Je ne peux m’empêcher d’être frappé par la ressemblance entre les veilles que nous vivons aujourd’hui et celles qui ont précédé l’invasion israélienne du Liban. Ma mémoire me ramène à une réunion à laquelle j’ai assisté en tant que secrétaire. Après que le président égyptien Anouar el-Sadate a signé les Accords de Camp David avec Israël, le 26 mars 1979, le Front libanais a chargé l’un de ses membres éminents, le Dr Charles Malik, de se rendre aux États-Unis pour évaluer la situation et sonder le sort du Liban à la lumière de cet accord.
Le Dr Malik, expert reconnu et respecté de la politique américaine, s’est rendu à Washington, puis est revenu au Liban avec une série d’observations qu’il a partagées avec la direction du Front libanais. Il a également rencontré le conseil politique des Forces libanaises, qui tenait alors ses réunions régulières au siège du Parti des Gardiens des Cèdres – Mouvement national libanais, sous la direction de « Abou Arz ». Le conseil comprenait deux représentants de chaque parti membre du Front libanais.
Lors de cette réunion, le Dr Malik déclara que la région s'oriente inévitablement vers la paix, tôt ou tard, et que l’Égypte n’était que la première étape. Il expliqua qu’Israël ne savait pas quelle nation arabe signerait en premier un accord de paix avec elle — l’Égypte ou la Syrie — mais qu’elle était convaincue que le Liban serait la deuxième, sans aucun doute. Il mit en garde contre ce qui attendait le Liban s’il signait un tel traité, notamment la possibilité d’y implanter une partie des réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’UNRWA.
Mais cette paix n’est jamais venue. Le 6 juin 1982, Israël envahit le territoire libanais, entre à Beyrouth, et contraint l’OLP à l’exil à Tunis, dans le cadre d’un accord supervisé par les États-Unis. Le Liban et Israël entament alors des négociations pour un retrait israélien, qui aboutissent à l’Accord du 17 mai 1983. Cet accord est ratifié par le Parlement libanais et obtient l’approbation du monde arabe, notamment de la Syrie. Pourtant, il est annulé en mars 1984 après la guerre de la Montagne et l’insurrection du 6 février, au cours de laquelle le mouvement Amal prend le contrôle de ce qu’on appelait alors « Beyrouth-Ouest », dans la foulée des conférences de Genève et de Lausanne.
Et nous voici aujourd’hui à nouveau dans un contexte d’accord de cessez-le-feu — étrangement semblable à celui annulé il y a 42 ans. On ne peut s’empêcher de se demander : combien d’années avons-nous perdu pour revenir au même point ? Et pourquoi, demandent certains, avons-nous annulé cet accord à l’époque ?
Le cessez-le-feu actuel ne met pas seulement fin aux hostilités ; il marque le début d’une nouvelle phase, visant à démanteler les capacités militaires du Hezbollah dans le cadre d’une vaste offensive contre l’ensemble de l’Axe de la Résistance : Gaza, le Hezbollah au Liban, la Syrie de Bachar el-Assad, et probablement bientôt le Yémen puis l’Iran. Cette campagne a redessiné les équilibres régionaux et pourrait être l’expression de modifications profondes de l’Accord Sykes-Picot, qui avait partagé les territoires de l’Empire ottoman entre la France et la Grande-Bretagne.
Sous forte pression américaine, les nouvelles autorités libanaises — adoubées par Washington — font face à des violations israéliennes continues du cessez-le-feu. L’objectif ultime est clair : engager des négociations politiques entre le Liban et Israël, en vue de conclure un traité de paix. Washington, appuyé par une partie de la communauté internationale et des forces internes, a fait du désarmement du Hezbollah une condition préalable à toute reconstruction. En réalité, les États-Unis menacent de prolonger l’isolement du Liban et de bloquer toute aide extérieure si cette exigence n’est pas respectée.
Si la situation actuelle rappelle celle de la fin des années 1970, les résultats seront-ils les mêmes ? Je me souviens parfaitement de ce qu’a déclaré George Shultz, alors secrétaire d’État américain, lorsque le Liban a annulé l’accord du 17 mai. Il affirmait que cet accord aurait dû être signé le 28 décembre 1982, soit le lendemain du début des négociations entre le Liban et Israël à Khaldé, Kiryat Shmona et Netanya. Washington, désireux de mettre en œuvre l’initiative du président Ronald Reagan annoncée le 1er septembre 1982 pour résoudre le conflit israélo-arabe, considérait le retard libanais comme un blocage.
L’Union soviétique profita de ce retard pour soutenir ses alliés vacillants au Liban, ce qui mena à la guerre de la Montagne, à l’affaiblissement du mandat du président Amine Gemayel et à un basculement du rapport de forces en faveur du mouvement Amal et du Mouvement national. À mesure que le mandat de Gemayel s’effondrait, et après les tirs symboliques du porte-avions américain USS New Jersey sur certaines zones montagneuses, les États-Unis finirent par se retirer de la scène libanaise.
Aujourd’hui, plus aucune puissance internationale ne soutient l’Axe de la Résistance, désormais vaincu. Les parties perdantes n’ont pas la capacité de se relever, et les pressions s’intensifient pour affaiblir — voire éliminer — le Hezbollah.
Alors, comment réagiront les autorités libanaises, encore fragiles et mal installées au pouvoir ? Leur désarroi reflète celui du citoyen libanais moyen, qui crie sa détresse : « Malheur à moi ! », ou de celui qui erre, perdu, entre « deux lames affûtées ». Ou encore de celui qui se trouve littéralement « entre le marteau américain et l’enclume ».
Un désarmement forcé du Hezbollah aurait des conséquences catastrophiques. Mais ne pas satisfaire cette exigence entraînerait des sanctions sévères et des mesures internationales contre le Liban — voire donnerait à Israël le feu vert pour relancer une guerre contre le Sud, la Békaa et la banlieue sud de Beyrouth, comme cela s’est récemment produit à Gaza.
Quant à la paix avec Israël, le Liban espérait autrefois être le dernier à signer, comme il l’avait affirmé lors de la conférence de Madrid sur la paix en 1991, après l’OLP et la Jordanie, et en lien avec la position syrienne. Mais aujourd’hui, le Liban est poussé vers la table des négociations, quoi qu’en disent ses responsables, malgré les propositions américaines et internationales évoquées en coulisses, et malgré les tentatives d’exercer une pression sur Washington pour qu’elle change de cap.
A-t-on oublié qu’Israël occupe encore sept points dans le Sud libanais, et qu’elle affirme ouvertement n’avoir aucune intention de les restituer ? Pire encore, elle annonce son intention de les annexer dans le cadre des prochaines négociations sur la délimitation des frontières.
Alors, un salut plein de larmes à ces nouveaux « souverainistes » libanais… et aux mères libanaises qui espèrent ne jamais revivre l’histoire d’Aïcha, mère du dernier roi de Grenade, qui, voyant son fils quitter l’Alhambra en pleurant, lui dit :
« Pleure comme une femme sur un royaume que tu n’as pas su défendre comme un homme. »