Pour la première fois depuis mars 2020, la banque centrale américaine abaisse son principal taux directeur de 0,5 point et envisage un demi-point supplémentaire d'ici fin-2024… L’économie américaine va t’elle pouvoir repartir de manière sereine ?
Comme prévu, la Fed a entamé un nouveau cycle d’assouplissement de sa politique monétaire. La réduction de 0,5 point décidée mercredi dernier vise clairement à stimuler la croissance et à réduire de manière significative, sans toutefois l’éliminer, le risque d’un atterrissage brutal de l’économie au cours de l’année à venir. Lors de sa conférence de presse mercredi, Jerome Powell, a souligné que l’objectif principal de la Fed est désormais de maintenir le taux de chômage à son niveau actuel, relativement bas, d’environ 4,3 %.
Les prévisions d'une récession causée par le durcissement de la politique monétaire et ses effets sur l'emploi ne se sont pas encore réalisées. Les tendances du chômage continuent de faire preuve de résilience, dépassant les attentes. Afin de garantir le maintien de cette stabilité, le Comité Fédéral des Marchés Ouverts (FOMC), dans son résumé actualisé des projections économiques (SEP), a signalé une ou deux baisses de taux supplémentaires cette année, avec une réduction supplémentaire de 100 points de base attendue l’année prochaine.
Justement, Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale, navigue dans un contexte d’élection présidentielle compliqué…L’inflation américaine se situe dans une fourchette de 4,75 à 5,00%… Powell a t’il fait preuve d’audace ou pris un risque en baissant les taux ?
Ce nouveau cycle d’assouplissement monétaire marque la fin du resserrement de la politique de la Fed, entamé en mars 2022, dont l’objectif était de ramener l’inflation à 2 %. Le président Powell a déclaré que cette politique restrictive a permis de mieux équilibrer l'économie, en ligne avec le double mandat de la Fed : assurer le plein emploi et la stabilité des prix. Il reste confiant que la solidité actuelle du marché du travail pourra être préservée tout en poursuivant la baisse de l’inflation vers l’objectif de 2 %. Autrement dit, le FOMC estime que la politique monétaire est bien ajustée pour gérer efficacement les deux composantes du mandat.
En 2021, l'inflation a dépassé l'objectif de la Fed, atteignant environ 9 % à la mi-2022. Pour y faire face, la Fed a rapidement relevé les taux d’intérêt afin de freiner cette hausse. Bien que certains aient critiqué une réaction jugée tardive, cette politique restrictive a finalement contribué à réduire l'inflation. Aujourd’hui, l’inflation est descendue sous la barre des 3 %, selon l’indice des prix à la consommation, bien qu’elle reste au-dessus de l'objectif de 2 %. La Fed est néanmoins convaincue que les anticipations d’inflation sont bien maîtrisées et sur une trajectoire durable vers cet objectif. Les projections du FOMC prévoient une inflation globale de 2,3 % cette année, et de 2,1 % d'ici 2025.
Cependant, certains redoutent que la réduction de 50 points de base annoncée ne ravive l'inflation. La Fed doit donc trouver un équilibre délicat entre ce risque et celui d'un éventuel affaiblissement économique.
Il est important de rappeler que toute décision de la Fed en matière de taux, qu’il s’agisse d’une hausse, d’une baisse ou d’un maintien, est toujours entourée d’incertitudes économiques. La véritable efficacité de ce cycle d’assouplissement ne pourra être évaluée qu’au cours des prochains mois, lorsqu'il sera possible de juger son impact sur le double mandat de la Fed.
Cette baisse des taux d’intérêt redonnera-t-elle du pouvoir d'achat aux ménages américains ? Depuis un certain temps la forte inflation et coût élevé du crédit briment ce pouvoir d’achat…
Le pouvoir d'achat des Américains a effectivement été mis à rude épreuve ces dernières années. À l'avenir, la baisse des taux d'intérêt annoncée mercredi, ainsi que les autres réductions prévues, pourraient représenter une bonne nouvelle pour les consommateurs. La diminution des taux décidée par la Fed devrait entraîner une réduction des taux sur les prêts hypothécaires, les prêts automobiles et les cartes de crédit, rendant ainsi les emprunts et les dépenses plus accessibles. Le meilleur moyen de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs est que la Fed parvienne à remplir son double mandat : maintenir une faible inflation et assurer un emploi maximal à l'avenir.
La campagne électorale bat son plein aux Etats-Unis. Pour l’économie et les marchés financiers, une victoire de Trump ou d’Harris est-ce équivalent ?
