Parmi les chapitres les plus marquants qui ont été clos au cours des 52 jours ayant suivi l’élection du président Joseph Aoun, le 9 janvier 2025, figure sans doute celui du "Liban-champ de bataille", un pays longtemps livré aux guerres qui l’ont ravagé pendant un demi-siècle. Aujourd’hui, même tardivement, le Liban s’éveille à sa véritable identité : une nation de paix et de coexistence, et non un champ de bataille pour des conflits étrangers.
Ce réveil n’est pas uniquement le fruit d’une prise de conscience nationale, mais aussi d’une réalité imposée par le contexte régional et international. Le Liban, épuisé par des décennies de conflits, n’est plus une carte maîtresse dans les jeux d’influence et d’équilibre des puissances. Plus encore, il n’existe plus d’acteurs extérieurs capables de l’exploiter comme par le passé, à l’image des régimes iranien et syrien qui se sont successivement effondrés. Ni l’un ni l’autre ne peuvent désormais instrumentaliser le pays, que ce soit directement ou par procuration. Par ailleurs, aucune puissance régionale ne semble aujourd’hui vouloir le soumettre à un nouveau projet stratégique d’alignement.
Certes, les ramifications de ces régimes ne sont pas totalement paralysées, mais elles ont perdu leur emprise sur le pays, au point de ne plus pouvoir le transformer en monnaie d’échange dans les négociations, ou en un terrain d’affrontements.
Une nouvelle autorité qui impose son autorité
Cette évolution s’est manifestée à travers la trilogie du nouvel État – Présidence, Gouvernement et Armée – dans l’épreuve décisive des affrontements autour des routes de l’aéroport. Le Hezbollah, en cherchant à défier l’autorité de l’État dès sa naissance, a été contraint de constater que ce dernier pouvait répondre avec force et détermination. Cette réussite augure d’une riposte similaire face à toute tentative future de mise à l’épreuve, notamment lors des funérailles prévues dimanche, si elles devaient dévier du cadre établi.
La déclaration du président Joseph Aoun devant le "Club de la presse", que "la décision libanaise est unifiée dans le choix diplomatique, car personne ne veut la guerre, tout le monde veut l’État… n’est pas une déclaration anodine. Les Libanais sont fatigués de vivre derrière des barricades". Un message réitéré dans le communiqué conjoint des trois présidents – Aoun, Nabih Berri (président du parlement) et Nawaf Salam (premier ministre) – à l’issue de leur réunion au palais présidentiel.
De même, la déclaration ministérielle du gouvernement, sur laquelle repose le vote de confiance au Parlement, affirmerait clairement "l’éloignement du Liban des conflits extérieurs". Une formulation qui scelle la transition vers une ère de paix, fondée sur la diplomatie et la légitimité internationale pour récupérer les territoires encore occupés par Israël.
Certains ont relevé que le texte parle d’"éloignement du Liban" et non de "neutralité positive", comme mentionné dans le discours d’investiture. Mais la nuance est purement lexicale, le fond demeure inchangé : il s’agit d’affirmer une politique de dissociation des conflits régionaux, tout en ménageant les sensibilités politiques internes.
Un tournant dans la rhétorique politique
Cette précision linguistique en rappelle une autre, qui a fait sourire : la controverse autour de l’expression "droit de l’État libanais" à se défendre, que certains ont tenté de remplacer par "droit du Liban", sous-entendant implicitement "droit du peuple" et, par extension, la notion de "résistance". Or, le texte officiel a soigneusement évité ce terme, tout comme l’avait fait le discours d’investiture et les déclarations du Premier ministre.
Ce débat sémantique illustre une tentative de manipuler les termes pour satisfaire une frange de l’opinion publique, une pratique politique courante en période de crise. Pourtant, d’un point de vue juridique et constitutionnel, l’État repose sur trois piliers : le peuple, le territoire et l’autorité. "Liban" englobe ces trois éléments, à commencer par son peuple.
Mais l’ère des slogans populistes semble bel et bien révolue avec la fin des guerres. Autrefois nécessaires pour mobiliser et galvaniser les partisans, ces discours ont progressivement perdu de leur substance face aux réalités du terrain. Les obsèques populaires prévues à Beyrouth et sur la route de l’aéroport seront sans doute l’un des derniers témoins de cette rhétorique de mobilisation, alimentée par des tensions et frustrations bien connues.
Un retour inévitable à l’État
Ceux qui refusent encore de rejoindre le train de l’État devront, tôt ou tard, le faire sous la pression des réalités politiques et de la disparition progressive des leviers leur permettant de maintenir leur posture. L’aveu d’impuissance de leurs dirigeants face aux coûts colossaux de la reconstruction et leur incapacité à poursuivre la lutte armée ne laissent guère d’alternative.
On ne peut, d’un côté, se ranger derrière l’État pour la reconstruction et, de l’autre, lui barrer la route lorsqu’il s’agit de décisions souveraines, notamment celle de libérer les territoires occupés par la diplomatie et la coopération internationale.
Déformer la vérité ne changera pas les faits. L’un des députés du Hezbollah a récemment attribué la libération des villages frontaliers à "la résistance et aux habitants", occultant le rôle déterminant de l’État libanais – par son armée, sa diplomatie et sa pression politique via les Nations Unies. C’est pourtant bien l’action de l’État, encadrée par la résolution 1701 de 2006 et, avant elle, par la résolution 425, qui a permis ces avancées. Et c’est cette même approche qui mènera, à terme, à l’application des résolutions 1559 et 1680.
Le Liban émerge enfin des ténèbres des conflits pour entrer dans une nouvelle ère de stabilité et de prospérité. Il offre désormais un refuge sûr à tous ses citoyens, y compris à l’environnement social du Hezbollah, qui a trop souffert des pertes humaines et matérielles.
Il est temps de rompre avec la logique du sacrifice perpétuel et de l’isolement, tant au sein du pays qu’à l’échelle internationale. Car la reconstruction de l’avenir ne pourra se faire qu’à travers un État souverain, fort de ses institutions et de son engagement dans l’ordre mondial.