Voici un entretien mené par Eric Revel à Paris avec Matéis Mouflet, analyste de marché chez XTB France, concernant une étude réalisée auprès d’un échantillon de 1 022 personnes, représentatif de la population française par tranche d'âge, statut socio-professionnel, catégorie d’agglomération et région de résidence. Les entretiens ont été réalisés par un questionnaire auto-administré en ligne sur système CAWI (Computer Assisted Web Interview) fin 2024.

Devant l’instabilité politique et économique du pays, les Français continuent de « thésauriser », accumulant de « l’épargne de précaution » pour tenter de prévenir un avenir incertain et complexe à appréhender. Une attitude protectrice au moment où le nouveau ministre de l’Economie, Éric Lombard, promet de nouvelles hausses d’impôts « limitées ». Pas de quoi rassurer, ni les épargnants, ni les consommateurs, ni les Français, tout simplement.

Quels sont les principaux enseignements du sondage concernant l’épargne des Français en ce début d’année 2025 ?

Le sondage nous révèle que les Français disposent de connaissances limitées en matière de finance, un constat qu’ils partagent d’ailleurs eux-mêmes. Bien que 89% d’entre eux soient en mesure d’épargner et d’investir, 89% ne se perçoivent pas comme des experts en finance et 41% se considèrent même novices. Par ailleurs, leur aversion au risque est notable : 57% privilégient avant tout la liquidité, c’est-à-dire la possibilité de retirer leur argent à tout moment et 54% favorisent la préservation de leur capital. En revanche, la recherche de performance n’attire que 27% des épargnants. Il n’est donc pas surprenant que les supports d’épargne favoris restent le Livret A et les assurances vie en fonds euros, suivis des investissements dans l’or et l’immobilier.

Malgré le fait qu’il soit reconnu par les professionnels de la finance comme étant à la fois le plus performant et le moins volatil sur le long terme, l’investissement en actions est largement délaissé par les épargnants français. Seulement 11% estiment que les actions représentent un investissement d’avenir. Ce chiffre grimpe légèrement à 18% parmi les Français qui se considèrent comme ayant un niveau avancé en finance, mais demeure faible.

Le portrait-robot de l’épargnant français révèle donc une personne non experte en finance, économe et prudente, à contrario du profil type de l’épargnant anglo-saxon.

Les Français ont-ils le sentiment qu’avec les poussées inflationnistes que l’on a connues, l’épargne les protège ?

Plus de la moitié des épargnants sondés considère qu’investir dans l’économie réelle est la meilleure protection contre l’inflation (56%). Cependant, par manque d'éducation financière, les actions sont considérées par l’épargnant français, à tort, comme non rémunératrices et dangereuses. L’expatriation est une solution alternative retenue dans 44% des votes (et 66% pour les moins de 35 ans).

Surtout, près d’un français sur deux estime qu’épargner davantage constitue une solution face à l’inflation (47%). Cette approche pourrait effectivement être efficace si cette épargne était investie dans des supports offrant des rendements nettement supérieurs au taux d’inflation. Cependant, comme évoqué précédemment, ce n’est généralement pas le cas. Au cours des 50 dernières années, le niveau général des prix a progressé d’en moyenne 4,8% par an alors que le taux moyen du livret A sur la même période s’est élevé à 3,47%. Avec un différentiel de plus de 1%, cela représente une perte considérable de valeur pour les épargnants sur le long terme.

En théorie, en période d’inflation, il est rationnel d’investir, voire de consommer immédiatement, pour éviter de payer plus cher à l’avenir. Les Français, au contraire, tendent à réduire leur consommation actuelle, acceptant ainsi de dépenser davantage dans le futur, tout en plaçant leur épargne sur des supports peu performants tels que le livret A ou les fonds euros. Cette stratégie se traduit par une perte de pouvoir d’achat, leur épargne étant érodée par l’inflation. Elle est contre-productive au final, c’est de la fuite en avant.

Pas de budget 2025, après la chute du gouvernement Barnier, les Français sont-ils attentistes ou l’absence de fiscalité claire les pousse à épargner davantage ? Le nouveau ministre des Finances, Eric Lombard, indique pourtant une hausse de la « fiscalité limitée » …

Il est encore prématuré d’évaluer les effets immédiats de la censure. Cependant, il paraît peu probable que le prochain gouvernement renonce à indexer le barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation. Par conséquent, les Français ne devraient pas avoir à anticiper une augmentation de leur charge fiscale sur le revenu pour l’année prochaine.

