Contrairement à de nombreux pays où l'assurance privée est synonyme de "tranquillité d’esprit", au Liban, beaucoup hésitent encore à souscrire à une quelconque police d’assurance. Si certains pouvaient même éviter l’assurance obligatoire des véhicules, nécessaire au renouvellement de l’immatriculation, ils n’hésiteraient pas à le faire.

Cette réticence ne s’explique pas uniquement par la baisse des revenus par rapport aux primes d’assurance, mais aussi par une crainte persistante : celle que les compagnies d’assurance refusent d’honorer leurs engagements en cas de sinistre, notamment dans le cadre des polices d’épargne. Cette méfiance s’est accentuée avec l’effondrement économique, lorsque certaines compagnies ont imposé des paiements échelonnés ou des remboursements en "lollars", bien en deçà de leur valeur réelle.

Peu de Libanais savent qu’une "Commission de contrôle des assurances" existe au Liban depuis 1968. Rattachée au ministère de l’Économie, elle est chargée de surveiller les compagnies d’assurance privées, d’assurer leur conformité avec la loi et de garantir leur solvabilité. Son rôle clé consiste à s’assurer que ces compagnies sont financièrement et juridiquement capables de remplir leurs obligations envers les assurés et, si nécessaire, d’imposer des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de licence.

Une nouvelle direction a la Commission de contrôle des assurances

Ces dernières années, la Commission de contrôle des assurances s’est faite davantage entendre, notamment après l’explosion du port de Beyrouth, qui a coïncidé avec l’effondrement de la livre libanaise. Son intervention dans les litiges entre compagnies et assurés a contribué à mettre en lumière des abus internes ayant conduit à des arrestations et à une refonte de sa direction.

En mars 2024, la Commission parlementaire de l’Économie et du Commerce et le ministère de l’Économie ont désigné Nadim Haddad comme président par intérim. Peu après sa nomination, Haddad a dévoilé les grandes lignes de son plan de réforme pour stabiliser un secteur en crise, mettant l’accent sur la protection du secteur privé et l’équilibre entre le besoin croissant d’assurance et la gestion des compagnies.

"Notre priorité est d’éviter que le secteur de l’assurance ne rejoigne la liste des industries en faillite au Liban", explique Haddad dans un entretien avec Al-Safa News. "Nous devons rétablir la confiance, tout en garantissant une régulation stricte pour empêcher de nouveaux abus."

Un secteur fragmenté nécessitant une restructuration

Le Liban compte 43 compagnies d’assurance privées, dont deux étrangères. Toutefois, une de ces compagnies s’apprête à se retirer du marché, sous la supervision de la Commission, afin d’assurer le règlement de toutes les polices en cours. Malgré ce nombre relativement élevé, le pays ne compte qu’environ 900 000 assurés, soit une compagnie pour 21 000 assurés en moyenne.

Dans la pratique, seules quelques compagnies détiennent la majorité des contrats, tant en nombre qu’en valeur. Face à ce marché saturé et déséquilibré, une restructuration du secteur s’impose. "Nous devons augmenter le capital des compagnies et appliquer la norme comptable internationale IFRS 17", souligne Haddad. "Cela rassurerait les réassureurs internationaux et garantirait des standards comptables fiables pour les compagnies locales."

Selon lui, ces réformes sur plusieurs années permettront d’éliminer les acteurs les plus fragiles et de renforcer ceux capables de respecter les nouvelles exigences, assurant ainsi une restructuration naturelle du secteur.

Un Conseil National de l’Assurance paralysé

Toute réforme de l’assurance passe également par le Conseil National de l’Assurance, un organisme composé de membres nommés par le gouvernement et de représentants du secteur. Pourtant, malgré sa création récente, ce conseil n’a jamais été activé en raison des blocages politiques. Son rôle est pourtant crucial : il pourrait renforcer la surveillance du secteur et imposer des sanctions aux compagnies en infraction.

Des primes en forte hausse, et un accès de plus en plus difficile

Alors que les Libanais ont de plus en plus besoin d’une couverture privée, l’accès à l’assurance devient de plus en plus compliqué. En parallèle de la crise, les services publics de santé — notamment ceux du Fonds National de la Sécurité Sociale (CNSS), des forces armées, du ministère de la Santé et de la Mutuelle des Fonctionnaires — se sont effondrés.

Dans ce contexte, le coût des primes d’assurance a explosé, rendant l’accès aux soins hors de portée pour une majorité de la population. Cette augmentation ne s’explique pas seulement par la dollarisation des contrats, mais aussi par la hausse continue des tarifs hospitaliers.

"L’assurance santé représente la part la plus importante des polices souscrites", explique Haddad. "Or, la facture hospitalière a augmenté de 15 à 20 % en 2024 et devrait encore progresser cette année, malgré le paiement des frais médicaux en dollars."

Les compagnies d’assurance, qui avaient initialement fixé leurs tarifs sur une base spécifique, ont subi de lourdes pertes en raison de ces hausses soudaines, faisant grimper le taux de sinistralité entre 130 et 140 %. "Cette situation n’est pas viable", prévient Haddad. "Nous avons alerté le ministère de la Santé et les syndicats hospitaliers, mais aucune solution concrète n’a encore été trouvée pour freiner ces augmentations."

L’assurance santé sous pression

Avant la crise, les compagnies d’assurance complétaient en moyenne 20 % des remboursements du CNSS ou de la Mutuelle des Fonctionnaires. Aujourd’hui, avec l’effondrement des aides publiques, elles doivent prendre en charge 80 % des coûts médicaux, entraînant une réévaluation systématique des primes.

Si les polices d’assurance vie, épargne et automobile ont peu changé, les contrats d’assurance santé ont fortement reculé, passant de plus d’un million de polices avant la crise à environ 900 000 aujourd’hui.

Face à la flambée des tarifs, de nombreux assurés ont réduit leur couverture :

-passage de la première à la deuxième classe de soins,

-limitation de l’assurance aux hospitalisations,

-suppression de certaines garanties pour réduire les coûts.

"Ce n’est pas une évolution saine", affirme Haddad. "Dans un pays où les circuits de sécurité sociale sont quasi inexistants, l’assurance privée devient une nécessité."

Un avenir incertain, entre défis économiques et réformes en cours

Les litiges liés à l’assurance-vie et aux produits d’épargne restent également un problème majeur. Certaines compagnies ont tenté de régler leurs obligations par des chèques bancaires, une pratique inacceptable pour les assurés. "Notre commission surveille de près ces pratiques", souligne Haddad. "Si une solution à l’amiable est trouvée entre l’assuré et la compagnie, nous n’intervenons pas. Mais en cas de litige, notre rôle est de garantir que l’assuré obtienne la meilleure compensation possible."

Selon lui, l’avenir du secteur dépendra de la mise en place d’une feuille de route impliquant l’ensemble des acteurs. L’objectif ? Élargir la couverture d’assurance à tous les Libanais, avec l’appui d’une stabilité politique et économique retrouvée.

"Nous travaillons sur un plan en collaboration avec les compagnies d’assurance pour étendre la couverture à une plus large part de la population", conclut Haddad. "Avec des réformes en cours et une nécessité croissante d’assurance, nous espérons éviter l’effondrement du secteur."

Mais la question demeure : ces réformes suffiront-elles à garantir aux Libanais une couverture médicale digne, ou resteront-ils confrontés au spectre de l’exclusion face aux coûts prohibitifs des soins ?

Seul l’avenir nous le dira.