Comme la majorité des Libanais, nous avons accueilli avec optimisme l’élection du général Joseph Aoun à la présidence de la République et son discours d’investiture, où il s’est engagé à préserver la Constitution et à protéger la nation. Ses paroles répondaient aux attentes du peuple, qui avait besoin d’entendre enfin un langage clair et compréhensible.
Notre optimisme s’est renforcé lorsque les députés ont choisi l’ancien ambassadeur et Président de la Cour internationale de justice, Nawaf Salam, pour diriger le gouvernement. Cet enthousiasme a encore grandi avec le discours de M.Salam à la suite de sa désignation par le président de la République pour former un cabinet.
Nous avions de suite espéré que le Premier ministre désigné, fort de son expérience diplomatique à New York et de sa maîtrise du droit international à La Haye, mènerait rapidement des consultations "non contraignantes" avec les blocs parlementaires avant d’accélérer les discussions avec le président afin d’annoncer la formation du premier gouvernement du nouveau mandat. Ce gouvernement aurait eu la mission prioritaire de veiller à l’application complète de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU sur l’ensemble du territoire libanais, ainsi que des autres résolutions internationales pertinentes, notamment les résolutions 1559 et 1680, et de proposer une nouvelle loi électorale pour organiser les législatives de l’année prochaine.
Mais près de deux semaines après cette désignation, nous sommes toujours au stade des déclarations d’intention, avec l’impression que la formation du gouvernement est encore soumise à des négociations interminables.
Nous n’avions jamais accepté, par le passé, que la formation d’un gouvernement puisse prendre plus de deux ans, ni même un mois, sous prétexte qu’il fallait satisfaire les exigences des différents blocs parlementaires.
Le président de la République sait parfaitement que tous ceux qui l’ont élu ne l’ont pas fait par conviction. Certains auraient même attendu de conclure un accord avec lui avant de lui adresser leurs félicitations.
Le Premier ministre désigné sait également que ceux qui l’ont nommé ne l’ont pas forcément fait par conviction ou par souci de l’intérêt national.
Tous deux sont pleinement conscients que tout retard dans la formation du gouvernement et dans le lancement du mandat présidentiel nuit à leur crédibilité, affaiblit l’autorité de l’État et freine les réformes indispensables, lesquelles sont aussi une condition posée par la communauté internationale pour venir en aide au Liban.
Si le président et le Premier ministre gardent le silence sur les obstacles qui entravent la formation du gouvernement, les acteurs politiques concernés, eux, n’ont pas hésité à exprimer publiquement leurs exigences, même lorsque celles-ci vont à l’encontre des principes énoncés par les deux hommes dans leurs discours respectifs.
Un gouvernement indépendant et efficace, sans blocages politiques
Face à cette situation, nous pensons que le Premier ministre désigné doit aller de l’avant et former son gouvernement en accord avec ses principes et ceux du président de la République, principes qui ont été largement salués par les différentes forces politiques.
Il s’agit d’un gouvernement composé de ministres indépendants, dont la nomination ne devrait pas être dictée par les partis politiques. Un gouvernement à la fois diversifié et homogène, fonctionnant comme une équipe soudée, sans être paralysé par les habituels jeux de quotas et de rapports de force qui menacent son efficacité.
Plusieurs échéances urgentes nécessitent une prise en charge immédiate et ne peuvent souffrir d’aucun retard :
1. La question sécuritaire dans le Sud du Liban: Le délai de soixante jours pour le retrait mutuel au sud du Litani a déjà expiré. Or, Israël n’a pas encore achevé son retrait et le Hezbollah menace toujours de maintenir sa présence. Pendant ce temps, les habitants retournent progressivement dans leurs villages, mais se heurtent à des maisons en ruines, sans qu’aucune reconstruction ne soit engagée.
2. Les postes vacants dans l’administration publique : Le fonctionnement des institutions est paralysé par la répartition confessionnelle des postes, le clientélisme et la corruption.
3. L’inflation et les impôts : La flambée des prix et les nouvelles taxes proposées dans le budget du gouvernement démissionnaire pèsent lourdement sur la population.
4. La crise éducative : Les écoles et universités, longtemps utilisées comme refuges pour les déplacés, peinent à reprendre leurs activités, mettant en péril l’année scolaire.
5. Les élections municipales : Elles sont imminentes, mais la classe politique semble chercher à les repousser.
Une formation rapide pour éviter le pire
Le Premier ministre désigné doit former son gouvernement au plus vite, en étroite collaboration avec le président de la République, sans attendre davantage. Il doit rédiger un programme gouvernemental dépourvu de compromis inutiles et solliciter la confiance du Parlement.
Si son gouvernement obtient la confiance, il pourra entamer son travail immédiatement. Dans le cas contraire, il aura au moins révélé au grand jour les véritables intentions des différentes forces politiques et pourra gérer les affaires courantes en attendant de nouvelles consultations.
Soyons clairs : les occasions de redresser le pays sont rares, et chaque opportunité manquée nous précipite davantage vers une situation encore plus critique.
Nous exhortons donc le Premier ministre désigné à ne pas laisser passer cette chance.