Aucune loi électorale n'est parfaite. Dans les sociétés pluralistes aux structures sociales complexes, le principal critère d'évaluation des lois électorales est leur capacité à garantir une représentation équitable de toutes les composantes. Au Liban, depuis le coup porté à l'Accord de Taëf au début des années 1990, les lois électorales ont été façonnées pour servir la Syrie et ses alliés, sans même maintenir un minimum de cohérence—assurant ainsi la mainmise de Damas sur la scène politique et législative libanaise.
Un exemple flagrant de cette manipulation a été l’augmentation arbitraire du nombre de sièges parlementaires de 108 à 128, en contradiction avec l'Accord de Taëf, ainsi que la répartition incohérente de ces sièges entre les circonscriptions électorales. Des sièges chrétiens ont été ajoutés dans des régions où la présence chrétienne était plus faible, tandis que d'autres districts, où l'électorat chrétien était plus important, ont été sous-représentés. La loi électorale était souvent rédigée à Anjar, en parallèle avec la fabrication de candidats sans véritable poids représentatif. Cela s’est illustré lors des élections de 2000, lorsque la Syrie a cherché à affaiblir l’influence du Premier ministre Rafik Hariri, donnant naissance à ce qui fut appelé la "loi Ghazi Kanaan".
Malgré le retrait militaire syrien du Liban le 26 avril 2005, la loi électorale de 2000 est restée en vigueur, pénalisant la représentation chrétienne. Elle a empêché les chrétiens d'élire plus de 20 des 64 députés qui leur étaient alloués avec leurs propres votes, tout en bloquant l'émergence de candidats indépendants. À l'époque, le patriarche maronite Nasrallah Boutros Sfeir, figure clé du mouvement d'indépendance libanais, avait lancé un cri d’alarme : "La Constitution nous accorde 64 députés ; nous devons être en mesure de les élire."
Les élections de 2009 se sont déroulées sous l’ancienne loi électorale de 1960, rétablie par l’Accord de Doha après le lobbying intense du Courant patriotique libre (CPL), qui avait revendiqué cette victoire avec le slogan : "Aoun a rendu le droit à ses propriétaires." Toutefois, cette loi n’a finalement pas permis d’améliorer l’exactitude de la représentation.
S’en est suivi un long processus de réforme électorale, marqué par des reports successifs des élections. Au milieu des manœuvres politiques, la controversée loi électorale orthodoxe a été proposée, mais en 2017, un nouveau système basé sur la proportionnelle a été adopté. Surnommé "la loi Georges Adwan" en reconnaissance de son rôle dans son élaboration, son adoption a été facilitée par le consensus politique qui a suivi l’élection de Michel Aoun à la présidence et l’accord de Maarab.
Le Débat Autour de la Loi de 2017
Les critiques ont tourné en dérision cette loi, soulignant qu’un candidat ayant 50 voix pouvait être élu, tandis qu’un autre avec 5 000 voix pouvait échouer. Cependant, ils omettent un point essentiel : les électeurs votent pour des listes électorales, avec un vote préférentiel. Plus une liste accumule de votes, plus elle obtient de sièges—ce qui signifie que les électeurs choisissent avant tout une orientation politique, et non uniquement des individus.
D’autres ont déploré que le système proportionnel ait révélé les tailles électorales artificiellement gonflées qui étaient masquées sous l’ancien système majoritaire. Cette loi a mis fin à l’emprise des machines électorales, qui marginalisaient les électeurs chrétiens. Par exemple, dans Akkar, un district avec sept sièges, les électeurs chrétiens étaient souvent dilués dans la majorité sunnite, permettant au Courant du Futur de choisir des députés chrétiens à sa convenance. De même, à Baalbek-Hermel, la domination du Hezbollah permettait au parti de s’approprier deux sièges chrétiens et deux sièges sunnites, en plus de ses six sièges chiites.
La loi de 2017 a amélioré la représentation des chrétiens, leur permettant d’élire près de 50 députés avec leurs propres voix. Elle a aussi facilité l’élection de députés indépendants et de candidats issus de la révolte du 17 octobre, permettant des percées historiques dans des circonscriptions comme Hasbaya-Marjeyoun, Beyrouth I & II, entre autres.
Un Retour des Appels au Changement
À plus d’un an des prochaines élections législatives, les appels à remettre en cause la loi actuelle refont surface, comme en 2018 et 2022. Le président du Parlement, Nabih Berri, connu pour son habileté politique, tente d’affaiblir cette loi en proposant l’introduction d’un second vote préférentiel, ce qui diluerait la proportionnalité. Si cette modification ne changerait pas la répartition des sièges, elle permettrait néanmoins aux partis ayant un excédent de voix de déterminer le gagnant parmi leurs adversaires.
Par exemple, à Baalbek-Hermel, le Hezbollah pourrait diriger son électorat à accorder leur deuxième vote préférentiel à un candidat maronite de sa propre liste, ce qui garantirait l’élimination du candidat des Forces libanaises. Un scénario similaire s’est produit à Zahlé, où le député Bilal Al-Hashimi a été élu grâce aux votes excédentaires des Forces libanaises, avant de s’en distancer sur des questions clés, comme la nomination de Nawaf Salam au poste de Premier ministre.
Dans une interview accordée à la presse le 4 mars 2025, Berri a défendu son projet en affirmant qu’il vise à "réduire le vote sectaire et à renforcer la diversité politique". Il a expliqué que cette réforme permettrait aux électeurs de choisir un candidat de leur communauté et un autre d’une communauté différente, élargissant ainsi leurs options. Cependant, les résultats électoraux montrent une autre réalité : par exemple, le député Antoine Habchi a obtenu des milliers de votes sunnites et chiites, tandis que le député Mark Daou à Aley a reçu un soutien significatif des électeurs chrétiens.
Pendant ce temps, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Sheikh Naim Qassem, a pris une position différente le 10 mars 2025, déclarant : "Nous soutenons la loi électorale actuelle, sauf si de meilleures idées sont proposées." Ce revirement suggère une prise de conscience du fait qu’une nouvelle bataille électorale pourrait être perdue d’avance, compte tenu du peu de temps restant avant les élections et de l’impossibilité d’imposer le système de circonscription unique avec la proportionnelle, longtemps prôné par le Hezbollah.
Une Loi Imparfaite mais Nécessaire
La loi actuelle est loin d’être parfaite, mais en termes de représentation équitable, elle est nettement meilleure que toutes les lois précédentes. Bien que des réformes électorales soient nécessaires, une instabilité législative permanente serait néfaste. Toute tentative de modifier la loi à ce stade ne vise en réalité qu’à repousser les élections. Plus important encore, aucune alternative viable n’a été proposée pour améliorer la représentation.
Les ajustements nécessaires devraient concerner des modifications mineures, comme la question des six sièges réservés aux expatriés, ou encore la mise en place des mégacentres pour libérer les électeurs des pressions politiques et leur éviter de se déplacer jusqu’à leurs villages.
Peut-être faudrait-il suivre la ligne du président Joseph Aoun, qui a déclaré : "Mon mandat poussera, avec les futurs gouvernements, à l’amélioration des lois électorales en faveur de l’alternance, de la représentation équitable, de la transparence et de la responsabilité."