Les diplômés des universités libanaises peinent, à des degrés divers, à intégrer le marché du travail, notamment à l’international. Depuis plusieurs années, bien avant l’effondrement économique, le niveau d’enseignement, y compris universitaire, connaît une dégradation alarmante. Une étude du Centre des études libanaises révèle que de nombreux jeunes diplômés sont d’anciens élèves du secteur public, qui ont perdu environ 765 jours de cours effectifs depuis 2016.

À cette hémorragie s’ajoutent les interruptions à répétition dans les universités publiques, la détérioration des programmes, ainsi que l’émergence incontrôlée d’établissements privés de piètre qualité, implantés selon des logiques confessionnelles et régionales. Résultat : le Liban fait face à une crise éducative qui ne se limite pas aux difficultés d’accès à des emplois qualifiés et bien rémunérés, mais s’étend également à l’économie nationale, notamment par la baisse des transferts de fonds des expatriés, un pilier du financement du pays en période de crise.

Un cadre national des qualifications en gestation

Face à cette réalité, le ministère de l’Éducation a créé, le 5 février 2025, un comité chargé d’élaborer un cadre national des qualifications pour l’enseignement supérieur, dans le cadre du plan quinquennal 2023-2027. Ce comité collabore avec l’Agence universitaire de la Francophonie, le bureau régional de l’UNESCO à Beyrouth et le programme Erasmus+ afin de s’inspirer des meilleures pratiques internationales. Sa mission : soumettre, sous neuf mois, un rapport détaillé à la direction générale de l’enseignement supérieur, accompagné de recommandations concrètes.

Compétences en déclin

« Ce qui manque aujourd’hui au Liban, c’est la compétence dans l’éducation », souligne Moussa Soueidane, expert en technologies éducatives et robotique. Selon lui, il est impératif de réformer l’adéquation entre les filières universitaires et le marché du travail, notamment en amont de l’ouverture de nouvelles spécialités.

Les universités ne devraient plus créer de cursus sans passer par le cadre national des qualifications, qui définit les compétences essentielles à enseigner aux étudiants, en particulier dans les disciplines scientifiques et technologiques. « La commission compte des experts reconnus, mais étant donné l’ampleur du chantier, son élargissement aurait été souhaitable », ajoute Soueidane.

Il insiste également sur la nécessité pour les universités de collaborer avec cette instance et d’appliquer ses recommandations, car « il est désormais inacceptable de diplômer des milliers d’étudiants dans des domaines sans débouchés ». L’un des axes clés serait aussi d’aligner les programmes académiques et les examens des ordres professionnels sur les standards européens, garantissant ainsi aux diplômés libanais une meilleure insertion dans un marché du travail international très concurrentiel.

Les défis du secteur : par où commencer ?

Historiquement, l’enseignement supérieur libanais a occupé une place prépondérante dans la région et à l’international. Aujourd’hui, il est en perte de vitesse et nécessite une refonte en profondeur pour restaurer sa compétitivité et sa durabilité. Selon le plan quinquennal, plusieurs facteurs compromettent la qualité de l’éducation :

-Une gouvernance déficiente et des réglementations inefficaces.

-Une inadéquation entre l’offre académique et les besoins économiques et sociaux.

-Un modèle de financement insuffisant, ne permettant ni de soutenir les institutions ni d’aider les étudiants.

-Une infrastructure numérique obsolète et l’absence d’un système de gestion de l’information performant.

Sur le plan administratif, les faiblesses sont tout aussi préoccupantes :

-L’absence d’une structure claire pour la direction générale de l’enseignement supérieur.

-Un manque de mécanismes de suivi et de contrôle.

-L’inexistence d’un système d’assurance qualité universitaire.

-Une rupture croissante entre le monde universitaire et le marché du travail.

-Une production scientifique et une capacité d’innovation limitées.

-Une fuite des cerveaux toujours plus marquée.

Réformer pour garantir une meilleure adéquation formation-emploi

Pour remédier à cette crise, plusieurs réformes s’imposent, en premier lieu l’amélioration de la pertinence des formations et de la qualité des enseignements. Cela passerait par la mise en place d’un conseil réunissant les acteurs du monde universitaire et économique, ainsi que la création d’incubateurs pour l’innovation.

Le plus urgent reste cependant de trouver un modèle de financement durable pour l’Université libanaise, qui accueille près de 80 000 étudiants, soit 34 % de la population estudiantine. Son sous-financement chronique, conjugué à la précarisation des enseignants et au nombre croissant de grèves, nuit à la qualité de l’enseignement et à la motivation des professeurs et des élèves.

Selon Moussa Soueidane, la réforme devrait aussi permettre aux professionnels qualifiés sans diplôme universitaire de faire valoir leurs compétences via des certifications officielles, sur le modèle des États-Unis ou de la Jordanie.

Une refonte indispensable mais complexe

Réformer un secteur gangrené par le désordre institutionnel et l’inadéquation des formations est un défi colossal. Avec 51 universités privées accueillant environ 158 000 étudiants, le Liban ne peut pas transformer en profondeur l’ensemble du système en un seul coup.

Un premier pas pragmatique serait de concentrer les efforts sur les dix universités qui accueillent 72 % des étudiants, soit plus de 113 000 jeunes, suggère le site économique « Sifr ». Car à défaut d’un plan d’action structuré et de financements adaptés, le Liban continuera à produire des diplômés inemployables, alimentant un cercle vicieux de précarité et d’exil des talents.