Aucun observateur, analyste ou même esprit rationnel ne peut sérieusement envisager la reproduction des anciens schémas du pouvoir, entachés d'écarts vis-à-vis de la Constitution et de distorsions du "pacte de Taëf", aussi bien dans ses textes explicites que dans ses hypothétiques annexes occultées et exploitées hors de leur cadre.

Tous les députés signataires de l’accord, qu’ils soient encore en vie ou disparus, ont affirmé à maintes reprises que l’attribution du ministère des Finances à la communauté chiite (par le biais de la "troisième signature") n’a jamais été entérinée, bien qu’un débat éphémère ait eu lieu à ce sujet avant d’être écarté.

Il est établi que plusieurs questions de prérogatives ont été abordées, y compris celle de ce ministère, mais ces discussions sont restées théoriques et n’ont jamais été traduites en décisions officielles dans le texte final. Si cette disposition avait été actée dès 1989, 19 ministres se seraient succédé après les amendements constitutionnels, dont 11 non chiites. Qu’est-ce qui a alors brisé cette dynamique et ce principe de rotation entre 1990 et 2011, sinon une stratégie d’érosion progressive du pouvoir, renforcée après la guerre de 2006, les évènements de 2008 et le coup de force des "chemises noires" en 2011 ?

Un autre point fondamental mérite réflexion : la violation du principe de séparation des pouvoirs inscrit dans le préambule de la Constitution. En permettant au président du Parlement, via le ministre des Finances et son approbation obligatoire, d’interférer dans les décisions de l’exécutif, un déséquilibre structurel se crée, brouillant les compétences et accentuant les tensions confessionnelles. À ce titre, pourquoi le chef du gouvernement ou le président de la République ne revendiqueraient-ils pas un droit similaire d’intervention dans les décisions du Parlement ?

Les entraves causées par certains ministres des Finances affiliés au "duo" sont nombreuses, freinant le bon fonctionnement des institutions et paralysant la machine étatique. Parmi les exemples notoires : le blocage de la formation de la Cour de cassation pour empêcher le juge d’instruction d’avancer dans l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, ou encore le refus de valider les promotions militaires sans contreparties politiques, exacerbant ainsi les tensions interinstitutionnelles et confessionnelles.

Si ces précédents n’avaient pas existé, si ce ministère n’avait pas été capté au fil des années pour des considérations partisanes, personne ne contesterait aujourd’hui l’identité communautaire de son titulaire. Car dans les faits, les ministres issus d’autres confessions n’ont jamais suscité d’inquiétudes majeures ou de doutes quant à leur gestion.

Il est évident que l’obsession du "duo chiite" pour ce portefeuille a cristallisé les tensions, poussant d’autres forces politiques, sunnites et chrétiennes en particulier, à exiger des garanties équivalentes pour ne pas entériner une exception confessionnelle permanente. Or, si le futur gouvernement veut voir le jour, il devra respecter le principe d’égalité entre toutes les forces politiques et éviter le piège du statu quo, d’autant que les discours d’investiture et de nomination ont clairement marqué une rupture avec les héritages pesants du passé.

Céder à cet état de fait anticonstitutionnel ouvrirait la porte à d’autres dérives et plongerait encore une fois le pays dans l’impasse de l’échec et de la corruption qui gangrène le système depuis 35 ans.

L’enjeu est donc clair : accepter la continuité d’un déséquilibre institutionnel sous prétexte de stabilité, ou opérer une véritable refonte des règles du jeu politique en restaurant une gouvernance fondée sur des équilibres justes et légitimes.