Le président algérien Abdelmadjid Tebboune clôture sa visite historique à Moscou avec une rencontre décisive avec son homologue russe, Vladimir Poutine, scellant ainsi une alliance profonde entre les deux nations. Au terme de discussions fructueuses et franches, le président algérien a mis en évidence une convergence de vues sur des questions d'intérêt commun, telles que la question palestinienne et le soutien de l'Algérie à l'indépendance du Sahara occidental face au Maroc, ainsi que la situation en Libye et dans la région du Sahel africain. Lors de cette visite, le président Tebboune a réaffirmé la demande de son pays de rejoindre le groupe BRICS, composé de la Russie, de la Chine, de l'Inde, du Brésil et de l'Afrique du Sud, soulignant que le président Poutine a soutenu l'adhésion de l'Algérie au sein de cette organisation. De plus, l'Algérie a affirmé son objectif de réduire sa dépendance vis-à-vis du dollar et de l'euro dans ses échanges commerciaux internationaux.

De son côté, le président russe a souligné l'importance stratégique des relations entre Moscou et Alger, considérant l'Algérie comme l'un de ses partenaires les plus importants. Il a mis en avant la coopération bilatérale dans les domaines militaire et de lutte contre le terrorisme. Poutine a également souligné le rôle crucial de l'Algérie en tant que partenaire économique pour la Russie, exprimant sa volonté de doubler les échanges commerciaux entre les deux pays. En effet, les relations entre la Russie et l'Algérie revêtent une importance particulière pour la Russie en raison de leur dimension stratégique, comme en témoigne la récente signature d'un accord de coopération spatiale entre les deux nations.

L'Algérie fait face au duel Washington-Paris.

Il est important de souligner les liens historiques qui unissent l'Algérie à la Russie depuis l'époque de la Guerre froide. Cependant, ces relations ont récemment connu un renouveau et se sont renforcées en raison de la détérioration des liens entre l'Algérie d'une part, les États-Unis, et d'autre part, la France. Cette situation a conduit l'Algérie à rechercher un allié solide face à ces deux puissances occidentales.

La détérioration des relations avec les États-Unis est due à plusieurs facteurs, dont le plus important est le soutien de Washington au Printemps arabe. Ce mouvement a renversé le régime tunisien en 2011, le remettant aux Frères musulmans, avant que le président tunisien Kaïs Saïed ne les renverse au cours des deux dernières années. De plus, le Printemps arabe a créé une situation d'instabilité en Libye, mettant en péril la stabilité d'un pays d'une importance cruciale pour la sécurité nationale de l'Algérie. Par ailleurs, ce mouvement a également touché l'Algérie elle-même, qui aurait pu en être victime si l'armée algérienne n'avait pas réussi à contenir la situation et à rétablir la stabilité dans le pays.

La deuxième raison qui a conduit à la détérioration des relations avec les États-Unis est la reconnaissance, en 2020, par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange de la normalisation des relations entre Rabat et Israël. L'Algérie a affirmé que cette décision des États-Unis "n'a pas de validité juridique car elle contredit les résolutions des Nations Unies, notamment celles du Conseil de sécurité concernant le Sahara occidental."

Le soutien américain à l'expansion de l'influence israélienne en Afrique représente le troisième motif de tension. L'Algérie perçoit cette situation comme un défi, d'autant plus que les États-Unis ont exercé des pressions sur l'Union africaine pour qu'elle accepte Israël en tant qu'observateur, jusqu'à ce que l'Algérie et l'Afrique du Sud interviennent pour l'exclure.

Concernant la France, les relations avec l'Algérie se sont détériorées en raison de l'émergence d'un courant, mené par le président Abdelmajid Tebboune, qui appelle à une réduction des liens avec Paris. La France soutient des tendances séparatistes parmi les Berbères, ce qui représente une menace pour la sécurité nationale de l'Algérie. De plus, l'Algérie observe avec méfiance le rôle joué par la France en Libye, en particulier son implication clé dans la chute du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, dans le but d'étendre son influence sur ce pays. L'Algérie exprime également des préoccupations quant au rôle traditionnel de la France en Afrique de l'Ouest, illustré par une intervention militaire directe dans la région du Sahel, allant de la Mauritanie à l'ouest au Tchad et au Soudan à l'est.

