Une déclaration brève mais saisissante du Premier ministre Nawaf Salam, lors de la dernière réunion du Conseil des ministres – au cours de laquelle Karim Souaïd a été nommé gouverneur de la Banque centrale par vote – est passée presque inaperçue.
À la fin de la séance, Salam a ouvert une feuille de papier et a lu : « Il est connu que M. Souaïd n’était pas mon candidat pour plusieurs raisons, notamment mon attachement à la protection des droits des déposants et à la préservation des actifs de l’État. J’ai, avec plusieurs ministres, émis des réserves quant à sa nomination. Cependant, l’essentiel aujourd’hui est que le gouverneur – quel qu’il soit – s’engage dès à présent à respecter la politique financière réformatrice de notre gouvernement. »
Cette déclaration est lourde de sens. En liant ses réserves à la défense des droits des déposants et des actifs publics, le Premier ministre sous-entend-il que le nouveau gouverneur ne garantit pas ces priorités ?
Plus inquiétant encore : la nomination de Souaïd a été entérinée par un vote du Conseil des ministres, avec l’approbation des deux tiers des membres, apparemment en accord avec la volonté du Président. Faut-il en conclure que ceux qui ont voté en sa faveur ne se soucient pas non plus des droits des déposants et des actifs de l’État ?
Les mots de Salam ont un poids certain. Peut-être ne les a-t-il pas pensés au sens strict. Peut-être s’agit-il d’un faux pas rhétorique. Quoi qu’il en soit, ces propos méritent d’être clarifiés – voire justifiés.
Plus troublante encore est la mention vague de « plusieurs raisons ». Le Premier ministre en a cité deux – les droits des déposants et les actifs publics – mais qu’en est-il des autres ? Pourquoi ce flou ?
Et qu’en est-il des autres candidats ? Nombre d’entre eux sont hautement qualifiés et expérimentés. Qu’est-ce qui distingue fondamentalement Jihad Azour de Karim Souaïd, d’Eddy Gemayel ou d’autres candidats écartés à des étapes antérieures ? Les pistes de réforme financière sont connues. Le Liban ne réinventera pas la roue – il lui suffit de choisir parmi des modèles éprouvés.
Aucun responsable digne de ce nom, en cette période, n’accepterait sciemment de compromettre les droits des déposants ou de vendre les biens de l’État. Mais si l’histoire nous a appris quelque chose, c’est bien que les crises du Liban – qu’il s’agisse de faire appliquer un cessez-le-feu, de réformer l’administration, de restructurer la dette publique ou de restituer les fonds des déposants – ne se résolvent pas à coups de bonnes intentions. Comme l’a souligné Nawaf Salam, il s’agit avant tout de reconstruire l’État.
Ces objectifs ne sont pas à court terme. Ils exigent du temps – et surtout – un soutien extérieur. Sans coopération internationale, le Liban ne pourra ni régler sa crise de la dette, ni accueillir et rapatrier ses citoyens déplacés, dont beaucoup proviennent de villages en ruine.
Le précédent mandat présidentiel en est la parfaite illustration : beaucoup de mouvements, peu de résultats. L’ancien président et ses collaborateurs ont proposé des plans, lancé des initiatives, annoncé des projets – sans aboutir à des résultats tangibles.
Le Liban doit collaborer avec la communauté internationale pour surmonter ses crises. Et si celle-ci ne fait pas confiance aux responsables libanais – en leur compétence, leur intégrité, leurs intentions et leurs programmes – elle ne prendra même pas la peine d’offrir un conseil, encore moins une aide concrète.
Il faut cependant reconnaître un mérite au Premier ministre : sa transparence et son insistance pour que tous les nommés agissent sous l’égide du gouvernement, dans l’intérêt général, méritent d’être saluées. Que ce soit une révélation calculée ou un dérapage discursif, ses propos ont mis en lumière les dynamiques complexes qui influencent l’avenir financier du Liban.