La stabilité politique espérée agite le taux de change « submergé » depuis mars 2023

Le poids considérable de la stabilité politique attendue, résultant des profonds changements au Liban et dans la région, n’a pas seulement engendré des ondulations superficielles de confiance retrouvée dans la monnaie nationale. Il a également remué les couches profondes de doute parmi les Libanais quant à la résilience de leur monnaie et sa capacité à réagir aux évolutions économiques.

Logiquement, dans un régime de taux de change flexible, la valeur d'une monnaie est déterminée par la demande, comme pour toute autre marchandise. Si la demande augmente, sa valeur s’apprécie par rapport aux devises étrangères, et inversement. Pourtant, ce principe ne s’est pas appliqué au Liban entre le 27 novembre 2024—date de la fin de la guerre—et le 9 janvier 2025—élection d’un nouveau président. Bien que certaines estimations suggèrent que la demande de monnaie nationale ait augmenté de 300 millions de dollars durant cette période, sa valeur est restée inchangée. Cette expérience, bien que limitée en ampleur, annonce-t-elle l’incapacité de la monnaie nationale à tirer profit des milliards de dollars attendus dans l’économie pour l’aide, la reconstruction et l’investissement ?

« La livre libanaise est morte »

Dès le premier regard, l’économiste monétaire Layal Mansour est catégorique : « Oui, absolument. » Elle explique que « le taux de change officiel, fixé à 89 500 livres, diffère du taux réel du marché. De plus, dans une économie dollarisée à plus de 92 %, la tentative de la Banque centrale de vendre des dollars pour soutenir la livre est une démarche vaine qui épuise les réserves de devises étrangères sans jamais satisfaire la soif insatiable du marché pour la monnaie forte. Même si une telle mesure entraîne une amélioration temporaire du taux de change de la livre, celle-ci sera de courte durée avant que la monnaie ne retombe rapidement. »

Dans ce scénario, la Banque centrale verserait en quelque sorte ses dollars liquides dans « un panier percé » d’une économie dollarisée. Contrairement aux pays en crise où la monnaie locale joue encore son rôle de moyen d’échange, de réserve de valeur et d’unité de compte, la livre libanaise a perdu toutes ces fonctions. Elle n’est plus largement acceptée, est difficile à manipuler et souffre d’un manque total de confiance. Les salaires du secteur public et privé sont versés en dollars, les prix des biens et services—y compris ceux du secteur public—sont fixés en dollars, et hormis pour le paiement de certaines taxes et impôts, la livre a pratiquement disparu des transactions courantes.

« À ce stade, et avec ce niveau élevé de dollarisation, l’économie aurait davantage à gagner en injectant les dollars entrants dans des investissements et des projets de développement, plutôt que d’accroître les réserves de la Banque centrale pour ensuite les réinjecter afin de stimuler artificiellement la demande pour la livre », soutient Mansour. « Après tout, les citoyens ne tireront aucun bénéfice de l’appréciation d’une monnaie qu’ils n’utilisent plus. »

Les dangers de la libéralisation du taux de change

L’analyse économique et monétaire de la trajectoire de la livre peut se heurter à certaines tendances nationalistes cherchant à la faire revivre à travers des slogans tels que « Notre monnaie, c’est notre dignité » ou encore « La livre parlera à nouveau ». Si cette logique prévaut, les flux de dollars pourraient être utilisés pour renforcer les réserves de la Banque centrale, puis vendus pour stimuler la demande de la livre. Une telle démarche pourrait temporairement faire grimper son taux de 10 000, 20 000, voire 50 000 livres par dollar. « Mais cette hausse serait non seulement éphémère, mais aussi si fragile qu’elle pourrait conduire, à terme, à une chute vertigineuse du taux de change », prévient Mansour.

Elle cite l’exemple de l’Égypte, où chaque nouvelle dévaluation de la livre entraîne une baisse de sa valeur, malgré les injections massives de dollars provenant du FMI, des pays arabes, des ventes d’actifs publics, des transferts de fonds de la diaspora, ainsi que des revenus du tourisme et du canal de Suez. « Apporter une bouffée d’oxygène aux économies assoiffées de dollars peut offrir un répit temporaire, mais cela ne garantit ni leur stabilité à long terme ni leur pérennité. »

Dans un pays totalement dollarisé comme le Liban, cette réalité est encore plus prononcée. « Toute intervention visant à stabiliser le taux de change est vouée à l’échec », conclut-elle.

Le Fonds de Stabilisation des Changes

Ce qui distingue l’ère post-effondrement de 2019 de la période précédente, c’est le passage de la Banque du Liban d’un régime de taux de change fixe (currency peg) à une version déguisée d’un Fonds de Stabilisation des Changes (Exchange Stabilization Fund – ESF), selon Mansour. Contrairement au passé, la Banque centrale a cessé d’accorder des prêts à l’État en livres et en devises étrangères, a imposé des restrictions sur les dépenses en livres, et a limité l’accès des banques à la liquidité. En d’autres termes, elle a réduit la taille de l’économie pour l’adapter aux entrées de dollars, et ces dollars ne sont plus utilisés pour soutenir artificiellement une monnaie que plus personne ne veut.

Mansour estime que la seule solution viable pour sortir le Liban de sa crise monétaire et attirer les investissements est de formaliser ce Fonds de Stabilisation des Changes comme politique officielle. « Avant 2019, quand la livre était encore forte, crédible et largement utilisée, accroître les réserves en devises de la Banque centrale renforçait la confiance dans la monnaie. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. »

Si le Liban abandonne ce système de stabilisation artificielle au profit d’un taux de change flottant, conformément aux exigences du FMI, cela entraînera un effondrement sans précédent de la monnaie nationale. « L’euphorie initiale ferait vite place à une prise de conscience brutale des immenses besoins en dollars du pays, entraînant une nouvelle dégringolade du taux de change de la livre. »

Pour Mansour, le Liban d’aujourd’hui nécessite une nouvelle politique monétaire, basée exclusivement sur un Currency Board ou une dollarisation totale. « Si cette réforme doit avoir lieu, elle doit se faire maintenant ou jamais. La fenêtre d’opportunité actuelle est la seule chance d’adopter une politique monétaire crédible et efficace. Si le Liban ne prend pas cette décision aujourd’hui, il pourrait rater cette chance à jamais. »

Un choix politique et technique de grande envergure

Modifier le régime de change est une décision lourde de conséquences, qui ne nécessite pas seulement un dirigeant audacieux, mais aussi un expert capable d’évaluer ses implications et de répondre aux critiques. L’adoption d’un Currency Board ou d’une dollarisation complète supprimerait la politique monétaire indépendante du Liban et restreindrait l’émission de livres libanaises aux seuls flux entrants de dollars. Elle empêcherait également la Banque centrale d’influencer le marché via les taux d’intérêt.

Cependant, dans une économie de services et fortement dollarisée comme celle du Liban, ce système pourrait être appliqué avec une grande efficacité, assure Mansour. « Mieux encore, l’arrêt des taux d’intérêt excessivement élevés pourrait bénéficier à l’économie et encourager l’investissement. »

Si un tel régime monétaire n’est pas adapté aux grandes puissances industrielles comme le Royaume-Uni, le Japon ou la Chine, il est en revanche idéal pour le Liban, conclut-elle. « Une politique de change rigoureuse pourrait enfin protéger l’économie et les citoyens des fluctuations monétaires, qui ont causé tant de ravages au pays. »