Les Libanais ont accueilli avec espoir la formation d’un nouveau gouvernement, composé de ministres aux compétences reconnues, censés sortir le pays de sa crise économique étouffante. Mais cette scène n’est-elle pas familière ? N’avons-nous pas, à chaque nouveau mandat, placé nos espoirs dans des équipes promises à de grandes réformes ? Oui, mais cette fois, affirme-t-on, le gouvernement bénéficie d’un soutien international sans précédent.Son mandat sera couronné par des élections législatives censées insuffler un sang nouveau dans le corps du pouvoir législatif. N’était-ce pas le cas en 2022 ? mille fois oui. Ou donc réside le problème ?... et sa solution ?
Faire l’avocat du diable ne vise pas a nourrir le pessimisme, mais à affiner l’approches en se basant sur les expériences précédentes au cours desquelles le système économique en place a sapé toutes les tentatives de réforme, diluant les compétences dans l’acide de la corruption. Ajoutez a cela l’épuisement des ressources et l’absence de l’aide internationale.
Réformes horizontales
Le ministre des Finances, Yassine Jaber, a résumé l’ampleur des défis lors de sa première déclaration : les dossiers économiques doivent être traités « horizontalement », sans donner priorité a un secteur au détriment d’un autre. Parmi ces défis : la répartition des pertes dans le système financier, la restructuration bancaire, la gestion de la dette publique, les négociations avec les détenteurs d’euro-obligations, la sortie de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI), la crise des réfugiés syriens, les compensations de fin de service, et la lutte contre la corruption. À cela s’ajoutent la relance de l’économie, la réduction du chômage, la mise en place d’organismes de régulation dans des secteurs clés comme l’électricité, les télécommunications ou encore le transport public.
Une pléthore de défis
Chacune de ces réformes a déjà été un champ de bataille dans le passé, opposant les nécessités économiques aux intérêts des élites en place. Jad Ghosn, journaliste spécialisé en économie, doute que la nouvelle équipe puisse briser ce cycle. Selon lui, « la formation du gouvernement n’a pas été conditionnée par des négociations politiques solides sur les grandes orientations économiques. »
Des personnalités comme le ministre de l’Economie Amer Bsat, ancien fonctionnaire du FMI et ancien directeur des marchés émergents chez BlackRock (un important détenteur d’euro-obligations libanaises), s’alignent étroitement sur de nombreuses solutions avec Jaber. Mais ces mêmes acteurs ont participé aux désaccords budgétaires qui ont fait dérailler les précédentes négociations entre le Liban et le FMI. Par exemple, une sous-commission parlementaire a estimé les pertes du système financier à 73 000 milliards de livres libanaises, tandis que le gouvernement, s’appuyant sur le cabinet de conseil Lazard, a fixé ce chiffre à 241 000 milliards. Le FMI a rejeté le chiffre inférieur, le qualifiant d’irréaliste, ce qui a finalement bloqué les négociations.Le FMI : partenaire incontournable ?
La capacité du Liban à conclure un accord avec le FMI dépendra de l’équilibre des forces au sein du gouvernement. Ghosn est clair : « Sans accord avec le FMI, il est difficile d’imaginer un redressement économique, à moins de croire que le pays peut se passer de tout emprunt externe. »
Pourtant, une frange de la classe politique plaide pour une rupture avec le FMI, estimant que ses exigences alourdiront l’économie, feront fuir les investissements et mineront la confiance dans le secteur bancaire. Une position qui alimente le débat sur la souveraineté économique du pays.
Au-delà de l’accord avec le FMI, un autre défi majeur se profile : l’application de douze lois anti-corruption votées entre 2008 et 2023. Selon l’avocate Dr. Judit Al-Tini, ces lois, bien que promulguées, restent inopérantes faute de décrets d’application. Elles couvrent des domaines essentiels comme la transparence financière, la lutte contre le blanchiment d’argent, et la récupération des fonds détournés. Leur mise en œuvre se heurte aux résistances des élites économiques et politiques, qui craignent pour leurs privilèges.
Un optimisme prudent
Face à ce tableau complexe, une citation d’un proverbe Libanais par le président du Parlement Nabih Berri semble résumer l’attente prudente des Libanais : « On ne peut pas dire que les fèves sont dans le sac tant qu’on ne les y a pas vues. » Le nouveau gouvernement saura-t-il cette fois combler le fossé entre ambitions politiques et réalités économiques ? Le pays reste suspendu à cette question cruciale.