Les Libanais – peuple, dirigeants, responsables politiques et observateurs – s’accordent sur une vérité incontournable : le pays a scellé un chapitre de son histoire pour en entamer un nouveau. Cependant, l’incertitude demeure quant à la nature de cette nouvelle phase, chacun l’interprétant à l’aune de ses aspirations, de ses calculs et, parfois, de ses paris politiques.
L’ancienne page, avec son lot de crises, de drames humains et de destructions, est bien connue. Quant à la nouvelle, elle reste floue, tant son avenir est lié aux évolutions régionales. Mais un élément s’impose progressivement : l’émergence d’un cadre national qui prend forme depuis cinq semaines, s’étendant aux institutions dans une dynamique ascendante, alors que l’édifice étatique se reconstruit, étape par étape, du sommet jusqu’aux niveaux intermédiaires et inférieurs du pouvoir.
La consolidation des instances exécutives à ses trois niveaux, dans un élan rapide et confiant, annonce une dynamique décisive dans la formulation et l’application des décisions fondamentales. Ce processus doit permettre de redonner souffle à l’État, d’affirmer sa primauté et de rétablir son autorité exclusive sur trois secteurs clés : la sécurité, la justice et l’économie.
D’ores et déjà, l’État commence à reprendre la main sur les frontières libanaises au sud, à l’est et au nord, tout en maintenant son contrôle à l’intérieur du pays pour prévenir toute atteinte à la stabilité nationale.
Le Liban-Sud : l’armée en première ligne
Au sud du Litani, les forces non-étatiques ont reculé derrière l’armée libanaise, après des tentatives de contournement sous prétexte du retour des déplacés dans leurs villages, ce qui a parfois conduit à des pertes humaines inutiles. L’armée libanaise se retrouve ainsi en première ligne pour l’application de la résolution 1701 et des dispositions du cessez-le-feu, avec un engagement clair et réaffirmé de la direction du Hezbollah à respecter les décisions prises par l’État et son armée.
Le retrait israélien des villages et collines occupés, prévu le 18 février sous la pression américaine, reste en suspens. Israël pourrait temporiser en exigeant des garanties supplémentaires, notamment concernant le désarmement du Hezbollah. Toutefois, c’est bien l’État libanais, aux côtés de la commission de surveillance et de la FINUL, qui a la charge de la gestion de la situation sur le terrain, s’appuyant sur la diplomatie et la légitimité du droit international. L’expérience a montré que la légalité demeure l’arme la plus puissante, après l’amère et destructrice confrontation militaire.
Le Hezbollah lui-même semble désormais conscient que l’État, avec sa légitimité, son armée et son action diplomatique, est le seul cadre viable pour la récupération des droits nationaux, qu’il s’agisse des frontières, des prisonniers ou du retour à la stabilité et à la reconstruction.
Cette même légitimité a d’ailleurs permis de préserver des infrastructures stratégiques, comme l’aéroport et le port de Beyrouth, des bombardements israéliens. Elle a également joué un rôle déterminant dans la négociation du cessez-le-feu, modulé par les rapports de force internationaux.
À l’Est : la stabilisation progressive des frontières
Dans la Békaa-Nord, à Hermel et jusqu’à Akkar, après des affrontements sanglants avec la Syrie, les tribus et le Hezbollah ont fini par reconnaître le rôle central de l’armée libanaise en tant que garante de la sécurité. Ils lui ont ainsi laissé le terrain et la gestion de la situation en coordination avec la nouvelle armée syrienne.
La fermeture des routes de contrebande, qui assuraient des revenus et du pouvoir armé, est apparue comme un moindre mal face aux pertes humaines et économiques. Dès lors, Beyrouth et Damas ont un intérêt commun à stabiliser ces frontières longtemps laissées sans contrôle, marquant une rupture avec les pratiques du régime syrien précédent.
Dans ce contexte, l’application de la résolution 1680 pour sécuriser les frontières du pays pourrait devenir un enjeu partagé par les deux États, quitte à envisager un appui des forces internationales, à l’image du Liban-Sud. Le Royaume-Uni s’est d’ailleurs déjà positionné pour fournir un soutien au déploiement d’un système de surveillance des frontières, notamment pour lutter contre la contrebande d’armes et de stupéfiants.
Un État en reconstruction et un retour progressif des déplacés
Ces avancées sécuritaires traduisent un tournant stratégique pour l’État libanais, qui regagne progressivement son autorité, assurant la protection des populations et des frontières. Ce retour à l’ordre favorise également le retour des déplacés, alors que l’État, fort de sa légitimité et de son armée, s’impose comme le premier des déplacés à retrouver sa place.
Forte de ces succès, la République libanaise s’engage dans un travail de fond pour restaurer la confiance des citoyens, qu’ils soient ses partisans de toujours ou ceux qui, longtemps sceptiques, redécouvrent aujourd’hui l’importance de son rôle.
Un État qui se veut rassembleur, garant de l’unité des Libanais où qu’ils se trouvent, et seul maître du destin national… en temps de paix, après la guerre.