Et pourtant, entre le troisième trimestre 2023 et le troisième trimestre 2024, le taux d’épargne des ménages français est passé de 16,5% à 18,2%. Cette hausse s’explique principalement par l’augmentation des taux d’intérêt qui a considérablement réduit les capacités d’investissement immobilier des épargnants. Cela les incite à épargner encore plus dans l’espoir de pouvoir former un apport immobilier lorsque les conditions de taux seront plus favorables.

Ce gouvernement, comme d’autres avant lui, peut avoir la tentation de « boucher » le trou budgétaire avec l’épargne des Français !

Cette épargne semble donc davantage relever d’une contrainte imposée par les conditions économiques que d’une stratégie liée à un manque de visibilité fiscale.

Toutefois, cette épargne « forcée » pourrait être bien vite complétée d’une épargne « de conviction ». En effet, l’indice de confiance des consommateurs dans l’économie a reculé de 5,5% depuis septembre, ce qui est généralement un signal que les consommateurs souhaitent davantage épargner pour se prémunir des risques futurs.

Les records du Bitcoin avec l’arrivée au pouvoir de Trump… plus généralement, les nouvelles générations semblent considérer les cryptomonnaies comme une forme de « valeur refuge » ?

Les jeunes de moins de 35 ans sont davantage enclins à investir dans des actifs risqués que leurs aînés, en partie parce qu’ils ont grandi avec l’émergence des ETF (fonds indiciels cotés) et des crypto-monnaies, des produits relativement récents. Toutefois, seuls 13% d’entre eux prévoient une surperformance des crypto-monnaies sur le long terme

Certains investisseurs considèrent les crypto-monnaies comme des « valeurs refuges », conscients que les banques centrales ont massivement créé de la monnaie ces dernières années. Cette création monétaire est largement tenue pour responsable, partiellement ou totalement, de l’inflation récente. À l’inverse des devises traditionnelles, les crypto-monnaies les plus établies, comme Bitcoin ou Ethereum, sont protégées de l’inflation grâce à des mécanismes limitant leur émission, ce qui empêche une entité de pouvoir en émettre « quoi qu’il en coûte » à la manière de la Banque Centrale Européenne (BCE).

Cependant, en pratique, il est difficile de considérer ces actifs comme de véritables valeurs refuges. Leur volatilité extrêmement élevée les rend inadaptés à ce rôle. De plus, leur forte corrélation avec les marchés actions, en particulier les valeurs technologiques, réduit encore leur caractère protecteur. En réalité, les crypto-monnaies devraient plutôt être perçues comme des amplificateurs de risques – et potentiellement de performances – associés aux actions, plutôt que comme des refuges sécurisés.

L’or en période de grandes incertitudes (nationale, géopolitique, économique…) demeure incontournable ? Pour les citoyens comme pour les États ?

L’or est reconnu comme un actif souvent inversement corrélé au reste du marché. Ainsi, en période de baisse des marchés, notamment en raison de chocs exogènes tels que des pandémies ou des conflits, son cours tend à rester stable, voire à augmenter. De plus, lorsque les marchés progressent, notamment sous l’effet de baisses des taux d’intérêt par les banques centrales, l’or peut également en bénéficier, offrant un potentiel de gains dans les deux configurations.

En effet, selon l’étude, l’or demeure un placement d’avenir et le métal précieux est devenu la « relique civilisée » d’une « économie barbare » !

C’est pour ces raisons que l’or est perçu comme un actif de référence par les Français. Non seulement ils estiment qu’il pourrait afficher les meilleures performances au cours des deux prochaines décennies (35% des sondés considèrent l’or comme un investissement d’avenir), mais ils lui attribuent également un caractère défensif qui correspond parfaitement à leur comportement prudent. Cette perception, toutefois, est paradoxale et révèle un biais cognitif des Français. Contrairement à ce qu’ils souhaiteraient, les actifs les plus performants ne peuvent être les moins risqués. La prise de risque est une condition nécessaire à l’obtention de performances élevées.

Placement en or ou en obligation ?

Dans l’imaginaire collectif, l’or, tout comme d’autres actifs tangibles tels que l’immobilier, est associé à des valeurs perçues comme peu risquées. À l’inverse, les obligations, qui sont pourtant des refuges par excellence, ne jouissent pas de la même image, bien que les Français en détiennent largement au travers des fonds en euros de leurs contrats d’assurance-vie.

Du côté des États et des banques centrales, l’achat d’or n’a pas pour objectif la performance financière. Il vise principalement à accompagner l’inflation et à renforcer la confiance des citoyens dans des devises comme l’euro et le dollar. Cependant, les quantités d’or détenues restent modestes en comparaison des masses monétaires en circulation.