L'économie est sans doute la question la plus cruciale pour les électeurs américains. Toutefois, les débats sur qui mérite les éloges ou bien les reproches en ce qui concerne les récentes fluctuations des marchés, ou encore l'évolution du chômage et de l'inflation, ne seront pas tranchés avant le jour du scrutin. Chaque candidat a présenté des propositions différentes sur une série de questions économiques. Les deux candidats ont des projets concernant les impôts et les dépenses, mais leurs approches diffèrent. Donald Trump est favorable à l'imposition de droits de douane et à la réduction des réglementations, tandis que Kamala Harris soutient l'adoption de réglementations supplémentaires, notamment le plafonnement des prix de certains produits, en particulier les denrées alimentaires. Bien que chaque candidat cherche à aborder les différentes questions économiques, les détails de leurs plans n'ont pas encore été précisés. L'efficacité des propositions de chaque candidat fait l'objet d'un débat considérable. L'économie étant une science inexacte, l'incertitude et le débat se poursuivront probablement même lorsque les détails seront plus clairs, car il n'est jamais facile de prévoir la croissance économique et l'inflation. En ce qui concerne la réponse attendue de la Fed, la voie spécifique à suivre pour abaisser les taux dans les prochains mois (combien de baisses de taux et quand) n'est pas claire et dépendra des conditions économiques au moment de chaque réunion de la Fed. La Fed déclare qu'elle n'a pas de ligne de conduite préétablie et qu'elle continuera à prendre des décisions au fur et à mesure des réunions. Tous ces éléments indiquent que l'économie américaine abordera les élections de novembre avec beaucoup d'incertitude quant à son évolution d'ici là et après les élections.
Trump a accusé la Fed d'être «politisée». «Une baisse aussi importante montre (...) que l'économie est soit très mal en point soit qu'ils jouent le jeu des politiques», a déclaré l’ancien Président américain. Quel est votre point de vue ?
Il est essentiel de rappeler que la Fed est une organisation indépendante. Cette autonomie lui permet de se concentrer plus efficacement sur la réalisation de son double mandat, au service de tous les Américains.
Concernant les mesures prises mercredi, la baisse de 0,50 point de pourcentage des taux est une démarche classique au début d'un nouveau cycle d’assouplissement de la politique monétaire. Bien que les circonstances économiques actuelles soient différentes, le président Powell a précisé que cette réduction de 0,50 point ne répond pas à un signe de faiblesse, mais vise à recalibrer la politique monétaire afin de mieux équilibrer les risques entre inflation et ralentissement économique. Ce contexte se distingue des débuts habituels des cycles d’assouplissement, car cette fois-ci, la Fed agit par anticipation des préoccupations selon lesquelles l’économie pourrait entrer en récession si aucune mesure n’est prise. Par le passé, une crise financière imminente rendait souvent cette menace évidente, ce qui n'est pas le cas actuellement. Les craintes de récession influencent davantage les responsables de la Fed aujourd'hui, alors qu’ils sont moins inquiets de l’inflation qu’au cours des deux dernières années et demie.
La situation de l'emploi aux États-Unis montre actuellement des signes de ralentissement par rapport au début de l'année. Bien que le taux de chômage ait augmenté ces derniers mois, il demeure faible par rapport aux normes historiques, et l'économie n'enregistre pas de hausse significative des licenciements. Ainsi, même si la création d'emplois a quelque peu ralenti, les conditions sur le marché du travail sont moins tendues qu'il y a un an, et l'emploi ainsi que la croissance de l'emploi restent relativement solides.
Quelle est la situation actuelle de l'économie ?
Le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) réel est un indicateur clé du dynamisme de l'activité économique. Selon le modèle GDPNow de la Fed d'Atlanta, qui fournit une estimation en temps réel du PIB réel, la croissance économique pour le troisième trimestre 2024 est estimée à un peu moins de 3 %, un chiffre similaire à celui du deuxième trimestre, mais en hausse par rapport aux 1,4 % enregistrés au premier trimestre de cette année. Une récession est généralement définie par deux trimestres consécutifs de contraction du PIB réel. Dans son analyse, le FOMC prévoit une croissance du PIB réel d'environ 2,0 % cette année et au cours des deux prochaines années. Par conséquent, bien que les perspectives économiques actuelles ne soient pas particulièrement vigoureuses, elles ne correspondent pas non plus à une situation de récession.
Propos recueillis par ERE
(*) Directeur exécutif du Mayo Center of Asset Management à la Darden School of Business, de l’Université de Virginie fondée par Thomas Jefferson en 1819.
La Darden School of Business attribue uniquement des diplômes de niveaux Post-Graduate : un master of business administration et un doctorat. Elle prépare notamment aux carrières dans les secteurs du conseil en stratégie, de la banque d’investissement de la gestion.