Sept plaies dictent la vie politique libanaise, qu’ils s’opposent, se croisent ou se cumulent, rendant tout espoir d’une performance efficace de l’Etat, pure illusion.
1. Le fardeau de la mauvaise application de la Constitution
Notre péché, en tant que Libanais, n’est pas seulement d’avoir accepté, depuis 1926, un système hybride : une Constitution civile et laïque (si l’on fait abstraction de l’article 95 qui prévoit une répartition confessionnelle des postes, temporairement...), mais d’avoir accepté les usages profondément confessionnels qui nous poursuivent jusqu’à aujourd’hui. Un fardeau dont nous ne sommes pas prêts de nous libérer tant que la parole ultime revient au confessionnalisme, même au sein d’une même communauté.
Notre faute ne s’arrête pas là. En modifiant la Constitution pour soi-disant instaurer la Deuxième République, nous avons consenti – sous la menace des armes et pour arrêter le bain de sang – à un « accord » porteur d’échec dès son AND (c’est-à-dire dès sa conception, car il contenait en lui-même les éléments menant à son échec). D’abord, parce qu’il a renforcé le confessionnalisme en poussant le discours politique vers une surenchère sectaire. Ensuite, parce qu’il est truffé d’ambiguïtés et d’interprétations contradictoires qui le rendent inapte à gouverner. Enfin, parce qu’il ne visait ni réforme ni vision d’avenir, mais transformait le Liban en un gâteau partagé entre puissances internationales et régionales, dont les politiciens locaux n’ont obtenu que des miettes. En contrepartie, ils ont légué au peuple un pays exsangue : un ranch miné par la corruption, une émigration massive, une pauvreté rampante, un chômage chronique et une dette de plusieurs milliards de dollars que nous sommes bien incapables de rembourser.
2. Le fardeau de la tutelle américaine
Il est à l’image de la taille de l’imposante ambassade americaine... et pis encore. Pas besoin d’en dire davantage.
3. Le fardeau de l’arrogance israélienne
Israël, qui a reçu des moyens colossaux, a failli rayer Gaza de la carte à la suite de la guerre du « Déluge d’Al-Aqsa ». Aujourd’hui, il cherche à expulser les Palestiniens vers l’Égypte et la Jordanie, avec un œil tourné vers l’avenir de la Cisjordanie, de l’Autorité palestinienne et des accords d’Oslo.
Israël n’a respecté ni l’accord de cessez-le-feu ni la trêve des soixante jours et poursuit son projet de « terre brûlée » au Sud-Liban, menaçant d’une nouvelle invasion pour éloigner toute présence armée à ses frontières. Mais en pleine arrogance, Il a été contraint de céder face à la marche pacifique des Sudistes qui, à mains nues et avec une détermination sans faille, l’ont forcée à évacuer des positions que les martyrs et blessés récents avaient déjà libérées. Israël conserve toutefois d’autres sites sous son contrôle, à l’épreuve de la date butoir du 18 février.
4. Un excès de confiance dans le soutien international et arabe
Le nouveau mandat présidentiel, marqué par une avalanche de félicitations, de promesses de reconstruction et d’aides financières, semble s’appuyer sur cet appui étranger comme unique boussole. Tout comme l’élection présidentielle s’est conclue sans accroc après une longue période de vacance, avec la nomination du général Joseph Aoun, il semble que ce même excès de confiance facilitera la formation du gouvernement. Et ce, malgré les tractations actuelles, menant ainsi à la nomination du Dr. Nawaf Salam grâce à une volonté extérieure quasi magique.
5. Un excès de résilience du duo chiite Mouvement Amal-Hezbollah
L’offensive israélienne a indéniablement affaibli la position politique et militaire du duo chiite Mouvement Amal-Hezbollah. Pourtant, il conserve un poids certain, ancré dans sa représentativité communautaire, qui ne peut être facilement remplacée. Mouvement Amal, avec Nabih Berri, maître du jeu politique depuis des décennies, et Hezbollah, toujours prêt à la confrontation, continuent d’exercer une influence sur la formation du gouvernement, en dépit des appels internes et externes à limiter leur prépondérance.
6. Un excès dans l’esprit de revanche et d’exclusion
Face à ce résidu de puissance, se dresse une vague de jubilation à l’idée d’une prétendue défaite du tandem, notamment après l’échec du régime syrien de Bachar al-Assad. À cela s’ajoute une volonté d’exclusion : certains réclament que le Hezbollah et Mouvement Amal soient écartés du gouvernement, voire que leurs partisans soient expulsés, assimilés à une « communauté iranienne » au Liban. Pourtant, ces voix ne peuvent se targuer d’avoir joué un rôle déterminant dans les bouleversements locaux issus de la guerre, ni dans l’affaiblissement du régime syrien.
7. Un excès de patience chez les Libanais
Il y a bien ceux qui acceptent n’importe quel pouvoir en place, ceux qui se désintéressent totalement, et ceux qui se contentent de ce qu’ils ont. Mais la majorité des Libanais font preuve d’une patience qui confine à l’illusion, croyant encore que le salut viendra avec le temps.
Au nom de cette majorité, et puisque nous avons commencé cet article en évoquant les contradictions entre Constitution et usages, notre plus grande erreur collective est d’avoir manqué une occasion historique. Après avoir retrouvé notre souveraineté, nous n’avons jamais entrepris de véritable introspection sur les erreurs du passé, ni au lendemain de la guerre civile (1975-1990), ni durant cette prétendue « paix » (1990-2005), qui n’était qu’une guerre larvée.
À l’aube du cinquantième anniversaire du déclenchement de la guerre civile libanaise en 1975, ne serait-il pas temps d’en tirer les leçons ? D’éviter d’en répéter les erreurs et de nous libérer enfin des excès qui nous entravent ? Ne serait-il pas temps de nous unir sur l’essentiel pour que les autres fardeaux disparaissent d’eux-mêmes ?