L'expansion de l'influence grandissante de la Chine à l'échelle mondiale depuis le début du 21e siècle représente un défi majeur pour les États-Unis.

La rencontre au sommet entre les présidents américain Joe Biden et chinois Xi Jinping à San Francisco, en Californie, en marge du sommet de l'Asia-Pacific Economic Cooperation (APEC), a marqué un tournant crucial après des mois de tensions exacerbées. Ces tensions ont sérieusement ébranlé les relations entre les deux géants économiques mondiaux, atteignant un niveau de crispation rarement vu depuis les années 70 et leur rapprochement historique.

Cependant, cette rencontre ne présage en rien d'une résolution imminente des différends profonds qui opposent les États-Unis et la Chine. Ces divergences s'étendent des enjeux technologiques tels que les semi-conducteurs et l'intelligence artificielle, aux conflits autour de géants du secteur comme Huawei et TikTok, en passant par la « guerre commerciale » et les défis environnementaux majeurs, dont le réchauffement climatique. Elles englobent également les tensions liées à des zones sensibles comme Taïwan, les régions du Pacifique et de l'océan Indien, sans oublier les foyers de crises internationales allant de l'Ukraine à Gaza.

Malgré la perception de la Chine comme « le plus grand défi stratégique » pour les États-Unis dans les années à venir, cette vision n'efface pas la réalité de leur interdépendance économique. Elle les contraint à modérer leurs ambitions dans cette « compétition féroce », évitant ainsi une rupture totale. Une dynamique qui se distingue nettement de celle vécue entre les États-Unis et l'Union soviétique durant la Guerre froide.

Les deux géants se livrent à une forme particulière de « guerre froide ». En effet, lors du dixième anniversaire de l'initiative chinoise « la Ceinture et la Route », le président Xi Jinping a souligné l'ampleur de cette vision. Cette initiative constitue une stratégie de force douce, catapultant l'influence de la Chine à l'échelle mondiale à travers des investissements colossaux dans les infrastructures. Un déploiement qui inclut ports, aéroports, ponts, lignes ferroviaires et corridors économiques reliant près de 60 pays, ainsi que des injections de fonds massives dans des secteurs stratégiques tels que le pétrole, le gaz, l'électricité et l’Internet.

L'expansion de l'influence grandissante de la Chine à l'échelle mondiale depuis le début du 21e siècle représente un défi majeur pour les États-Unis. Depuis l'administration Obama, une stratégie de concentration des efforts américains en Asie a été adoptée pour contenir la montée en puissance chinoise, une démarche qui va au-delà des seuls enjeux économiques pour englober également des aspects militaires.

Cette stratégie a vu notamment cinq des onze porte-avions américains déployés dans les océans Pacifique et Indien, accompagnés du déploiement de systèmes de missiles avancés comme le Patriot et le THAAD dans cette région stratégique.

Ce recentrage militaire des États-Unis vers l'Asie s'est fait au détriment du Moyen-Orient et de l'Europe, et ce, avant même l'éclatement des conflits majeurs en Ukraine en 2022 et à Gaza en 2023. Sous l'administration de Donald Trump, une « guerre commerciale » a éclaté à la suite de taxes douanières élevées imposées sur les importations chinoises, un mouvement qui a directement impacté des entreprises américaines opérant en Chine.

Sous la présidence de Joe Biden, la dynamique s'est intensifiée avec une série d'accords militaires conclus entre Washington et des pays asiatiques partageant des préoccupations similaires face à l'ascension de la Chine. Cela a aussi ravivé l'alliance du « Quad » regroupant les États-Unis, l'Inde, le Japon et l'Australie, en plus de la mise en place de l'accord de sécurité « AUKUS » entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. La première mission du porte-avions britannique « HMS Queen Elizabeth », lancé l'année précédente, s'est orientée vers le Pacifique.

Cependant, la question de Taïwan demeure une source d'inquiétude majeure et singulière. Depuis la normalisation des relations sino-américaines dans les années 70, cette île à gouvernance autonome est devenue un point central dans les rapports entre Washington et Pékin. Les administrations américaines successives ont adopté une politique de « Chine unique », impliquant le retrait de la reconnaissance de Taïwan en tant qu'État indépendant, tout en gardant une position floue quant à la réponse américaine en cas d'agression chinoise contre l'île.

Sous l'administration de Biden, un bouleversement majeur a marqué la politique américaine vis-à-vis de Taïwan, rompant ainsi avec les pratiques passées en déclarant une position défensive claire en cas d'attaque chinoise contre l'île. Cette prise de position a été perçue comme un revirement crucial par Pékin, laissant entrevoir un changement radical dans les relations entre les deux superpuissances mondiales.