Ces tensions entre les deux pays ont été manifestées à plusieurs reprises. En 2021, le gouvernement français a considérablement réduit le nombre de visas délivrés aux Algériens, ainsi qu'aux Marocains et aux Tunisiens, en invoquant un manque de coopération de la part de ces pays dans la lutte contre l'immigration irrégulière en provenance de la France. En octobre 2021, l'Algérie a rappelé son ambassadeur en France pour protester contre les déclarations du président français Emmanuel Macron, dans lesquelles il affirmait que l'Algérie était gouvernée par un régime militaire dominé par l'armée. En réponse, l'Algérie a interdit les survols de son territoire par les avions militaires français se dirigeant vers des opérations au Mali, au Niger et au Tchad, sous prétexte de lutte contre le terrorisme. La visite du président Macron en Algérie en août 2022 n'a pas réussi à apaiser les tensions entre les deux pays.

Le rôle stratégique de l'Algérie pour la Russie.

Les relations entre la Russie et l'Algérie ont des bases solides qui remontent à l'époque de l'Union soviétique pendant la guerre froide. Cependant, l'Algérie a retrouvé une importance considérable pour Moscou après la chute du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi à l'automne 2011. Cette chute a été un coup dur pour l'influence russe en Afrique du Nord, étant donné la relation étroite entre la Libye et Moscou pendant le règne de Kadhafi, ainsi que le rôle de la Libye en tant que point d'entrée de l'influence russe dans la région du Sahel africain.

Face à cette situation, le président Poutine s'est efforcé de compenser les erreurs commises pendant le mandat de Dmitri Medvedev (2008-2012). Mikhail Bogdanov, responsable des affaires du Moyen-Orient au ministère russe des Affaires étrangères, a tissé des liens étroits avec le général libyen Khalifa Haftar, qui s'oppose au gouvernement libyen d'entente nationale basé à Tripoli. De plus, la Russie a soutenu l'expansion de l'influence de la société militaire privée russe Wagner en Libye orientale, ainsi que dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne tels que le Tchad, le Soudan, la République centrafricaine, le Mali et la Guinée-Bissau.

Ces actions font partie de la stratégie de Moscou visant à étendre son influence sur le continent africain, en réponse à l'influence traditionnelle américaine et européenne, et en collaboration avec la Chine. Les pays africains voient dans leurs relations avec la Russie et la Chine une opportunité de contrer la domination occidentale traditionnelle sur le continent. Par conséquent, la Russie et la Chine proposent actuellement des offres économiques généreuses et politiquement inconditionnelles aux pays africains, ce qui renforce leur influence au détriment des pays occidentaux qui tentent d'imposer des valeurs contradictoires avec celles de l'Afrique, comme une vision unilatérale de la liberté d'expression, des droits de l'homme et des droits des minorités sexuelles.

En conséquence, la Russie voit en l'Algérie un allié de poids, capable de servir de solide base pour étendre son influence dans la région de l'Afrique du Nord et le littoral africain, en remplacement de la Libye. Cette collaboration pourrait être complétée par le partenariat entre la Russie et l'Afrique du Sud au sein du système BRICS, où Pretoria deviendrait un point de départ stratégique pour l'influence russe dans la région située au sud de l'équateur africain, tandis que l'Algérie jouerait un rôle similaire dans la région au nord de l'équateur. Cette situation renforcerait le poids de Moscou sur le continent africain, face à l'influence occidentale, en particulier dans le contexte du conflit en cours en Ukraine, qui est devenu un terrain de lutte par procuration entre l'Occident et la Russie.

Conclusion

Dans un contexte où l'Algérie se retrouve face à l'influence croissante des États-Unis et de la France en Afrique de l'Ouest, le pays pourrait bien trouver un allié solide en la Russie pour rétablir l'équilibre. En effet, la Russie pourrait offrir à l'Algérie le moyen de contrer le soutien de Washington à ses adversaires, notamment Israël et le Maroc, tout en contrecarrant les tentatives françaises visant à imposer leur domination sur des zones cruciales pour la sécurité nationale algérienne, comme la Libye et les pays du Sahel africain.

Dans cette dynamique, l'Algérie se positionnerait comme un partenaire stratégique de premier plan pour la Russie en Afrique du Nord, offrant ainsi à Moscou une opportunité d'étendre son influence dans la région du Nord et de l'Ouest de l'Afrique au détriment de l'influence traditionnelle des puissances occidentales. Cette perspective pourrait également s'inscrire dans le cadre d'une coopération renforcée entre Moscou et l'Afrique du Sud, avec pour objectif commun de consolider leur emprise sur la région africaine située au sud de l'équateur.

Ces développements surviennent à un moment où l'Afrique se transforme en un véritable champ de bataille, opposant d'un côté le bloc des pays occidentaux rassemblés au sein de l'OTAN, et de l'autre le bloc des pays eurasiatiques. La compétition pour l'influence sur le continent africain atteint désormais un niveau crucial, et l'Algérie, dans ce contexte, se présente comme un acteur clé dont la position stratégique est en train de gagner en importance.