Israël, coutumier de l'impunité face à ses méfaits depuis 1948, est aujourd'hui sur le banc des accusés devant la Cour internationale de justice à La Haye. Accusée de génocide par l'Afrique du Sud, cette mise en cause est liée à une guerre qui a ensanglanté la bande de Gaza pendant plus de cent jours.
La décadence morale d'Israël dans son conflit avec Gaza ne nécessite pas de nombreuses preuves, tant le bilan des victimes civiles est le plus lourd du XXIe siècle : plus de 24 000 civils ont succombé sous des tonnes de bombes israéliennes, dont deux tiers étaient des enfants et des femmes. Quatre-vingt-cinq pour cent de la population de la bande de Gaza, soit 2,3 millions d'âmes, ont été contraints à des déplacements forcés à plusieurs reprises, piégés dans une mince bande de terre à Rafah, au sud du territoire.
Selon les données des Nations unies, plus de la moitié des habitations ont été réduites en ruines, et une grande partie de celles restantes est désormais inhabitable en raison des dévastations. À cela s'ajoutent des coupures totales d'eau, de nourriture et d'électricité, ainsi qu'un entrave délibérée à l'acheminement de l'aide humanitaire. Cette situation critique a amené le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, à sonner l'alarme sur l'inhabitabilité de la bande de Gaza, tandis que les agences spécialisées mettent en garde contre la multiplication des maladies liées à la famine, au manque d'eau potable et à la propagation des maladies infectieuses.
Malgré ces atrocités, le président américain Joe Biden estime qu'il n'est pas encore temps d'appeler à un cessez-le-feu immédiat, adoptant pleinement la version israélienne de l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas à la frontière de Gaza. Les États-Unis ont systématiquement bloqué des résolutions du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu.
Bien que certains pays européens se distancient désormais de la position américaine en appelant à un cessez-le-feu immédiat, ces nations ne disposent pas du levier dont dispose l'Amérique pour freiner la folie israélienne et l'empêcher de persévérer dans la persécution des habitants de Gaza.
Devant cette indifférence générale de la communauté internationale, l'Afrique du Sud a pris l'initiative le mois dernier en déposant une plainte pour génocide contre Israël devant la Cour internationale de justice, considérée comme l'organe judiciaire principal des Nations unies. Ainsi, le parti au pouvoir, le Congrès national africain, confirme son engagement envers son défunt leader Nelson Mandela, qui affirmait un jour que "la libération de l'Afrique du Sud ne serait pas complète sans la libération du peuple palestinien".
Et le simple fait qu'un État ose porter plainte pour génocide contre Israël constitue un coup moral majeur pour ses dirigeants, qui ont lancé une campagne de diffamation contre l'Afrique du Sud, qualifiée par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu de "bouleversant le monde". Le racisme des responsables israéliens a atteint le point de déclarer qu'il n'est pas légitime pour un tribunal comprenant des juges arabes de juger l'État hébreu, faisant référence au juge libanais Nawaf Salam, au juge somalien Abdulqawi Yusuf et au juge marocain Mohamed Benouna.
Lors d'une session historique tenue sur deux jours les 11 et 12 janvier, la Cour a examiné les faits, le contenu de la plainte et la réponse israélienne. Selon la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, le génocide est défini comme "les actes commis dans l'intention de détruire totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux".
La plainte soutient qu'Israël a négligé de fournir de la nourriture, de l'eau, des médicaments, du carburant et de l'aide humanitaire aux habitants de la bande de Gaza pendant la guerre en cours avec le Hamas depuis trois mois. Elle souligne également la campagne de bombardements continue qui a détruit une grande partie du territoire, forçant environ 1,9 million de Palestiniens à se déplacer et causant la mort de 23 000 personnes (selon les statistiques du jour de l'introduction de la plainte) selon les responsables de la santé à Gaza.
La plainte affirme que "toutes ces actions sont imputées à Israël, qui a échoué à prévenir le génocide et le commet en violation de la Convention sur le génocide", ajoutant qu'Israël a négligé d'empêcher ses responsables d'inciter au génocide, ce qui contrevient à ce que prévoit la Convention. La plainte demande à la Cour internationale de justice de prendre des mesures d'urgence pour mettre fin aux violations commises par Israël.
La demande de l'Afrique du Sud à la Cour de mentionner des mesures provisoires pour protéger les Palestiniens de Gaza constitue une première étape dans une affaire qui prendra plusieurs années pour aboutir. Les mesures provisoires se réfèrent à des ordonnances restrictives visant à empêcher l'aggravation du conflit pendant que la Cour examine l'affaire dans son ensemble.
L'Afrique du Sud a demandé à la Cour d'ordonner à Israël de suspendre d'urgence ses opérations militaires à Gaza, d'arrêter toute action de génocide ou de prendre des mesures raisonnables pour prévenir le génocide, ainsi que de soumettre régulièrement des rapports à la Cour internationale de justice sur de telles mesures.
Il est prévu que la décision sur les mesures provisoires soit prise dans les semaines suivant les audiences. Cependant, la question épineuse réside dans le rôle que les États-Unis pourraient jouer pour entraver l'émission d'une décision par la Cour sur des mesures provisoires ordonnant à Israël de suspendre ses opérations militaires. La Cour, composée de 15 juges, prend ses décisions généralement à la majorité, et elle est actuellement présidée par l'Américaine Joan Donoghue. La question qui se pose est de savoir si la juge américaine pourra prendre une décision indépendante de la politique de son pays, basée sur un soutien illimité à Israël et une assistance militaire et diplomatique sans réserve. Les positions antérieures de Donoghue ne sont pas encourageantes, si l'on examine les détails de l'affaire intentée par l'île Maurice contre la Grande-Bretagne.
Quelle est l'affaire de Maurice ?
Cette île isolée de l'océan Indien est au cœur d'une controverse juridique complexe. Ancienne colonie britannique, les Chagos ont été séparés de l'île Maurice en 1965, entraînant le déplacement de milliers d'habitants pour permettre l'installation d'une base militaire conjointe avec les États-Unis sur l'île de Diego Garcia. Lorsque l'île Maurice a obtenu son indépendance en 1968, les Chagos ont été exclus de cette transition.
Maurice soutient que la Grande-Bretagne a agi de manière illégitime en "démantelant" son territoire et a engagé des poursuites judiciaires, démarche amorcée dès 1975, dans le but de récupérer les Chagos. En 2019, la Cour internationale de justice a statué en faveur de Maurice, affirmant que la Grande-Bretagne devait cesser son administration des Chagos, jugeant le détachement de l'archipel après l'indépendance illégal.
Le rejet britannique de cette décision, justifié par la nécessité de protéger ses installations de défense dans l'océan Indien, a soulevé des interrogations sur l'indépendance politique des juges, en particulier la juge Donoghue, seule à soutenir la position britannique.
Parallèlement, la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël suscite des tensions diplomatiques. Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, la qualifie de dénuée de fondement, accusant d'entraver les efforts de résolution pour Gaza.
Les décisions de la Cour internationale, bien que censées être indépendantes, sont souvent influencées par des considérations politiques. L'expérience des Chagos soulève des inquiétudes quant à la capacité de la Cour à agir de manière impartiale dans des affaires sensibles, telles que la demande sud-africaine contre Israël.