Nos sociétés « modernes » sont atteintes d’une pandémie silencieuse : celle du report constant des tâches à accomplir. Ce fléau, qui touche désormais les décideurs, leur permet d’échapper à leurs responsabilités, de maintenir le statu quo et d’éviter toute reddition de comptes. L’exemple le plus frappant en est l’attitude des autorités libanaises qui, depuis trois ans, esquivent délibérément l’application des engagements pris avec le Fonds monétaire international.

Aujourd’hui, une question se pose : quel avenir pour « l’accord au niveau des experts sur les politiques économiques avec le Liban », signé en avril 2022 et censé permettre au pays de bénéficier d’un programme d’aide de quatre ans ? Cet accord, dont Beyrouth n’a pratiquement appliqué aucune clause, sera-t-il remis sur la table des négociations, ou est-il définitivement enterré ? Parallèlement, le Liban peut-il espérer sortir de son isolement économique sans un « sceau » du FMI ? Et surtout, reste à savoir si les « responsables » accepteront d’« avaler la pilule amère » des réformes, à moins d’y être contraints ?

Sans retour ?

Le FMI a quitté le Liban après sa dernière mission d’évaluation au printemps 2023, sans donner de signes de retour. Depuis, toutes les tentatives des responsables libanais de regagner les faveurs de la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, lors des réunions de printemps et d’automne du Fonds et de la Banque mondiale à Washington, ont échoué. Pour le FMI, l’amendement de la loi sur le secret bancaire et l’unification du taux de change ne suffisent pas. Le refus du Liban de restructurer son secteur bancaire et d’établir une répartition équitable des pertes a été jugé encore plus préoccupant.

« Il sera désormais difficile pour un futur gouvernement libanais de parvenir à un accord avec le FMI, même si cela reste théoriquement possible », estime Mounir Rachid, président du Forum économique libanais et ancien cadre au FMI. En cause : les exigences strictes du Fonds, difficiles à appliquer dans le contexte libanais. Parmi elles :

Réduction de la dette publique, ce qui impliquerait d’effacer une grande partie des dépôts bancaires placés à la Banque du Liban, représentant environ 90 % du total des dépôts. Une mesure jugée non-constitutionnelle et fermement rejetée par le Conseil d’État et par les blocs parlementaires.

Libéralisation du taux de change du dollar, une décision qui pourrait provoquer une flambée de l’inflation et une chute du pouvoir d’achat, notamment pour les fonctionnaires.

Mise en place d’une loi sur la liquidation des banques, un sujet tabou pour le secteur bancaire, qui affirme que les fonds des déposants sont bloqués à la Banque centrale et que l’État doit les restituer.

Réduction du ratio dette/PIB à 100 %, alors qu’il dépasse actuellement les 500 % selon les chiffres du FMI.

Restructuration de la fonction publique, qui emploie entre 20 et 30 % de la population active, et ouverture des secteurs de l’électricité, des télécommunications et des transports au privé. Or, la mise en œuvre de ces réformes bute sur l’absence d’un processus de contrôle, dont les lois ont été votées depuis 25 ans sans jamais être appliquées.

Un nouvel obstacle : la liste grise

À ces conditions s’ajoute une autre contrainte majeure : le FMI exige un renforcement de la gouvernance, de la lutte contre la corruption et du cadre de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Or, en fin 2024, le Liban a été placé sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI), un statut dont il ne pourra probablement pas sortir avant 2026.

Un financement sans précédent

L’accord signé en 2022 avec le FMI prévoyait un prêt de 3 milliards de dollars sur quatre ans dans le cadre du programme de « facilité élargie de crédit » (EFF), destiné à corriger les déséquilibres économiques majeurs. Si le Liban avait respecté ses engagements, ce montant aurait pu être doublé, car l’EFF permet d’emprunter jusqu’à six fois le quota attribué par le FMI. Or, la quote-part du Liban s’élève à 825 millions de dollars, ce qui aurait pu porter l’enveloppe totale à 5 milliards de dollars.

Mais tout dépend de la capacité du pays à assurer le service de la dette et à dégager un excédent primaire garantissant le remboursement des intérêts et des échéances. De plus, le FMI est strict : il refuse d’accorder des prêts aux États dont la dette dépasse 150 % du PIB, un seuil largement dépassé par le Liban.

Les réformes avant l’argent

Certains estiment que le Liban peut se passer du FMI. En 2024, les réserves d’or de la Banque centrale ont augmenté de 5 milliards de dollars, atteignant 24,1 milliards contre 19,17 milliards l’année précédente. Parallèlement, la Banque centrale a renforcé ses réserves en devises étrangères de 1,7 milliard de dollars, soit près de 60 % du prêt prévu par le FMI.

Mais pour un expert financier ayant requis l’anonymat, les réformes priment sur l’argent : « Sans un accord avec le FMI, le gouvernement continuera de tergiverser sur la restructuration des banques, de la dette et du secteur public. Ce blocage peut sembler protéger les déposants, mais il ne profite qu’aux banques et à la classe politique. Sans réforme, personne ne sera tenu responsable des fonds publics dilapidés, et les coupables resteront impunis. »

Sur le plan international, l’absence de réformes maintiendra la note de crédit du Liban à un niveau désastreux, l’empêchant d’accéder aux marchés financiers mondiaux et de relancer les investissements. Le pire des scénarios ? Le retour à un financement du déficit par la Banque centrale, entraînant une explosion monétaire et une économie toujours plus fragile.