Dans les rituels du déni, proclamer la victoire est le moyen le plus simple d’échapper à l’échec. On s’accroche à un triomphe illusoire, glissant de l’illusion à l’hallucination. Ce schéma, récurrent dans l’Histoire, conduit inévitablement à la confusion, à la désillusion et à l’effondrement après d’immenses sacrifices humains et matériels.
C’est exactement le cas du Hezbollah, qui abreuve les Libanais de récits de victoire. Son secrétaire général adjoint, cheikh Naïm Qassem, a proclamé « une grande victoire et une réussite divine » après le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, puis à nouveau le 26 janvier 2025, à l’expiration du délai de 60 jours, répétant : « Nous avons gagné, que cela vous plaise ou non. »
Une victoire de façade
Pourtant, l’accord de cessez-le-feu—négocié par Nabih Berri et approuvé par les ministres du Hezbollah dans le gouvernement de Najib Mikati—comportait de lourdes concessions. Le Hezbollah a accepté le retrait israélien sous 60 jours, la supervision d’un général américain et l’abandon du principe de « l’unité des fronts », dissociant le Liban de Gaza. Il n’a pas négocié la libération de ses prisonniers et a ignoré un accord américano-israélien autorisant Israël à intervenir militairement au Liban en cas de menace. Pourtant, « nous avons gagné »…
Hier encore, Qassem invoquait la « patience stratégique » pour justifier le silence du Hezbollah face aux violations israéliennes. Mais cette patience semble s’effriter. Tandis que Najib Mikati a annoncé la prolongation du cessez-le-feu jusqu’au 18 février après consultation du président Joseph Aoun et de Nabih Berri, Qassem s’est montré catégorique : « Nous n’acceptons aucun prétexte pour prolonger d’une seule seconde ou d’un seul jour. »
Le Hezbollah et son « État dans l’État »
Après avoir prétendu agir dans le cadre de l’État libanais, le Hezbollah impose à nouveau sa propre logique. Il exploite la colère populaire comme levier politique, une stratégie déjà utilisée contre la FINUL.
La veille de l’expiration du délai, l’armée libanaise a mis en garde les habitants du Sud contre les mines et engins explosifs israéliens, appelant au respect des consignes de sécurité. Pourtant, Al-Manar, la chaîne du Hezbollah, diffusait un message exalté : « Demain, nous reviendrons, têtes hautes… Nous franchirons les mines laissées par l’agression sioniste-américaine… Nous écrirons avec notre chair vive l’aube d’une nouvelle libération… »
La mort de 24 Libanais et les 134 blessés relèvent d’un sacrifice inutile. Affirmer que la mobilisation populaire a contraint Israël au retrait est une contre-vérité : si tel était le cas, Israël aurait déjà quitté le Liban et libéré les prisonniers. Le Hezbollah a infiltré ce mouvement légitime à des fins politiques, orchestrant les rassemblements et manipulant la résistance populaire en outil de négociation.
Manipulation ou guerre psychologique?
Le refus du Hezbollah de prolonger le cessez-le-feu pose une question cruciale : Mettra-t-il ses menaces à exécution ou instrumentalise-t-il la mobilisation pour maintenir la tension, quitte à alourdir le bilan humain sans renverser l’accord ?
Le retour à la logique de « l’État dans l’État » transparaît aussi dans la tentative du Hezbollah de relancer la doctrine « Armée – Peuple – Résistance » dans le futur programme gouvernemental. Pourtant, cette équation est de plus en plus intenable, face à l’opposition politique interne et au refus des bailleurs internationaux de financer le Liban tant que le Hezbollah conserve son autonomie militaire.
Autre signe inquiétant : les processions de motos arborant des slogans sectaires comme « Chiite, chiite, chiite », tirant en l’air et traversant des quartiers chrétiens et sunnites. Ces provocations ont conduit à des affrontements, des arrestations et la saisie de plusieurs motos.
Vers une escalade inévitable?
Dans le Sud, le Hezbollah envoie un message clair : « Quel que soit le cadre international, nous gardons le contrôle du territoire. »
Ses démonstrations de force rappellent les « chemises noires » des crises politiques passées, une manière d’affirmer qu’il tient toujours « la carte de la rue ». Mais la présidence et l’armée tentent de contenir l’escalade, aussi bien au Sud—où l’armée a canalisé la colère sans basculer dans le chaos—qu’à Beyrouth, où des arrestations ont eu lieu malgré la poursuite des cortèges.
Avec le retrait israélien repoussé au 18 février 2025, une question demeure :
Le Hezbollah pourra-t-il torpiller l’accord ? Ou assisterons-nous simplement à un nouvel épisode de son « rituel du déni », menant à une énième proclamation de « victoire divine » ?
C’est ce qu’on appelle « un rituel de déni et de fuite en avant ».