« J'attends du nouveau Gouvernement qu'il n'augmente pas le SMIC. » assure Bernard Cohen-Hadad , Président du Think Tank Étienne Marcel. (* 1)

 La hausse du nombre de défaillances d’entreprises, de PME et de TPE devient inquiétante dans notre pays…

Au 1er semestre 2024, le nombre des défaillances d'entreprises a atteint 33 500, soit une hausse de + 18% par rapport au premier semestre 2023 et un chiffre supérieur de 20% à la moyenne des défaillances d'entreprises en 2018 et 2019, avant la crise de la Covid. Au 2e trimestre, les défaillances ont même bondi de + 23% par rapport au 2e trimestre 2023, passant d'environ 13 000 à 16 000, alors que la moyenne des dernières années oscillait autour de 10 000. Ces hausses sont sans précédent, hormis la crise financière (2009) et celle des dettes souveraines (2012-2013).

J'identifie deux types de causes à cette hausse de la sinistralité, certaines immédiates, d'autres profondes. Les causes immédiates, c'est, après un plus bas en 2021, la poursuite du rattrapage des défaillances d'entreprises suite à la fin des aides d'urgence et massives du « quoi qu'il en coûte » mises en place par l'État (PGE, Fonds de solidarité, chômage partiel, report des cotisations sociales Urssaf, etc.). Les entreprises subissent l'effet ciseau de la fermeture progressive du robinet des aides et des échéances de remboursement des PGE. La conjoncture incertaine et la croissance atone les impactent aussi car elles ne permettent plus de dégager les résultats nécessaires pour rembourser les dettes accumulées. Les causes profondes, ce sont les fragilités du tissu productif hexagonal. Aujourd'hui, les défaillances dépassent le simple « rattrapage » car les causes immédiates et les causes profondes sont entrées en résonance.

Quels sont les secteurs les plus sinistrés dans le monde des PME ?

Les secteurs les plus sinistrés sont le commerce, la construction, les services et particulièrement le secteur des activités immobilières. Dans le bâtiment, les carnets de commande sont aussi bas qu'en 2015. Au premier semestre, plus de 600 agences immobilières ont défailli. Le mauvais feuilleton « Madame Castets à Matignon » a gelé nombre de transactions immobilières et de projets d’investissements. Bien qu'elles subissent aussi la décroissance du marché résidentiel, les TPE-PME du second œuvre et de la promotion immobilière résistent mieux. Viennent ensuite les secteurs du transport, de la sécurité privée, de l'entreposage, de la pharmacie, des activités financières et de l'assurance.

Par taille, ce sont les micro-entreprises implantées dans les territoires qui enregistrent la hausse la plus spectaculaire et qui concentrent la grande majorité des défaillances du second trimestre 2024. Mais les PME de 50 à 99 salariés sont aussi de plus en plus touchées avec 27,1% de défaillances. A contrario, les PME de plus de 100 salariés et les ETI paient un tribut moins lourd.

Les remboursements de PGE et les retards de paiement sont-ils encore responsables de la grande fragilité de nos PME ?

Oui, encore et toujours. Cela reste un sujet tabou pour les banques mais les remboursements trop rapides des PGE ont fragilisé durablement les entreprises. D'autant que les mauvaises pratiques en matière de délais de paiement ont la vie dure. Les PME sont la catégorie d’entreprise la plus pénalisée par les retards de paiement. C’est un gap de 16 milliards d’euros dans la trésorerie des PME ! Certaines structures, « le nez dans le guidon », envoient tardivement leurs factures et relancent tardivement leurs partenaires. Si le délai de 30 jours est un leurre, le plafond de 60 jours pour les paiements entre professionnels est un bon indicateur légal, dans la réalité une large majorité de PME se fait payer à 90 jours, 180 jours, voire 1 an et plus dans certaines situations dégradées. Les grands donneurs d’ordre publics ou privés paient mal leurs fournisseurs. Tous les secteurs professionnels ne sont pas logés à la même enseigne : l’hébergement et la restauration sont particulièrement pénalisés. Ni les régions du reste, en fonction des tissus économiques locaux. La situation des délais de paiement est encore plus dure pour les PME ultramarines éloignées de la métropole qui subissent des spécificités locales.

