REPORTAGE. Ce dimanche après-midi, à Paris, la Place de la République accueillait un rassemblement « pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens ». Durant la mobilisation propalestinienne, l’antisionisme a tenu lieu de point de convergence des luttes entre les gauches électoralistes et des islamistes pro-Hamas.
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« Israël assassins, Macron complice ! » Ce dimanche, de 15 à 19 heures, plusieurs dizaines de milliers de manifestants s’étaient donné rendez-vous Place de la République, à Paris. Initiative du « Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens » qui réunit une quarantaine d’organisations de gauche – parmi lesquelles la France insoumise, l’association altermondialiste Attac, la CGT, etc. –, le rassemblement visait officiellement à promouvoir le cessez-le-feu dans la bande de Gaza.
Le prétexte de la manifestation est bien trouvé : la manifestation aurait bien pu être interdite, mais la préfecture de police de Paris, particulièrement vigilante quant aux manifestations propalestiniennes, a baissé sa garde au motif que « les appels à manifester [du collectif] condamnent les attaques terroristes perpétrées par le Hamas ».
Et pourtant. Dans la foule, sur le toit des camionnettes d’où vocifèrent diverses personnalités, le vernis de la « paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens » a vite craquelé. Pas un mot n’a été prononcé quant aux exactions du Hamas – bien au contraire. « Sionistes, fascistes, c’est VOUS les terroristes !, scandent les animateurs du rassemblement, repris en cœur par l’assemblée en délire. Tous contre la propagande islamophobe et occidentaliste ! »
« La France, État collabo d’un génocide : l’Histoire se répète », ose une pancarte.
« Pas de neutralité, pas de nuance, pas entre les bombes et ceux qui se les prennent », abonde Anasse Kazib, figure du parti d’extrême-gauche Révolution Permanente venue grossir les rangs des intervenants. Son successeur à l’estrade, quant à lui, remet en cause le statut des « soi-disant otages israéliens » et les « mensonges français », pour mieux demander la libération inconditionnelle des prisonniers palestiniens. « Enfants de Gaza, enfants de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine ! », reprend son auditoire à l’unisson, semblant oublier la moitié des enfants qu’il dit être venu pleurer.
L’escalade de l’indécence se poursuit, jusqu’au sommet. « La France, État collabo d’un génocide : l’Histoire se répète », ose une large pancarte. « Nous sommes du côté de la résistance ! », se galvanise une militante au micro, reprenant les mots fâcheux de Danièle Obono à propos du Hamas, pourtant corrigés tant bien que mal par Raquel Garrido quelques heures plus tôt, dans la matinée : « Le Hamas est une organisation terroriste, il faut mettre sur le même plan les victimes israéliennes et palestiniennes. »
L’on pouvait justement croire que les polémiques récentes contraindraient la France insoumise à se tenir à l’écart de telles manifestations à débordements. Il n’en est rien. Noyé dans la masse au cœur de la place, Jean-Luc Mélenchon se paie un bain de foule des plus enthousiastes. Le tribun l’assure sur X (ex-Twitter) : « Voici la France. Pendant ce temps Madame Braun-Pivet campe à Tel Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! »
« Gloire à nos martyrs, vive la résistance sous toutes ses formes ! »
Où diable Jean-Luc Mélenchon voit-il la France ? Dans la marée humaine, le bleu et le blanc sont bien absents. Le rouge, lui, ne manque pas ; mais il s’agit de celui de l’extrême-gauche, associé le plus souvent au vert du Hamas. En témoignent les fumigènes allumés de part et d’autre d’une banderole longue d’une dizaine de mètres exigeant la libération de Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste libanais emprisonné en France depuis 1984.
Partout sur la place, des pieds du monument à la République jusqu’à la tête de sa statue qu’ont gravi quelques jeunes manifestants en survêtement, les drapeaux furieusement agités sont aux couleurs du communisme – voire carrément à l’effigie de Staline –, mais surtout de la Palestine, de l’Algérie, du Maroc. La population féminine, quant à elle, porte majoritairement le voile ; beige, pour les plus sobres, noir et intégral pour les autres.
Les intervenants ne s’en cachent même pas : « Salam aleykoum !, lancent Anasse Kazib et ses successeurs pour saluer l’auditoire. Où sont les Tunisiens ? Les Algériens ? Les Marocains ? Faites du bruit ! » Après les hurlements respectifs des populations mentionnées, puis les sempiternels « Palestine vaincra ! », viennent des chants militants, tout en arabe.
Court malaise quand, au bout d’une dizaine de minutes, vient la réalisation que toute l’assemblée ne parle pas la langue… Qu’importe : « Vous n’avez qu’un mot à retenir, rassure le jeune Palestinien qui s’est emparé du micro. Répétez après moi : Tahia, tahia Palestine ! Gloire à nos martyrs, vive la résistance sous toutes ses formes ! »
Un court moment de flottement vient quand un militant « révolutionnaire propalestine » se met à prôner un féminisme LGBT inscrit dans la lutte palestinienne, loin des « fachos sionistes qui ont repris la cause ». Une odeur de cannabis s’installe peu à peu ça et là, signe que l’ambiance retombe, puis…
« Bonsoir Paris ! », lance un chauffeur de salle à ciel ouvert. Soudainement, aux alentours de 17 heures, les enceintes se mettent à cracher une musique électronique arabe propalestinienne ; toute la fosse chante, hurle, tape des mains en rythme. Le rassemblement pour une « paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens » – dont les organisateurs n’ont retenu qu’une moitié – s’est définitivement changé en une gigantesque block party au cœur de la capitale. On en oublierait presque la gravité du conflit qui tenait lieu, il y a quelques minutes encore, de prétexte aux discours les plus belliqueux.