En attente d'une opportunité de fuite du Liban avec sa famille, Mahmoud S. exprime le sentiment général des réfugiés syriens qui résident au Liban, en particulier ceux qui redoutent que le récent sommet arabe à Jeddah ne marque le début d'un processus de rapatriement forcé vers leur pays d'origine.

Âgé d'une quarantaine d'années, Mahmoud S. travaille avec son frère dans une épicerie, tandis que ses enfants gagnent de l'argent de poche grâce à divers petits boulots. En plus de cela, la famille bénéficie d'aides financières mensuelles de la part d'organisations internationales. “Nous mettons de côté l'argent que nous gagnons pour couvrir les frais de voyage et les dépenses”, déclare Mahmoud, assurant qu'il ne se risquera pas à voyager à bord de ces bateaux qui ont sombré, car les passeurs qui sont en contact avec eux lui ont promis des moyens plus sûrs.

Les paroles de Mahmoud sur les “bateaux de la mort”, ainsi qu'ils ont été surnommés, ont rappelé à sa femme les images des enfants perdus en mer et les tragédies vécues par des familles en deuil. Elle le coupe en affirmant avec certitude : “Soit un voyage sûr et sécurisé, soit pas de voyage du tout.” Leur dialogue se poursuit et s'approfondit jusqu'à parvenir à un accord, à savoir que le risque persiste, mais qu'il faut tout mettre en œuvre pour le réduire.

Les réseaux de traite des êtres humains opèrent activement, utilisant des méthodes et des moyens variés, tandis que la question est devenue une véritable mine d'or pour les trafiquants. Inlassablement, ces réseaux s'emploient à faire transiter clandestinement des migrants par voie maritime, terrestre et aérienne, moyennant des sommes d'argent pouvant atteindre des milliers de dollars par individu, même si le voyage par mer demeure l'option la moins coûteuse parmi celles-ci.

Le jeune trentenaire surnommé “Abou Ali” a dévoilé devant nous une carte, ses mains tatouées couvrant sa surface, pour ensuite entamer une explication détaillée des moyens de déplacement d'un lieu à un autre, en se concentrant notamment sur la méthode de voyage vers la Turquie à des fins touristiques.

Il est possible de réserver un billet d'avion aller-retour pour un tarif oscillant entre 100 et 300 dollars américains en fonction de la saison, et il est essentiel de réserver un billet de retour afin d'éviter les soupçons. En partant de Turquie, de nombreux bateaux et yachts proposent des voyages maritimes vers les ports européens voisins. Le prix varie selon le type d'embarcation et le nombre de passagers, allant d'environ deux mille dollars américains à parfois dix mille dollars.

La Grèce constitue généralement la première destination, suivie de la Bulgarie. Certains trafiquants ne facturent que les frais du voyage par mer, tandis que d'autres se chargent de transporter les migrants jusqu'à leur destination finale en combinant différents modes de transport, aérien, maritime et terrestre.

Selon Abou Ali, “tout repose sur l'argent”, mettant en évidence le rôle de ses contacts qui s'occupent de verser des pots-de-vin à plusieurs points de passage frontaliers. Pour lui, il s'agit simplement d'un vaste réseau d'intérêts, de relations et de profits considérables, dans le contexte des crises économiques et financières qui sévissent à travers le monde, frappant particulièrement les travailleurs modestes; les premiers bénéficiaires de cette situation sont les gardes-frontières.

Lorsqu'on l'interroge sur sa clientèle, Abou Ali affirme que la plupart d'entre eux sont des Syriens dont les proches ont réussi à rejoindre l'Europe et qui leur font parvenir des nouvelles de la situation là-bas. Cependant, il ne faut pas négliger le nombre de Libanais qui font également appel à ses services, tout comme certains réfugiés palestiniens et d'autres nationalités arabes qui rejoignent progressivement la liste des “bénéficiaires de nos services”.

La crise financière, économique et sociale qui sévit au Liban a eu des répercussions sur l'ensemble de la population, tant les Libanais que les réfugiés syriens et palestiniens. Alors qu'à leurs débuts, les réfugiés étaient en concurrence avec les Libanais dans des emplois saisonniers et manuels tels que l'agriculture et la construction, ils sont aujourd'hui présents dans tous les secteurs de l'économie du pays. Ils occupent des postes dans des commerces, des échoppes de légumes, des salons de coiffure et exercent des métiers de réparation, entre autres. La situation en est même venue à susciter une compétition entre les femmes syriennes et libanaises en ce qui concerne le taux de natalité, créant ainsi une tension palpable.

Même de nombreux syndicats ouvriers ont tiré la sonnette d'alarme face aux risques liés à l'embauche de travailleurs syriens, une situation qui menace d'inciter les spécialistes libanais à envisager l'émigration. Cette concurrence a poussé les Libanais à rivaliser avec les Syriens pour réserver leur place à bord des sinistres “bateaux de la mort”, et l'Europe demeure la destination convoitée. En effet, le Vieux Continent possède une longue tradition d'offrir un refuge sûr aux réfugiés. La plupart des pays européens ont ainsi signé un accord en 1951 pour établir le statut des personnes contraintes de fuir leur pays en raison des ravages de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd'hui, les réfugiés syriens au Liban se retrouvent confrontés à la problématique de l'absence de signature par le Liban de l'accord relatif aux réfugiés, une lacune que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés tente de contourner en conditionnant la remise des données sur les déplacés à l'obtention d'un permis de séjour délivré par les autorités libanaises. Cette approche se heurte au refus de Beyrouth pour des raisons diverses. De plus, plusieurs acteurs libanais estiment que l'octroi de permis de séjour constitue une forme de naturalisation qui menace l'identité nationale et l'équilibre démographique fragile du pays, particulièrement en ces temps de crises qui frappent durement la nation.

Par ailleurs, la question de l'afflux de Syriens vers le Liban refait surface et demeure prégnante jusqu'à ce qu'une autre crise la relègue temporairement à l'arrière-plan, avant de réapparaître avec une vigueur redoublée. Cette problématique évolue sans cesse, portée par l'augmentation du nombre de déplacés qui font face à une détérioration des conditions de vie au Liban. Et cette détérioration affecte l'ensemble des résidents.

Hier, lors du sommet de la Ligue arabe, Damas a reçu sa part du gâteau avec l'adoption de résolutions, dont le communiqué final appelle à “intensifier les efforts arabes visant à aider la Syrie à surmonter sa crise et à renforcer les conditions propices au retour des réfugiés syriens tout en préservant l'unité et l'intégrité territoriale du pays”. Pour certains, cela représente une opportunité idéale pour relancer la question des réfugiés syriens au Liban, en partant du principe que la reconstruction de la Syrie nécessitera une main-d'œuvre abondante, ouvrant ainsi la porte à des sources de revenus et des opportunités d'emploi pour tous. De plus, il est possible que les conditions en Syrie soient meilleures qu'au Liban, notamment en termes de surpopulation, sans oublier les autres aspects à prendre en considération.