Les informations disponibles sur les ressources pétrolières et gazières du Liban, ainsi que celles de sa zone économique exclusive, se limitent aux données techniques publiées en 2010 par l’United States Geological Survey (USGS) et à celles diffusées par certaines entreprises comme Petroleum Geo-Services.

Selon l’USGS, la richesse gazière constitue l’essentiel des ressources du bassin oriental de la Méditerranée, le pétrole ne représentant que 1 à 2 % du total. L’agence américaine a ainsi estimé les réserves de gaz pour chaque pays de la région : Israël disposerait de 940 milliards de mètres cubes (avec un potentiel pouvant atteindre 1 500 milliards), la zone maritime en face de Gaza détiendrait 28 milliards, Chypre (parties turque et grecque) 141 milliards (pouvant aller jusqu’à 1 698 milliards), la Syrie 240 milliards (avec un potentiel encore indéfini) et le Liban jusqu’à 990 milliards de mètres cubes.

Les bouleversements géopolitiques et géoéconomiques déclenchés par la guerre russo-ukrainienne en février 2022, conjugués aux sanctions imposées à la Russie, à l’Iran et au Venezuela, ont accru l’intérêt international pour le Moyen-Orient. La perspective d’injecter du gaz qatari sur le marché européen se heurte à de nombreuses difficultés, notamment la nécessité d’un pipeline terrestre traversant l’Irak et la Syrie, un projet complexe à court terme tant pour des raisons sécuritaires que logistiques.

Le Liban, un acteur clé dans la région ?

Les pays intégrant le club des producteurs de pétrole et de gaz gagnent en importance sur le plan géopolitique et géoéconomique, mais sont également soumis à des contraintes internationales. Les décisions stratégiques de ces États peuvent être conditionnées par des pressions extérieures, comme l’illustrent les cas de l’Iran et du Venezuela, soumis à des sanctions sévères.

Dans ce contexte, les chiffres publiés par l’USGS reflètent une volonté internationale de répartition des richesses énergétiques entre les pays du bassin oriental de la Méditerranée. Cette dynamique semble également dicter les marchés de vente et l’utilisation des revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles. La pression internationale, notamment américaine, pour la délimitation des frontières maritimes et terrestres entre les États de la région s’inscrit dans cette logique de répartition des richesses énergétiques.

Un rapport de Petroleum Geo-Services indique que l’homogénéité géologique du bassin oriental méditerranéen suggère une forte présence d’hydrocarbures du côté libanais, confirmant scientifiquement que le Liban serait potentiellement mieux doté en pétrole et en gaz que ses voisins.

Afin d’évaluer la part libanaise en dollars, nous avons élaboré plusieurs hypothèses :

• La capacité d’extraction technique s’élèverait à 30 % des réserves,

• Le prix du baril de pétrole serait de 75 dollars,

• Le contrat ICE sur le gaz serait évalué à 8 dollars par million de BTU,

• Le coût des infrastructures atteindrait 30 % des revenus,

• Les compagnies pétrolières percevraient 30 % des bénéfices.

Sur cette base, nous avons effectué une simulation sur l’évolution des prix du pétrole dans les années à venir.

Des revenus estimés à plusieurs centaines de milliards de dollars

Les résultats obtenus révèlent que :

• Le revenu net assuré pour l’État libanais, après prise en compte des coûts et des parts des entreprises, atteindrait 300 milliards de dollars avec une probabilité de 95 %. En statistique, tout événement ayant une probabilité supérieure à 50 % est considéré comme quasi certain.

• Cette part pourrait dépasser le trillion de dollars avec une probabilité de 5 %.

Ces chiffres indiquent que le Liban pourrait tirer un revenu net dépassant les 300 milliards de dollars de ses ressources énergétiques. Toutefois, cette manne financière serait exploitée progressivement, en fonction des capacités de production et d’exportation des entreprises concernées.

Malgré ces projections, les informations relayées sur les réseaux sociaux, évoquant des réserves pétrolières et gazières colossales au Liban, ne reposent pas sur des données scientifiques précises. Néanmoins, si ces affirmations venaient à se confirmer, elles remettraient en cause la crédibilité des études menées par les agences géologiques internationales.

Pourquoi un tel intérêt international, notamment américain, pour le Liban ?

L’intérêt stratégique des États-Unis pour le Liban s’inscrit dans une vision plus large de leur politique économique au Moyen-Orient. Cette stratégie repose sur plusieurs axes :

1. Sécuriser l’approvisionnement énergétique

Historiquement, le Moyen-Orient est un garant de la stabilité de l’offre mondiale de pétrole et de gaz. Les États-Unis entretiennent des partenariats énergétiques avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar, qui jouent un rôle clé dans la régulation des marchés.

2. Renforcer les échanges commerciaux et les investissements

Washington cherche à diversifier les économies de la région au-delà des hydrocarbures, en mettant l’accent sur les secteurs technologique, éducatif et de la santé. Des accords de libre-échange, comme ceux signés avec la Jordanie et le Maroc, participent à cet objectif. Par ailleurs, les fonds souverains des pays du Golfe sont incités à investir dans l’économie américaine.

3. Favoriser l’intégration régionale

Les États-Unis encouragent la mise en place d’infrastructures communes dans la région, notamment dans les domaines de l’eau et de l’énergie. Le soutien aux accords d’Abraham, ayant normalisé les relations entre Israël et plusieurs États arabes, s’inscrit dans cette logique de coopération économique renforcée.

4. Contrer l’influence de la Chine, de la Russie et de l’Iran

Washington adopte une approche combinant pressions économiques et incitations stratégiques pour dissuader les pays du Moyen-Orient de se tourner vers Pékin et Moscou. L’objectif est de limiter l’adhésion à l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie et de promouvoir l’utilisation des technologies et systèmes financiers américains.

Dans cette optique, les États-Unis soutiennent des réformes internes et des politiques de développement basées sur l’innovation et la technologie. Ils n’hésitent pas à recourir aux sanctions et aux pressions économiques, comme en témoignent les mesures prises à l’encontre de l’Iran, de la Syrie, du Yémen, de l’Irak et du Liban.

Le Liban, un centre logistique pour la stratégie américaine

Dans le cadre de cette vision, le Liban occupe une place centrale en raison de sa position géographique et de son ouverture économique. Il est perçu comme un acteur neutre, éloigné des conflits régionaux, et pourrait devenir un hub logistique pour la mise en œuvre de la stratégie économique américaine au Moyen-Orient.

L’attention croissante portée au Liban ne se limite donc pas à ses ressources énergétiques potentielles, mais s’inscrit dans une reconfiguration plus large des équilibres géopolitiques et économiques de la région.