Les récents événements sur la côte syrienne ont ouvert la porte à divers scénarios, d’autant plus inquiétants que la crise en est encore à ses débuts. Ce qui se joue ne se limite peut-être pas à la structure interne de la Syrie, mais pourrait s’étendre au-delà de ses frontières, touchant un environnement régional déjà fragile.
L’effondrement rapide du régime précédent, après un coup décisif porté à l’axe de protection iranien, a pris de court les dirigeants de Damas ainsi que leurs alliés turcs. Ils avaient cru à une stabilisation illusoire et définitive de la situation au cœur de la capitale omeyyade.
Cela s’est produit après que l’axe opposé a momentanément fléchi sous la pression, recourant à des manœuvres militaires et politiques. Le président actuel, Ahmad Al-Sharaa, et ses alliés ont supposé qu’Iran et Russie appartenaient désormais au passé. Ils ont cherché à démanteler progressivement les aspirations kurdes tout en repoussant la résolution de la question druze, jugée non prioritaire. Confiants dans la défaite des Alaouites et des minorités pro-Assad, ils ont pensé pouvoir tranquillement consolider leur pouvoir, reconstruire la Syrie et solliciter un soutien extérieur pour relancer une économie exsangue et nourrir une population affamée.
Al-Sharaa a gouverné Damas avec une mentalité inspirée d’Idleb, s’entourant de loyalistes – principalement ceux approuvés par Ankara. Cependant, l’inexpérience du nouveau leadership, combinée à une approche revancharde contre d’autres factions sous prétexte d’éradiquer les « vestiges » du régime Assad, a entravé les efforts pour obtenir une légitimité interne et externe.
Comme leurs prédécesseurs qui ont accédé au pouvoir en Syrie par la force militaire – à commencer par le coup d’État de Husni al-Za’im en 1949 –, les nouveaux dirigeants sont confrontés à une opposition acharnée, tant interne qu’externe, déterminée à les renverser. Même le régime de Hafez al-Assad a fait face à des défis dans ses premières années, et son fils Bachar a finalement succombé aux pressions extérieures après 11 ans au pouvoir, lorsque les circonstances géopolitiques se sont alignées contre lui.
Un destin similaire menace désormais le nouveau régime à Damas, alors que diverses forces cherchent à le déstabiliser. Parmi elles, ceux qui ont directement perdu la bataille, comme l’Iran et la Russie, mais aussi ceux qui perçoivent un gouvernement islamiste soutenu par la Turquie comme une menace directe – notamment Israël. Par ailleurs, les États du Golfe et d’autres nations arabes, à l’exception du Qatar, restent méfiants face à une prise de pouvoir islamiste radicale.
Dès la chute du régime Assad, ses adversaires se sont mobilisés contre les nouvelles autorités, qui n’ont pas réussi à imposer un contrôle absolu sur le pays. Ivre de victoire, le nouveau pouvoir a écarté certains alliés et s’est projeté comme un régime pérenne sur une nation ravagée par la guerre.
L’incendie du sanctuaire de Hussein bin Hamdan al-Khasibi à Alep, quelques jours après le triomphe de la « révolution », a constitué le premier test majeur pour la nouvelle administration syrienne. Il a provoqué des troubles dans les régions Alaouites, réprimées par une violence d’État.
Cette répression a renforcé la confiance des dirigeants de Damas, qui ont ignoré le précédent irakien en démantelant l’armée syrienne, la considérant comme un vestige du régime Assad. Cependant, transformer 170 000 soldats en civils sans emploi dans un pays en crise après 14 ans de guerre civile, et exclure de nombreux fonctionnaires, a offert un terreau fertile à la rébellion. Des officiers supérieurs de l’armée dissoute ont organisé une insurrection méthodique, exploitant la colère populaire au-delà des seules revendications économiques.
Les défis du régime se sont multipliés alors que le sud de la Syrie échappait à son contrôle, passant sous influence israélienne avec l’imposition d’une zone démilitarisée et des avertissements directs contre toute avancée vers les zones druzes et sunnites.
Pendant ce temps, les régions kurdes, qui détiennent environ 80 % des réserves pétrolières du pays, sont en ébullition. À l’ouest, les communautés Alaouites se sont soulevées, déstabilisant les bastions côtiers où se trouvent les ports stratégiques de la Syrie.
Ce conflit grandissant a attiré des puissances étrangères aux intérêts divergents. L’Iran, évincé, a coupé ses approvisionnements en gaz et en pétrole tout en conservant une forte influence sur les groupes régionaux, notamment le Hezbollah au Liban.
La Russie, malgré ses revers, demeure résolue à regagner du terrain, conservant ses bases militaires et jouant son rôle d’équilibre face aux ambitions turques – une influence que ni les États-Unis ni Israël ne souhaitent voir s’étendre. Tandis qu’Israël favorise la partition du pays, Washington privilégie la stabilité, en tenant compte des intérêts israéliens tout en maintenant un fragile équilibre des pouvoirs. Les États-Unis soutiennent fermement les forces kurdes, dont l’ascension constitue une menace permanente pour Ankara.
Freiner l’influence turque à Damas est devenu crucial. Sans contrôle, la situation pourrait dégénérer, entraînant une fragmentation sociale plus dangereuse encore qu’une simple division territoriale. L’effet domino pourrait se propager aux États voisins, mettant potentiellement la Turquie elle-même sous pression face à une remise en cause de son intégrité.
Les factions Alaouites ont déjà sollicité une protection russe, tandis que l’Iran s’est réengagé dans le conflit. Israël domine le sud et partage le contrôle des régions orientales et septentrionales avec les Américains. La Turquie maintient une emprise sur les zones sunnites, d’Alep à Damas, mais n’a pas encore exercé une pression significative sur le pouvoir syrien.
Face à cette situation, Al-Sharaa a multiplié les apparitions publiques, décrété l’état d’urgence et recruté des combattants étrangers en provenance d’Idleb et d’autres régions pour contrer la dernière insurrection alaouite. Pour calmer les tensions internes et répondre aux critiques internationales, il a appelé à des enquêtes – bien qu’aucun deuil officiel n’ait été proclamé.
Avec une rhétorique sectaire menaçant l’unité sociale de la Syrie, le régime est désormais à un tournant critique : chercher une solution politique ou risquer un effondrement accru. La voie à suivre exige une ouverture vers toutes les factions syriennes, ouvrant la voie à des négociations et à une réconciliation, tout en engageant un dialogue avec les acteurs étrangers impliqués dans les conflits internes du pays.