C’est avec calme que le président du Parlement, Nabih Berri, aborde les embûches, quelles qu’elles soient. Il accorde des marges de manœuvre au pouvoir en place, joue la carte de l’apaisement, tout en gardant à l’esprit des jours difficiles à venir. Il a fixé les séances de confiance pour le gouvernement sur deux jours, consacrés aux discussions autour de la déclaration ministérielle. Une décision qui lui permet, d’un côté, de donner le temps nécessaire pour finaliser ce texte et, de l’autre, de gérer la période des obsèques du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Mais au-delà de ces deux considérations, il y a une troisième, d’ordre politique : Berri entend signifier à l’exécutif qu’il a les coudées franches pour agir dans le cadre de ses prérogatives, mais que l’agenda parlementaire relève de son autorité.
Le Premier ministre n’a aucune objection quant au calendrier fixé. Il se prépare à se présenter avec son gouvernement devant la Chambre pour obtenir la confiance, sur la base de sa déclaration ministérielle. En la rédigeant, Nawwaf Salam a su ménager la majorité parlementaire opposante. Il a ainsi soigneusement évité toute mention explicite de la résistance, préférant insister sur le rôle de l’État dans la libération des territoires, la protection des frontières et la lutte contre le terrorisme. Il a aussi misé sur l’armée libanaise, qu’il entend renforcer en effectifs et en équipements pour garantir son rôle dans la consolidation de l’autorité de l’État.
Le programme gouvernemental s’engage à « œuvrer à la reconstruction d’un État souverain, fort et juste », tout en développant une vision détaillée sur la réforme des institutions et la nécessité de pourvoir les postes vacants dans l’administration. Il promet aussi de respecter les échéances électorales municipales et législatives. Salam a tenté de répondre aux attentes de tous en intégrant à sa déclaration un maximum de revendications favorables à l’idée d’un État fort. Un idéal partagé par beaucoup, mais dont la mise en œuvre se heurte à des réalités politiques et confessionnelles complexes. La question des nominations administratives, sécuritaires, diplomatiques et judiciaires reste un casse-tête, où le partage confessionnel s’entrelace avec les jeux politiques. À cela s’ajoute le volet financier et économique, où le gouvernement promet un nouveau dialogue avec le FMI, des réformes structurelles et la restitution des dépôts bancaires.
Les nominations administratives sont soumises à deux logiques : celle de l’accord de Taëf, qui consacre l’égalité entre chrétiens et musulmans, et celle du partage des postes entre les forces politiques. Officiellement, la déclaration ministérielle prévoit une sélection fondée sur le mérite, mais les expériences passées montrent que les logiques de quota finissent toujours par l’emporter. Le gouvernement est donc face à un test difficile. Certains s’attendent à ce qu’il procède à des nominations partielles pour éviter les confrontations, tandis que des sources proches du pouvoir assurent que l’ensemble des nominations est déjà sur la table et pourrait être effectué en plusieurs étapes ou d’un seul coup.
Dans sa déclaration, le gouvernement a également cherché à rassurer la communauté internationale, multipliant les engagements et les promesses, dans l’espoir que ces derniers se traduisent par des aides concrètes, notamment pour la reconstruction après la guerre israélienne. Mais ce processus demeure incertain et dépend de la mise en place des réformes demandées par les bailleurs de fonds. Autrement dit, les promesses du gouvernement dépassent largement ses capacités réelles. La confiance de la communauté internationale reste conditionnée aux réformes administratives et financières, ainsi qu’à un accord avec le FMI.
Par ailleurs, le temps dont dispose le gouvernement est limité. Son mandat ne lui permet pas de mettre en œuvre toutes ses ambitions, d’autant plus que l’année qui précède les élections législatives risque de transformer l’exécutif en simple gouvernement de gestion électorale. La perspective d’amender la loi électorale actuelle a d’ailleurs été évoquée par le Premier ministre, qui a fait référence à la réforme de Fouad Boutros. Une telle révision nécessiterait un long processus de discussions et de commissions parlementaires, autant d’étapes qui demandent du temps.
Malgré tous ces défis, le gouvernement devrait obtenir sans difficulté la confiance du Parlement, avec une large majorité. Le tandem chiite ne devrait pas se démarquer du consensus parlementaire attendu en faveur de l’exécutif. Comment, en effet, un gouvernement incluant toutes les forces politiques pourrait-il ne pas obtenir leur soutien ? D’autant plus que le Hezbollah a participé à la rédaction de la déclaration ministérielle, y incluant certaines modifications, notamment sur la question de la neutralité.
En dehors de quelques députés sunnites et des élus du Courant patriotique libre – exclu de la formation du gouvernement –, la confiance sera accordée presque à l’unanimité. Tout comme pour les nominations, la position de la communauté internationale pèsera lourdement sur le vote de confiance. Le soutien à Salam et à son gouvernement semble être la ligne de conduite attendue, tant des députés de la majorité que de ceux de l’opposition.
Une fois la confiance obtenue, le gouvernement devra se mettre au travail, avec en priorité les nominations sécuritaires, qui relèvent exclusivement du président de la République. Suivront les nominations administratives, un processus long et complexe qui ne manquera pas de susciter des tensions.
Si l’exécutif peut compter sur la confiance du Parlement, il reste à voir comment il parviendra à naviguer dans le champ miné des réformes et des nominations, sur fond de menaces israéliennes persistantes et de pressions internationales croissantes. La nomination du commandant en chef de l’armée et la désignation des nouveaux responsables de la Banque du Liban seront scrutées de près, tant elles relèvent d’enjeux qui dépassent le cadre national et restent sous l’influence directe des États-Unis.