La Russie se retire de Syrie après la révolution ayant renversé le régime de Bachar el-Assad, subissant une perte stratégique majeure dont les répercussions s’étendent du pays même à l’ensemble de l’Est méditerranéen, jusqu’en Afrique. Une évolution d’une telle envergure ne manquera pas d’avoir des conséquences sur le voisinage russe et sur la guerre en Ukraine, qui dure depuis près de trois ans.
Depuis 1971, la Syrie accueille une base navale à Tartous, dont le contrat de location a été renouvelé en 2017 pour une durée de 49 ans. Cette installation sert de station logistique pour le ravitaillement et la maintenance des navires en Méditerranée.
Après 2015, la Russie a établi la base aérienne de Hmeimim dans la province de Lattaquié. Cette base a joué un rôle crucial après l’intervention militaire russe à cette époque, visant à sauver le régime d’Assad, alors sur le point de s'effondrer face aux offensives des factions armées de l’opposition syrienne.
Malgré le retrait par la Russie de la plupart de ses avions de combat et d'une partie de sa flotte navale de Syrie après le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, les deux bases sont restées des symboles du retour de la Russie sur la scène mondiale. Elles illustrent la capacité de Moscou à regagner une partie de son influence perdue après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991 et la victoire des États-Unis dans la guerre froide.
L’importance des bases de Hmeimim et de Tartous réside dans le rôle qu’elles ont joué dans le renforcement de l’influence russe en Afrique du Nord et dans la région du Sahel au sud du désert du Sahara au cours de la dernière décennie. Elles ont servi de points de transit pour soutenir les combattants du groupe Wagner en Libye, en République centrafricaine, au Mali, au Burkina Faso et au Soudan.
À la suite de l’offensive surprise et éclair menée par « Hayat Tahrir al-Cham » d’Alep à Damas en l’espace de dix jours, ayant conduit à l’effondrement du régime d’Assad, les interrogations sur l’avenir des bases de Tartous et de Hmeimim se sont multipliées.
La réaction initiale de Moscou a été de signaler qu’elle menait des consultations avec toutes les parties en Syrie pour déterminer le sort de ces deux bases, sans révéler de détails précis. Cependant, des images satellites ont montré que les soldats russes déployés dans des dizaines de sites allant du nord au centre et au sud de la Syrie avaient commencé à se regrouper dans la base de Hmeimim, dans ce qui semble être une préparation à un retrait de Syrie.
Des rapports ont également mentionné des vols de transport militaire quittant Hmeimim à destination de la Libye. Par ailleurs, des navires russes ont été observés s'éloignant de la base navale de Tartous, tandis que Moscou a évacué une partie de son personnel diplomatique de Damas.
Assad, allié le plus proche de Moscou au Moyen-Orient, incarnait l’ancrage stratégique de la Russie dans la région. C’est dans cette optique que l’intervention militaire russe de 2015 avait démontré la capacité de Moscou à protéger ses partenaires et à s’imposer comme une puissance internationale incontournable. Cependant, la guerre en Ukraine a épuisé les ressources de la Russie et monopolisé son attention, empêchant la réédition du scénario de 2015 en Syrie, dans un contexte géopolitique désormais transformé à la fois à Moscou et à Damas.
Des responsables russes n’ont pas caché leur étonnement face au manque de réactivité de l’armée syrienne contre les factions armées depuis l’offensive sur Alep, lancée le 27 novembre, jusqu’à l’entrée à Damas le 8 décembre.
Avec la guerre en Ukraine en toile de fond, le président russe Vladimir Poutine a encouragé une réponse positive à l’ouverture manifestée par Ankara envers le régime syrien. Toutefois, Assad a imposé des conditions préalables à toute rencontre avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, notamment le retrait des troupes turques du nord de la Syrie, une exigence qui a suscité une certaine perplexité à Moscou. Malgré ces tensions, la Russie a accordé à Assad un droit d’asile, dont la nature — politique ou humanitaire — reste encore à clarifier.
La question qui se pose désormais est de savoir comment et où la Russie répondra à la perte stratégique subie en Syrie.
Depuis l'effondrement du régime syrien, Moscou a intensifié ses frappes aériennes contre les infrastructures ukrainiennes et a réalisé des avancées militaires significatives vers la ville stratégique de Pokrovsk, située dans la région de Donetsk, à l'est de l'Ukraine. Parallèlement, les forces russes ont élargi leurs attaques contre l'armée ukrainienne, qui contrôle encore une partie de la région russe de Koursk.
Des analystes militaires occidentaux s'accordent à dire que la prise de Pokrovsk permettrait à l'armée russe de couper les routes d'approvisionnement vers d'autres villes ukrainiennes de la région de Donetsk. Elle placerait également ces villes, notamment Kramatorsk, capitale administrative ukrainienne de la région, à portée directe de l'artillerie russe.
Dans ce scénario, Vladimir Poutine marquerait un tournant stratégique qui renforcerait sa position dans les négociations appelées par le président américain élu Donald Trump, se plaçant en posture de force. Il pourrait ainsi affirmer avoir atteint la plupart des objectifs de sa guerre.
Après la Syrie, Poutine semble chercher à compenser la perte stratégique russe en réalisant des avancées en Ukraine. Ce redéploiement militaire vise aussi à envoyer un message clair à l’Occident : l’effondrement du régime syrien n’a pas affaibli la Russie, ni entamé sa détermination à sortir victorieuse du conflit ukrainien.
Ce message s'adresse également à ceux qui pensent que la chute de la Syrie affecterait l’influence russe en Afrique, une région où Moscou a gagné du terrain ces dernières années aux dépens de la France. Cela explique en partie l’hostilité du président français Emmanuel Macron envers Poutine, le poussant à devenir l'un des plus fervents soutiens du président ukrainien Volodymyr Zelensky et à dépêcher rapidement un envoyé à Damas pour établir des contacts avec les nouveaux dirigeants syriens.
En intensifiant la guerre en Ukraine, Poutine cherche à montrer que la Syrie ne sera pas le premier domino d'une série de revers pour l'influence russe dans le monde.
Cependant, la guerre reste imprévisible. Le lendemain de la déclaration de Poutine affirmant que la Russie contrôlait la situation sur le front, les services de renseignement ukrainiens ont revendiqué l'assassinat du général Igor Kirillov, commandant des forces russes de défense nucléaire, chimique et biologique, ainsi que de son adjoint, dans un attentat à la bombe à Moscou.