La France, ces dernières années, s'impose comme le plus grand perdant en Afrique, non seulement en raison de ses politiques défaillantes, mais aussi en raison de l'intensification des tensions internationales

Comment les options françaises en Afrique se sont-elles autant restreintes ? Quelle part de responsabilité incombe spécifiquement au président Emmanuel Macron dans cette situation actuelle ? Entre les récents coups d'État militaires en Afrique de l'Ouest, sapant les bastions d'influence de l'ancienne puissance coloniale, et les relations historiquement tendues avec l'Algérie ainsi que le récent refroidissement avec le Maroc, les enjeux africains de la France s'annoncent complexes et stratégiquement délicats.

En 2013, François Hollande lançait l'opération "Serval" mobilisant 5100 soldats français pour contrer les mouvements rebelles, notamment les groupes jihadistes, qui sévissaient dans la région du Sahel, englobant Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad et Mauritanie. Le renommage de cette initiative, l'année suivante, en "Barkhane" (symbolisant une dune de sable en croissant soufflant au gré du vent), témoigne de l'ancrage prolongé de cette mission.

Ce déploiement militaire français au Sahel, postérieurement à la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011, soutenu par la France sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis poursuivi par Hollande, s'est avéré être une conséquence directe du chaos libyen. La déstabilisation consécutive a ouvert la voie aux organisations jihadistes, permettant à des entités liées à Al-Qaïda et à l'État islamique, après 2014, de s'infiltrer dans les pays voisins, en particulier au Mali.

Si les forces françaises ont remporté des succès tactiques en appuyant le gouvernement de l'ancien président Ibrahim Boubacar Keïta pour contenir les rebelles aux portes de Bamako, l'éradication totale de ces groupes demeure un défi. Ces derniers, renforcés par des djihadistes fuyant la Syrie et l'Irak après 2019, suite à la chute du "califat" de Daech, se sont retranchés dans le triangle frontalier entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, défiant la présence militaire française et régionale.

Paris avait soumis à Ibrahim Keïta l'idée d'engager des pourparlers avec certaines factions rebelles non affiliées au djihadisme et présentant un caractère davantage local. Cette suggestion s'est heurtée à un rejet catégorique de la part des forces armées maliennes, déclenchant ainsi le premier coup d'État militaire suivi d'un second neuf mois plus tard. Ces événements ont plongé les relations avec la France dans une spirale de tensions.

S'inspirant de l'expérience malienne, le capitaine de l'armée Ibrahim Traoré a orchestré, l'année suivante, un coup d'État au Burkina Faso contre le régime du Colonel Paul-Henri Damiba, considéré comme un fervent allié de la France dans ce pays. À la suite de ce coup, Traoré a lancé une campagne hostile contre la présence française, jetant ainsi les bases d'un conflit géopolitique entre la France et la Russie dans la région sahélienne.

Le Mali s'est tourné vers les mercenaires de la société de sécurité russe "Wagner", sous la houlette de Yevgeny Prigozhin, comme alternative aux forces françaises. Le Colonel Assimi Goïta, à la tête du coup d'État, a sommé ces dernières de quitter le pays, marquant ainsi une sérieuse déconvenue pour la politique française dans la région depuis le début de l'opération "Barkhane".

Cette évolution a contraint le président français Emmanuel Macron à réévaluer l'opération, envisageant une réduction progressive des troupes françaises et leur redéploiement vers le Niger et le Tchad.

Avec l'escalade du conflit russo-ukrainien en février 2022, les tensions internationales se sont exacerbées dans plusieurs régions du monde, y compris au Sahel.

La France a essuyé un autre revers suite au coup d'État orchestré par le chef de la Garde nationale du Niger, le général Abdoul Rahmane Tani, en juillet dernier, contre le président Mahamadou Bazoum, un allié proche. Ce coup a ébranlé l'Afrique de l'Ouest, incitant la CEDEAO à adresser un avertissement aux putschistes à Niamey, les sommant de regagner leurs casernes sous peine d'intervention militaire visant à rétablir Mahamadou Bazoum au pouvoir.

Cependant, les États-Unis ont adopté une attitude plus mesurée, réticents à toute action militaire de peur que cela ne détourne l'attention de la crise russo-ukrainienne, d'autant plus que la guerre au Soudan entre l'armée et les Forces de soutien rapide avait éclaté seulement quelques mois auparavant.

Après le coup d'État, les relations entre les nouvelles autorités et Paris se sont détériorées, entraînant une demande de Niamey de mettre fin à la présence militaire française au Niger. Il est à noter que 1500 soldats français étaient encore déployés dans ce pays jusqu'au coup d'État. Quant aux États-Unis, qui disposent d'une base avec environ un millier de soldats américains, ils ont adopté une politique plus pragmatique envers les putschistes, entretenant des contacts tout en continuant en privé à appeler au retour à un gouvernement civil.

