas, les pressions américaines, occidentales et saoudiennes auraient suffi pour garantir son élection, sans avoir à « ménager » le « duo chiite », qui aurait pu bloquer ce processus. En effet, certains ont estimé, à un moment donné, que ce duo était perçu comme « vaincu et affaibli », incapable d’avoir un quelconque impact sur les échéances présidentielles et autres, permettant ainsi leur accomplissement sans lui.
En réalité, ce qui a facilité l’élection de Aoun, c’est la volonté de Washington et Riyad de sortir le Liban de la crise, accompagnée de « grandes garanties » américaines et saoudiennes offertes au « duo » lors des consultations qui ont eu lieu dans les dernières heures précédant la session électorale, dans la résidence de l’ambassadeur saoudien, où séjournait l’émissaire saoudien, le prince Yazid ben Farhan.
Bien qu’aucune déclaration officielle n’ait été faite par les américains ou les saoudiens concernant ces garanties, des sources proches du « duo » ont indiqué que « la rencontre entre les deux tours de scrutin » qui a eu lieu entre Aoun, le président du bloc parlementaire « Fidélité à la Résistance », le député Mohammad Raad, et le député Ali Hassan Khalil, assistant politique du président du Parlement Nabih Berri, a été « le tournant décisif » pour consolider ces garanties. Selon une personne ayant eu connaissance des discussions, cette rencontre s’est conclue par la première bénédiction reçue par Aoun pour son accession à la présidence, avant même d’être élu lors du second tour.
Il s’est également engagé à discuter d’une stratégie de défense complète, incluant des dimensions diplomatiques, économiques et militaires, afin de renforcer la capacité de l’État libanais à mettre fin à l’occupation israélienne et à dissuader toute agression.
Selon une source bien informée, les garanties offertes dans le cadre des négociations peuvent être résumées comme suit :
- Premièrement, aucune corrélation n’existe entre la résolution internationale 1701 et la résolution 1559. Les dispositions de la résolution 1701 se limitent au sud du Litani et n’ont pas vocation à s’étendre au nord, contrairement aux interprétations promues par Israël.
- Deuxièmement, la reconnaissance du rôle et de l’autorité du duo chiite dans la formation du gouvernement, qu’il s’agisse d’un cabinet politique ou technocratique, tout en prenant en compte leur position sur la question du ministère des Finances.
- Troisièmement, l’assurance de financements et de dons arabes et internationaux pour la reconstruction des infrastructures détruites par l’agression israélienne.
Un acteur ayant participé aux discussions qui ont abouti à l’élection présidentielle estime que la balle est désormais dans le camp du président de la République. Il lui incombe d’exploiter au maximum cette dynamique pour initier un chantier de sauvetage national, en se concentrant sur des mesures concrètes pour sortir le pays du gouffre.
Le duo chiite aurait donné des garanties en ce sens, affirmant que sa base sociale « aspire à vivre comme toutes les autres communautés libanaises ». Le président Aoun, dans son serment solennel, a promis de respecter la Constitution libanaise et de préserver l’indépendance et l’intégrité du territoire. Il s’est également engagé à discuter d’une stratégie de défense complète, incluant des dimensions diplomatiques, économiques et militaires, afin de renforcer la capacité de l’État libanais à mettre fin à l’occupation israélienne et à dissuader toute agression.
Par ailleurs, le président a souligné la nécessité d’instaurer une rotation dans les postes de première catégorie, conformément à l’accord de « Taëf » et à la Constitution, qui stipulent qu’aucune administration ne doit être monopolisée par une communauté ou une faction spécifique (article 95 de la Constitution).
Le discours d’investiture du président Aoun se distingue de ceux de ses prédécesseurs par son engagement explicite en faveur de l’accord de « Taëf », désormais constitutionnalisé. Il a promis aux Libanais, devant le monde entier, d’être « le premier serviteur de la Charte nationale et du Pacte de réconciliation », et d’exercer pleinement ses prérogatives en tant qu’arbitre impartial entre les institutions. Contrairement à ses prédécesseurs, il s’est engagé à ne pas chercher à obtenir une part ministérielle, afin de préserver son rôle de médiateur.
Des observateurs estiment que le discours jette les bases d’un gouvernement qui, qu’il soit qualifié de « gouvernement d’union nationale » ou de « gouvernement de consensus national », n’exclura personne à moins que certains ne souhaitent s’en retirer eux-mêmes. En cas de divergences, celles-ci ne devraient pas compromettre l’unité nationale, car le Liban, par sa nature, fait de la diversité une richesse et non une cause de division.
Ces observateurs, parmi lesquels figurent des contributeurs à l’accord de « Taëf » en 1989, rappellent que cet accord exige que les gouvernements soient basés sur le consensus national, même s’ils prennent la forme de cabinets technocratiques. Depuis l’accord de « Taëf », le pouvoir exécutif, autrefois concentré entre les mains du président, est désormais exercé collectivement par le Conseil des ministres.
Enfin, le président Aoun a affirmé que le Liban entre dans une nouvelle ère, marquée par une révision des relations internes et externes. Il a souligné l’importance de l’unité nationale face aux défis et a appelé à miser sur les relations extérieures du Liban comme levier de développement, plutôt que sur une instrumentalisation de ces relations pour exacerber les divisions internes.
Dans ce contexte, Aoun a adressé un message clair : aucun camp au Liban ne peut en éliminer un autre, ni s’appuyer sur des forces extérieures pour imposer sa domination. Cette vérité s’est imposée à travers les expériences successives de l’histoire libanaise.
Le Liban, avec l’élection de Aoun, semble véritablement entrer dans une nouvelle phase, prometteuse et pleine de défis.