Une fois de plus, le Liban est paralysé par une crise politique qui soulève une question essentielle : la faute revient-elle au système lui-même ou à une élite politique qui refuse de céder du terrain ? L’impasse autour de la formation du gouvernement met en lumière une incapacité chronique à dépasser les querelles confessionnelles et les luttes d’influence qui paralysent chaque administration.
Le Premier ministre désigné, Nawaf Salam, avait une vision claire : un gouvernement composé de personnalités compétentes, indépendantes des partis politiques et engagées à ne pas se présenter aux élections législatives. Mais cette ambition s’est vite heurtée aux réalités du système libanais. Chaque leader communautaire considère la formation du gouvernement comme un moyen d’asseoir son influence et d’obtenir sa part du pouvoir. Certains cherchent à compenser leurs pertes politiques passées, tandis que d’autres veulent imposer leur contrôle sur des ministères clés pour préserver leurs intérêts.
Entre ingérences étrangères et blocage interne
Depuis des décennies, la formation des gouvernements libanais est influencée par des acteurs extérieurs. Sous la tutelle syrienne, les cabinets étaient imposés depuis le régime Syrien, sous l’autorité de Damas. Après le retrait syrien en 2005, on espérait voir le Liban retrouver son autonomie politique, mais les divisions internes ont rapidement laissé place à de nouvelles médiations internationales. Le Qatar, avec l’Accord de Doha en 2008, la France, l’Arabie saoudite et plus récemment le groupe des cinq puissances internationales ont tous tenté de jouer les arbitres. Malgré ces interventions successives, rien ne change : les mêmes blocages persistent, alimentés par des intérêts partisans qui priment sur toute volonté de réforme.
Mais si les influences extérieures jouent un rôle, le problème reste avant tout interne. L’Accord de Taëf, censé instaurer un équilibre des pouvoirs, est devenu un terrain de bataille où chaque faction cherche à imposer son interprétation. Chaque formation gouvernementale s’accompagne de disputes sur la répartition des ministères, les prérogatives du président et du Premier ministre, ou encore les limites d’un gouvernement en gestion des affaires courantes. Tant que chaque camp instrumentalise la Constitution à son avantage, toute tentative de gouvernance sera vouée à l’échec.
Un cercle vicieux sans fin
Comme ses prédécesseurs, Nawaf Salam risque de s’enliser dans des négociations interminables. La formation du gouvernement Tammam Salam avait pris 11 mois, et son cabinet, une fois en place, manquait d’élan. Le scénario semble se répéter : un Liban toujours en crise, pris entre influences étrangères et luttes internes.
La question demeure : la crise libanaise est-elle une fatalité dictée par la structure politique du pays, ou le résultat d’une élite qui refuse de céder du terrain ? Si l’Accord de Taëf est devenu un obstacle, faut-il un « Taëf II » ou un nouveau pacte national pour refonder le système ? Sans réforme en profondeur et un changement de mentalité politique, le Liban restera piégé dans un cycle sans fin, oscillant entre crises institutionnelles et paralysie gouvernementale.