Il y a à peine deux jours, le général Tani a surpris en annonçant la rupture totale des partenariats sécuritaires avec l'Union européenne. Une annonce en phase avec l'arrivée à Niamey d'une délégation militaire russe dirigée par Younous Bekhriyev, vice-ministre de la Défense.

Cette décision intervient dans un contexte où la Russie, depuis le conflit opposant l'ancien dirigeant de la "Wagner Group", Evgueni Prigojine, au gouvernement russe en juin dernier, a officiellement décidé d'approfondir ses relations avec des nations africaines autrefois dépendantes du déploiement des forces de "Wagner". Un virage stratégique qui s'étend de Mali à la République centrafricaine, entre autres.

Le renforcement actuel de l'influence russe au Sahel s'accompagne de l'annonce récente du Mali, du Niger et du Burkina Faso d'envisager la création d'une union confédérale. Ces développements surviennent dans un contexte d'hostilité grandissante envers la France dans ses anciennes colonies, accentuée par le récent renversement au Gabon du régime de la famille Bongo, au pouvoir depuis un demi-siècle, causant des pertes supplémentaires pour la France en Afrique de l'Ouest.

Mais qu'est-ce qui a suscité une telle hostilité envers la France, en particulier ces trois dernières années ? Cela semble découler d'une prise de conscience africaine, en particulier chez la jeunesse des anciennes colonies françaises, réalisant que la France n'a jamais véritablement quitté les pays qu'elle a pourtant déclarés indépendants dans les années 1950 et 1960. Elle a maintenu une influence économique et politique en soutenant les dirigeants installés dans ces nations, leur offrant un soutien complet en échange de l'accès aux ressources telles que l'or, les diamants, l'uranium et le pétrole. Paris a enchevêtré les économies de ses anciennes colonies avec celle de la France, avec sept pays toujours utilisant le franc CFA lié à l'euro, monnaie de référence en France et dans la majorité de l'Union européenne.

La France a soutenu certains des régimes les plus répressifs dans ces nations, ignorant souvent le caractère autoritaire et corrompu de ces dirigeants. À titre d'exemple, Paris a soutenu au Tchad le coup d'État du colonel Mohamed Idriss Déby il y a deux ans à la suite de l'assassinat de son père, Idriss Déby, sur le front. Pourquoi un soutien de Macron à un coup d'État "familial" dans ce pays tandis que les coups d'État dans des nations voisines ne sont pas acceptés ?

À son arrivée à la présidence en 2017, Macron avait promis de rompre avec l'ère de la "Françafrique". Pourtant, il n'a pas tenu cette promesse et a continué à exercer une politique paternaliste et hégémonique envers les nations africaines. Cette politique a également provoqué des tensions avec l'Algérie et le Maroc, allant jusqu'au refus de Rabat d'une aide française suite au séisme ayant frappé le Maroc en septembre dernier.

Selon Bakary Sambe, directeur de l'Institut Timbuktu à Dakar, "l'entêtement et le discours de Macron renforcent le sentiment d'une politique néocoloniale française en perdition sur ce front".

Pour Antoine Glaser, co-auteur de "Le piège africain de Macron", "l'attitude de moins en moins diplomatique de Macron révèle une grande frustration. Il est clair qu'il est dans l'impasse et que la France est désormais prise au piège au Sahel ».

Dans ce contexte, il est naturel de voir la Russie capitaliser sur les sentiments d'animosité envers la France pour consolider ses relations avec les pays africains, cherchant ainsi leur soutien dans un affrontement global avec l'Occident. Moscou s'engage à récompenser aujourd'hui les nations africaines qui se sont abstenues de prendre position dans le conflit ukrainien ou de rejoindre les sanctions contre la Russie, en offrant gracieusement du blé aux nations africaines dans le besoin. Cette générosité s'accompagne d'une volonté de renforcer les liens commerciaux et militaires. Cette stratégie est particulièrement visible en Algérie, en Égypte et en Afrique du Sud, où des relations spéciales sont établies avec le Kremlin.

La France, ces dernières années, s'impose comme le plus grand perdant en Afrique, non seulement en raison de ses politiques défaillantes, mais aussi en raison de l'intensification des tensions internationales. Cela se manifeste notamment à travers l'impulsion du G7 en faveur de politiques hostiles aux intérêts chinois et russes sur le continent. Les responsables américains insistent auprès des dirigeants africains sur le fait que les emprunts chinois à destination de l'Afrique se transformeront en fardeau pesant lourdement sur ces nations à l'avenir.