L'image d'un pays uni, capturée dimanche dernier à la cathédrale maronite Saint-Georges, au cœur de Beyrouth, lors de la célébration de la fête nationale de Saint-Maron, a réveillé un sentiment de cohésion nationale disparu depuis des années. Cette résurgence de l'unité intervient à la suite de l'élection d'un président de la République et de la formation d'un nouveau gouvernement, mettant ainsi fin à plus de deux ans de vide politique. Cependant, cette façade d'unité doit impérativement se traduire par un changement profond et durable.
Le gouvernement s'est assigné une double mission : réformer et sauver. Le Premier ministre, Nawaf Salam, a tenu ses engagements initiaux en séparant les fonctions ministérielles et parlementaires, en s'abstenant de choisir des ministres ayant des ambitions législatives immédiates et en écartant les personnalités ouvertement partisanes de son cabinet. Il reste à voir s'il maintiendra sa promesse de préserver l'exécutif de toute interférence partisane, en s'appuyant sur un gouvernement homogène et déterminé.
Quelques jours avant l'annonce officielle de la formation du gouvernement, les négociations au palais présidentiel avaient pourtant achoppé. Entre la réunion de jeudi et l'annonce de samedi, la visite de Morgan Ortagus, adjointe de l'émissaire américain pour le Moyen-Orient, a marqué un tournant. Depuis le palais présidentiel, elle a déclaré la fin de l'ère du Hezbollah, une perspective difficile à accepter pour l'entourage du parti.
La question cruciale demeure : qu'est-ce qui a finalement permis de débloquer la formation du gouvernement ?
Plusieurs facteurs ont contribué à cette avancée décisive après 27 jours de négociations menées par Nawaf Salam. L'élan ayant conduit à l'élection de Joseph Aoun à la présidence et à la nomination de Salam à la tête du gouvernement, combiné à la prise de conscience par le Hezbollah des pressions régionales et internationales s'opposant à sa participation directe au gouvernement, ont été déterminants. C'est ainsi Nabih Berri, président du Parlement et chef du mouvement Amal, qui a assuré sa représentation indirecte.
L'urgence économique, omniprésente depuis 2019, a également joué un rôle crucial. Le président s'est engagé à atténuer cette crise en attendant des solutions pérennes. Mais le facteur le plus déterminant reste l'impératif de reconstruction après les récentes destructions causées par la guerre de soutien à Gaza menée par le Hezbollah depuis le Sud-Liban, sans consultation ni même notification du gouvernement. La riposte israélienne, d'une ampleur dévastatrice, a frappé non seulement le parti, mais l'ensemble du pays, entraînant le déplacement de plus d'un million de Libanais, qu'ils soient partisans ou opposants du Hezbollah. Face à l'incapacité du parti à indemniser les sinistrés, la reconstruction est devenue une nécessité impérieuse.
Maintenant que le gouvernement est en place et affiche des intentions résolues, il doit affronter une multitude de défis.
La priorité absolue est la crise économique, qui exige des mesures rapides et décisives. La situation intérieure est alarmante, caractérisée par des palliatifs en l'absence d'une approche structurelle.
Sur le plan international, l'inscription du Liban sur la liste grise du Groupe d'action financière accroît la surveillance et les restrictions financières. Le gouvernement doit impérativement revoir le budget, en particulier après la proposition d'un projet par l'ancien cabinet totalement déconnecté des réalités économiques. Il est essentiel que l'État reconnaisse que, ces dernières années, le financement public reposait de manière disproportionnée sur une catégorie de Libanais, paradoxalement la moins bénéficiaire de ses contributions.
Un autre défi majeur consiste à obtenir le retrait d'Israël des positions récemment occupées dans le Sud-Liban à la suite de la guerre de soutien à Gaza.
Le gouvernement doit également préparer les prochaines échéances électorales, municipales et législatives, comme l'a souligné le Premier ministre lors de sa première déclaration au palais présidentiel.
Le travail de l'exécutif commence par la gestion des urgences quotidiennes : relancer l'administration et trouver une solution équitable à la crise des dépôts bancaires, afin de restaurer la confiance des déposants, créanciers et investisseurs dans le secteur bancaire. Cela encouragera les Libanais de la diaspora, ainsi que les pays et institutions internationales, à réinvestir au Liban.
L'enjeu fondamental réside dans les premières mesures que ce gouvernement adoptera au cours des quinze prochains mois pour rétablir la confiance, en se fondant sur une vision claire de l'avenir, transcendante aux intérêts partisans et aux divisions actuelles.