Les générations de mauvais payeurs se perpétuent. Ce sont des pratiques habituelles, voire dans certains secteurs des stratégies financières, avec la recherche délibérée d’une dépendance susceptible de faire baisser le prix des prestations fournies. Certains donneurs d’ordre profitent de la moindre organisation des TPE et PME, et de leur moindre capacité à faire appliquer les intérêts de retard prévus aux contrats commerciaux (ou l’absence de clauses de retards), pour réclamer au fil de l’eau des documents complémentaires et prolonger les délais.

La situation est telle que je préconise au cas par cas le rééchelonnement du remboursement des PGE pour le rendre plus compatible avec la conjoncture incertaine, la croissance ralentie et la rentabilité étiolée des entreprises. Concernant les retards de paiement, les très grandes entreprises publiques et privées possèdent la clef du changement. Il leur incombe de faire bouger les lignes, en améliorant leur comportement de paiement et en en faisant un enjeu réputationnel sous l'angle de la RSE pour valoriser la solidarité économique interentreprises. Améliorer les comportements de paiement contribuera aussi à retisser le lien de confiance parfois distendu dans les relations inter-entreprises, une évolution favorable au dynamisme de l'activité économique y compris de proximité.

« J’appelle de mes vœux un plan massif des PME » avez-vous déclaré. Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?

J'attends d'abord et avant tout du nouveau Gouvernement le maintien de la politique de l'offre menée depuis 2017 et de la réduction des charges qui pèsent sur les entreprises. C'est la première des conditions du redémarrage d’une croissance dynamique soutenue par une baisse prévisible des taux. Tout signal contraire serait un message de défiance envoyé au monde entrepreneurial.

J'attends ensuite du nouveau Gouvernement qu'il n'augmente pas le SMIC (* 2) . Rappelons que la progression des salaires est actuellement supérieure à l’inflation, alors même que de nombreuses entreprises voient se dégarnir leurs carnets de commandes, s’allonger les délais de paiement et sont confrontées à la concurrence internationale. Dans ces circonstances, toute hausse du SMIC viendrait accroître les difficultés et alimenter l’augmentation actuelle des défaillances.

J'attends aussi du nouveau Gouvernement qu'il reprenne dans les meilleurs délais sa démarche de simplification administrative en faisant notamment aboutir le « test PME ».

J'attends enfin du nouveau Gouvernement qu'il apporte des éléments de réforme pour sortir de la crise du logement car ce dernier est un formidable gisement de croissance et un facilitateur de l'emploi via la mobilité professionnelle.

Les défaillances de PME et TPE vont avoir, à court terme, un impact négatif sur l’emploi au niveau national ?

Mécaniquement, les 64 000 défaillances anticipées sur l'ensemble de l'année - frôlant le record des 65 000 de 2014 - pourraient finalement avoir impacté 220 000 emplois. D'ici à la fin de l'année, deux évolutions pourraient avoir un impact plus positif sur la santé des entreprises et l'emploi : la reprise de la consommation avec la baisse de l'inflation et des taux d'intérêt, ainsi que les conséquences économiques dans le temps de la réussite des Jeux Olympiques et Paralympiques. Deux obstacles à l'investissement des entreprises, la faiblesse de la demande et le coût du crédit, seraient ainsi surmontés.

Reste l'éléphant dans la pièce : le déficit budgétaire chronique et la dette publique abyssale de notre pays.

(*1) Le think tank Etienne Marcel est une association indépendante loi 1901 qui œuvre à la promotion de l’entrepreneuriat responsable et citoyen en France. Cette entreprise « citoyenne » assume pleinement son rôle dans la vie du territoire, en déployant une démarche de « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE) qui intègre volontairement à ses activités commerciales et à ses relations avec les parties prenantes les enjeux du développement durable, c’est-à-dire les préoccupations « ESG » pour environnementales, sociales et de gouvernance, de sorte de rester économiquement viable tout en ayant un impact positif sur la société et dans le monde.

(2*) Le salaire minimum interprofessionnel de croissance, Smic, anciennement salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), est, en France, le salaire minimum horaire en dessous duquel aucun salarié de plus de 18 ans ne peut être payé. Il est fixé à 1 398,70 euros nets par mois.