Les funérailles des anciens secrétaires généraux du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah et son successeur Sayyed Hachem Safieddine, assassiné avant même de prendre ses fonctions, se sont déroulées dimanche dernier devant une foule dont les organisateurs ont sciemment exagéré l’ampleur en la chiffrant à un tiers de la population libanaise, afin de conférer à l’événement un poids politique plus important. Selon les estimations des forces de sécurité, la mobilisation aurait plutôt atteint un demi-million de personnes. Mais, quel que soit le chiffre exact, ce rassemblement a démontré que le Hezbollah conserve une influence considérable sur sa base populaire au Liban et dans la région, malgré les coups durs et les crises successives qu'il traverse.
Une démonstration de force
La décision du Hezbollah d’organiser des funérailles grandioses pour Nasrallah et Safieddine était une démarche mûrement réfléchie visant à afficher une image d’unité et de puissance. Les organisateurs ont plusieurs fois reporté la cérémonie pour des raisons de sécurité et afin d’assurer la participation d’un large public, aussi bien du Liban que des pays voisins. L’événement a ainsi confirmé la capacité du parti à mobiliser ses partisans en nombre.
Plus qu’un simple hommage funèbre, ces obsèques avaient une portée politique manifeste : elles devaient témoigner de la détermination du Hezbollah à poursuivre sa mission et à préserver son influence au Liban. En orchestrant une cérémonie d’une telle ampleur, le parti a cherché à rassurer ses sympathisants et ses alliés sur sa solidité face aux défis qu’il affronte.
Une transition à la tête du Hezbollah sous haute pression
Naïm Qassem, le nouveau secrétaire général du Hezbollah, hérite d’un leadership dans un contexte particulièrement délicat. Lors des funérailles, il a appelé les cadres et les partisans du mouvement à faire preuve de loyauté et d’engagement, insistant sur le fait que cette cérémonie n’était pas seulement un moment de deuil, mais aussi un acte de réaffirmation de la résilience du parti.
Qassem a annoncé que le Hezbollah resterait attaché à la « résistance » face à Israël, tout en tentant de recomposer ses alliances politiques dans un paysage libanais de plus en plus complexe. Sous la pression croissante d’acteurs internes et externes, le parti est confronté à des appels insistants en faveur de son désarmement et de sa transformation en simple force politique, notamment à la suite de l'accord de cessez-le-feu conclu avec Israël sous l’égide des États-Unis.
Signes d’un tournant stratégique ?
Toutefois, le discours de Qassem laisse entrevoir des inflexions notables. Ne reconnaît-il pas implicitement un tournant stratégique lorsqu’il déclare : « Nous sommes entrés dans une nouvelle phase aux outils et méthodes différentes » ? N’admet-il pas un changement d’approche lorsqu’il affirme que « le Hezbollah a accepté un cessez-le-feu sur la base de considérations stratégiques (...) Nous avons respecté nos engagements, mais Israël ne les a pas tenus. C’est désormais à l’État libanais d’assumer ses responsabilités » ? Son propos devient encore plus explicite lorsqu’il annonce que « le Hezbollah s’engage à participer à la construction de l’État » et réaffirme « son attachement à l’unité nationale, à la paix civile et à la participation de tous à la reconstruction du pays ».
Il serait illusoire d’attendre du Hezbollah un discours radicalement différent dans une telle circonstance. Mais une lecture politique plus fine permet de discerner l’ébauche d’un changement qui pourrait prendre du temps à se concrétiser.
Quelles perspectives pour l’avenir ?
L’État libanais, de son côté, se trouve en première ligne pour achever la mission de libération du territoire face à Israël, sans pour autant reproduire les lourdes pertes laissées par la lutte armée. Il s’efforce aussi de mobiliser les fonds nécessaires à la reconstruction, bien que les destructions aient été largement provoquées par des conflits échappant à son contrôle.
Quant à l’Iran, son influence sur le Hezbollah reste déterminante, malgré une volonté apparente de récupérer l’événement à des fins médiatiques. Mais le message transmis par le président libanais Joseph Aoun à la délégation iranienne lors des funérailles a été sans équivoque : il a réitéré son rejet de toute ingérence étrangère dans les affaires internes du Liban et a affirmé que « le pays est fatigué des guerres menées par d’autres sur son sol ».
Dans ces conditions, comment le Hezbollah pourra-t-il maintenir ses capacités de résistance si les relations irano-libanaises évoluent vers une interaction d’État à État, alors que les frontières terrestres sont bloquées et que les voies aériennes et maritimes sont étroitement surveillées ?
Le temps où le parti pouvait instrumentaliser l’État et ses ressources pour imposer unilatéralement des choix stratégiques semble toucher à sa fin. Désormais, l’unique voie possible pour les Libanais – et en premier lieu pour le Hezbollah – est de s’inscrire pleinement dans la construction d’un État souverain et de rompre avec toute logique de confrontation régionale alors que la restauration de ses anciennes capacités semble être impossible.
Les participants aux funérailles de Nasrallah et Safieddine ont vécu un moment de deuil et d’émotion intense. Mais aujourd’hui, ils aspirent à reprendre leur quotidien, à rentrer chez eux, à assurer l’éducation de leurs enfants et à relancer leurs activités économiques après des années de destruction.
Aussi douloureuse que soit l’absence des figures disparues, la vie doit continuer. Et si les armes n’ont pas permis d’atteindre les objectifs escomptés, la diplomatie et l’action politique, sur le long terme, pourraient bien s’avérer plus efficaces.