Les tensions entre l’Égypte et Israël se sont récemment intensifiées après que des responsables israéliens ont exigé du Caire le démantèlement de sa présence militaire dans la péninsule du Sinaï, qualifiant cette demande de priorité absolue. Ils ont également appelé les États-Unis à faire pression sur l’Égypte pour qu’elle s’y conforme, arguant que ce déploiement militaire croissant viole les termes des Accords de Camp David signés en 1979 – l’un des accords les plus marquants de l’histoire du Moyen-Orient, puisqu’il a constitué la première reconnaissance officielle d’Israël par un pays arabe.
Les Accords de Camp David ont défini un cadre précis pour la présence militaire égyptienne dans le Sinaï, divisant la péninsule en trois zones distinctes :
Zone A
Située à la frontière égyptienne avec le golfe de Suez, cette zone autorise le déploiement d’une division d’infanterie d’environ 24 000 soldats, équipée de tout son armement.
Zone B
Placée au centre du Sinaï, entre les zones A et C, elle permet la présence d’une brigade unique composée de gardes-frontières et de policiers civils, dotés d’armes légères et de systèmes d’alerte précoce (environ 4 000 hommes).
Zone C
Directement adjacente à Israël, cette zone est strictement limitée aux forces de police civile et à une force de maintien de la paix de l’ONU légèrement armée. Aucun soldat égyptien ne peut y être déployé.
Cette division – en particulier l’exclusion militaire de la zone C – a facilité les opérations du Hamas, notamment la construction de tunnels reliant Gaza au Sinaï pour le trafic d’armes et la mise en place de réseaux logistiques visant à renforcer ses capacités militaires. Par ailleurs, la faible présence militaire égyptienne dans la zone B a offert aux groupes armés, y compris les factions islamistes radicales, des occasions de mener des attaques contre les forces de sécurité, déjà peu nombreuses.
Les tensions se sont encore accrues lorsque l’Égypte a renforcé sa présence militaire à la frontière avec Gaza, rejetant fermement toute proposition visant à relocaliser des Palestiniens dans le Sinaï. Ces développements surviennent alors que les négociations de trêve – auxquelles Le Caire accordait beaucoup d’espoir – sont dans l’impasse.
Quels sont donc les enjeux stratégiques de cette demande israélienne ? Quelles pourraient en être les répercussions sur la sécurité nationale égyptienne et régionale ? Et comment cela s’inscrit-il dans la dynamique géopolitique plus large du Moyen-Orient ?
Le Sinaï : pilier de la sécurité nationale égyptienne
La péninsule du Sinaï constitue à la fois la profondeur stratégique de l’Égypte et sa première ligne de défense. Elle représente aussi un point de jonction vital entre l’Afrique et l’Asie, ainsi qu’entre la mer Rouge et la Méditerranée. Depuis 2011, la région a vu monter en puissance la menace terroriste, poussant l’Égypte à renforcer sa présence militaire – une décision nécessitant des amendements coordonnés des Accords de Camp David, avec l’accord d’Israël. Mais la dernière exigence israélienne relance le débat sur la volonté réelle de Tel-Aviv d’accepter une montée en puissance militaire égyptienne dans le Sinaï, surtout dans un contexte de bouleversements régionaux.
Les motivations géopolitiques et sécuritaires d’Israël
Limiter la puissance militaire égyptienne
Certains milieux israéliens estiment que la montée en puissance militaire de l’Égypte dans le Sinaï pourrait modifier les règles d’engagement futures.
Prévenir un redéploiement stratégique
Dans un contexte régional instable, Israël redoute que l’Égypte ne réoriente un jour sa puissance militaire vers un affrontement potentiel. Elle souhaite maintenir l’armée égyptienne dans un cadre strictement défini.
Influence sur la stratégie à Gaza
Tout déséquilibre militaire dans le Sinaï pourrait affecter la stratégie israélienne vis-à-vis de Gaza, où le rôle croissant de l’Égypte pourrait redéfinir l’équation Gaza-Israël.
Des dimensions stratégiques et géopolitiques plus larges
Cette situation s’inscrit dans un réalignement géopolitique plus vaste au Moyen-Orient, qui comprend :
La lutte pour le contrôle des routes maritimes
Le Moyen-Orient est le théâtre d’une compétition accrue pour le contrôle des points de passage maritimes stratégiques tels que le canal de Suez, le détroit de Bab el-Mandeb et le détroit d’Ormuz. Les tensions croissantes en mer Rouge, attisées par l’intervention iranienne et les attaques houthies contre des navires commerciaux, incitent Israël à s’assurer que le Sinaï ne devienne pas une base militaire égyptienne capable d’entraver sa liberté de mouvement maritime.
Les rivalités régionales
Israël veut également empêcher toute puissance régionale alliée à l’Égypte d’utiliser le Sinaï comme levier stratégique – notamment dans un contexte où la crise économique égyptienne, particulièrement alarmante, pourrait la rendre plus vulnérable aux influences extérieures.
Un nouvel équilibre militaire en mutation
Depuis des décennies, Israël compte sur sa supériorité militaire qualitative. Mais elle constate aujourd’hui que l’Égypte dispose de systèmes d’armement avancés et diversifiés, incluant des systèmes de défense aérienne modernes et des avions de chasse de nouvelle génération. Réduire l’infrastructure militaire égyptienne dans le Sinaï est ainsi devenu une priorité stratégique pour Israël afin de préserver son avantage militaire.
Les options stratégiques de l’Égypte
Face à cette exigence israélienne, l’Égypte peut envisager plusieurs options stratégiques :
Rejet pur et simple
L’Égypte pourrait rejeter officiellement la demande israélienne en s’appuyant sur les ajustements bilatéraux réalisés au cours de la dernière décennie sous l’égide des États-Unis, et justifiés par la lutte contre le terrorisme et les évolutions sécuritaires régionales.
Renégociation
Le Caire pourrait proposer de nouveaux amendements aux Accords de Camp David pour consolider sa présence militaire, tout en fournissant des garanties sécuritaires à Israël.
Renforcement des alliances régionales
L’Égypte pourrait renforcer ses partenariats avec des puissances régionales et internationales – comme les États-Unis, la France, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – afin de consolider son appui stratégique et faire contrepoids à la pression israélienne visant à limiter son déploiement militaire dans le Sinaï.
*Ancien Ministre