Alors que le comité ministériel entame la rédaction de la déclaration ministérielle, document sur lequel repose la confiance du Parlement, le spectre du blocage ressurgit.
Au milieu des préoccupations locales du Liban – économiques, financières et sociales –, une seule question domine : celle de la résistance. En d’autres termes, la fameuse équation tripartite à laquelle tient le Hezbollah – armée, peuple, résistance –, rejetée par ses adversaires politiques qui la jugent dépassée, notamment après la guerre israélienne qui a lourdement éprouvé le pays et sa population. Or, bien avant que le Hezbollah et ses opposants ne réitèrent leurs positions respectives, le mandat en cours avait déjà défini sa propre trilogie, affichée aux côtés du portrait du président élu : armée, peuple, État.
Depuis la formation du gouvernement, son chef, Nawaf Salam, s’est appuyé sur le « Livre » – référence à l’accord de Taëf qui a servi de base à la révision de la Constitution – pour puiser l’essentiel de la déclaration ministérielle. Lors d’une première interview télévisée, il a souligné que cet accord ne mentionne pas la résistance. De fait, le terme est absent du texte de Taëf, qui se limite à réaffirmer l’armistice et la mise en œuvre des résolutions internationales.
L’effacement progressif de la notion de résistance de la déclaration ministérielle remonte au gouvernement de Tammam Salam en 2014. À l’époque, le document soulignait la nécessité d’appliquer la résolution 1701 du Conseil de sécurité tout en affirmant le droit des Libanais à résister à l’occupation israélienne, à riposter à ses agressions et à récupérer les territoires occupés.
Ironiquement, au fil des ans, les Libanais n’ont retenu de la déclaration ministérielle que la querelle sur la mention ou non du droit à la résistance. Sa présence ou son omission sont devenues des victoires politiques symboliques, tandis que d’autres clauses, pourtant cruciales, se répètent d’un gouvernement à l’autre sans réel impact. En théorie, ce document constitue une feuille de route sur laquelle les gouvernements s’engagent pour obtenir la confiance du Parlement. Mais dans les faits, le Parlement, qui dissèque minutieusement le texte pour la galerie et les caméras retransmettant les débats en direct, n’a jamais contraint un gouvernement à le modifier ou à en justifier les omissions.
Ainsi va cette déclaration ministérielle, un document soigneusement rédigé, censé inclure des réformes financières et économiques, mais qui, la plupart du temps, n’est qu’un texte creux, témoin de la crise profonde du Liban et de l’absurdité du consensus politique. Chaque engagement qu’il contient est soumis aux marchandages incessants entre les blocs politiques et au fameux système du 6 et 6 bis.
Depuis sa nomination et même après la formation du gouvernement, Nawaf Salam n’a cessé de réaffirmer son attachement au respect intégral de la Constitution. Il a évoqué la décentralisation administrative, la suppression du confessionnalisme politique et a promis un programme de réformes financières et économiques, tout en excluant l’effacement des dépôts bancaires. Il s’est également engagé à appliquer la résolution 1701.
Le facteur temps
Forts des expériences passées, certains lui ont conseillé de ne pas nourrir trop d’ambitions et de rédiger une déclaration ministérielle succincte, d’autant que la durée de vie de son gouvernement ne dépassera pas un an et deux mois, dont une grande partie sera consacrée aux préparatifs des prochaines élections législatives.
Si le discours d’investiture du président de la République définit une ligne directrice pour l’ensemble de son mandat, la situation est différente pour le gouvernement. Ce dernier doit composer avec le temps limité et les priorités urgentes, notamment les nominations sécuritaires, administratives et judiciaires. Plus de deux cents postes demeurent vacants dans l’administration, un vide qui paralyse l’appareil d’État et que le gouvernement est censé combler. Les premières nominations attendues concernent le gouverneur de la Banque du Liban et le commandant de l’armée. Autant de décisions qui nécessiteront d’intenses tractations entre le gouvernement, la présidence et le Parlement, alors même que ces questions ne figurent pas dans la déclaration ministérielle ni même dans la Constitution, hormis la règle tacite de la coutume qui impose une répartition confessionnelle des hauts postes de l’État.
En d’autres termes, les décisions cruciales sont souvent prises en dehors du cadre du programme ministériel. Si les gouvernements étaient réellement jugés sur son application, aucun ne serait allé au bout de son mandat. Dès lors, pourquoi rédiger une déclaration ministérielle et un discours présidentiel, alors même que la Constitution ne confère pas au chef de l’État les prérogatives nécessaires pour appliquer seul ses engagements ? Toutefois, la vacance présidentielle puis l’élection de Joseph Aoun ont suscité un espoir parmi les citoyens, qui ont cru aux promesses du mandat.
Dès lors, pourquoi le gouvernement de Nawaf Salam ne s’alignerait-il pas sur la feuille de route présidentielle et ne solliciterait-il pas la confiance du Parlement sur cette base ? En théorie, rien ne s’y oppose. Mais le « Livre » auquel s’accroche le Premier ministre lui rappelle constamment le principe de la séparation des pouvoirs, qui l’oblige à définir son propre programme d’action.
Une attitude qui se veut conforme aux textes, mais qui ne prend pas en compte la réalité du pays et l’urgence des réformes. Car sans volonté politique et sans consensus, la déclaration ministérielle ne restera qu’un texte sans effet, un enchaînement de promesses jamais appliquées.
C’est le scénario habituel à chaque formation d’un gouvernement : une bataille sur le vocabulaire, des formules étudiées, des références juridiques et constitutionnelles savamment choisies. Mais le problème n’est pas dans la forme. Il est dans un texte devenu un rituel, un exercice de style qui ne se traduit jamais par des actions concrètes. Ainsi, la déclaration ministérielle reste une promesse en l’air, répétée d’un gouvernement à l’autre, une succession de paragraphes qui débutent par des engagements et se terminent par un simple « sur parole » – sauf si, par miracle, le gouvernement de Salam faisait exception. Et c’est bien là tout l’enjeu.