L'intervention de l'ancienne présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a également joué un rôle significatif dans cette dynamique. Sa visite à Taïwan en août 2022 a déclenché des réactions vives de la part de la Chine, qui a réagi par des manœuvres inhabituelles dans les environs de l'île. Les tensions ont grimpé d'un cran après la découverte par les États-Unis d'un ballon chinois au-dessus du Montana en janvier de cette année, suscitant un débat agité par la suite.

L'escalade s'est encore accentuée avec la visite de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen à la bibliothèque Ronald Reagan en Californie en avril, suivie de sa rencontre avec l'ancien président républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy.

Les relations ont atteint un niveau critique, avec une augmentation des activités militaires des États-Unis et de la Chine près de Taïwan et en mer de Chine méridionale. Cette situation a été exacerbée par la décision de Pékin de rompre les communications militaires avec Washington.

Dans les mois qui ont suivi l'incident du ballon, les tensions se sont accrues jusqu'à la visite du secrétaire d'État américain, Antony Blinken, à Pékin en juin dernier, marquant ainsi la première visite d'un secrétaire d'État américain en Chine depuis cinq ans. Cette visite a représenté une percée, suivie par la visite de la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, en juillet.

Bien que ces visites aient contribué à raviver le dialogue entre les deux nations, elles n'ont pas abouti à une avancée significative pour restaurer pleinement les relations. Biden, confronté aux pressions du Congrès, a alors imposé des restrictions aux entreprises américaines désirant investir dans les technologies avancées en Chine.

En réponse à cette action américaine, le président chinois a choisi de ne pas participer au sommet du G20 à New Delhi en septembre dernier afin d'éviter toute rencontre avec son homologue américain. Ce dernier en a profité pour irriter la Chine en annonçant, en marge du sommet, la création d'un « corridor économique majeur » reliant l'Inde aux pays du Golfe, jusqu'en Israël et en Europe, à hauteur de dizaines de milliards de dollars, dans une stratégie apparente pour contrer l'initiative chinoise de la « Ceinture et la Route ». En outre, un an auparavant, le G7 avait adopté une initiative américaine injectant des dizaines de milliards de dollars dans des pays africains, visant à contrer les investissements chinois sur le continent. Les responsables américains n'ont cessé de rappeler aux nations africaines les risques associés aux prêts chinois.

Dans le paysage diplomatique actuel, les derniers développements entre les États-Unis et la Chine ainsi que les manœuvres subtiles de Pékin dans le Moyen-Orient ont jeté une lumière crue sur les bouleversements géopolitiques. Ces évolutions ont semé des tensions, notamment après les efforts chinois réussis en mars dernier pour rétablir les liens entre l'Arabie saoudite et l'Iran.

La Chine, cherchant à établir un « grand corridor économique », a investi des énergies considérables dans cette stratégie, notamment en consolidant des partenariats économiques stratégiques avec les États du Conseil de coopération du Golfe, en s'engageant dans des projets de construction d'infrastructures majeures aux Émirats arabes unis et en proposant de bâtir une centrale nucléaire en Arabie saoudite.

Cependant, cette évolution n'a pas été accueillie favorablement par les États-Unis, qui ont répondu avec leur propre initiative du « grand corridor économique ». Dans cette optique, Washington a entrepris des mesures pour faciliter une normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël, répondant aux demandes de Riyad, y compris un accord de sécurité et la construction d'une centrale nucléaire à des fins pacifiques.

Pourtant, la situation a été bouleversée par l'explosion à Gaza, remettant en question ces avancées et laissant planer des incertitudes sur la stabilité de la région.

Aujourd'hui, la rencontre entre Biden et Xi à San Francisco vise à rétablir une dynamique relationnelle bilatérale, alors que les deux superpuissances cherchent à raviver les contacts militaires dans un contexte international tendu, allant de la crise ukrainienne à celle de Gaza.

Il est clair que les approches de la Chine et des États-Unis diffèrent concernant ces conflits. Alors que Washington a rejeté l'initiative chinoise visant à résoudre pacifiquement la crise ukrainienne, il s'oppose également à un cessez-le-feu à Gaza ainsi qu'à une conférence internationale visant à trouver une solution à deux États.

Le rapprochement sino-russe soulève des préoccupations fondamentales, alors que les échanges commerciaux entre Pékin et Moscou ont atteint 200 milliards de dollars cette année, et que la Chine s'impose progressivement comme une alternative énergétique à la Russie en Europe, détournant les flux de pétrole et de gaz russes vers les ports chinois et indiens.

Dans cette toile complexe de différences politiques et de stratégies divergentes, la question cruciale demeure : Biden acceptera-t-il l'appel à la « coopération » lancé par Xi pour affronter les défis mondiaux, offrant une alternative aux perceptions idéologiques et encourageant un regard pragmatique sur les relations internationales ?