Les élections américaines auront lieu le 5 novembre. Les sondages sont très serrés entre Kamala Harris et Donald Trump. Avec une légère remontée de l’ancien président…Partagez-vous l’idée que la dynamique est plutôt du côté de Trump en cette fin de campagne ?

Kamala Harris a en effet perdu des points dans les sondages depuis son investiture au mois de septembre. Face au rouleau compresseur Trump dont les outrances font chaque jour l’actualité, la candidate démocrate a du mal à imposer ses thèmes. Le bilan économique de Biden est à mes yeux excellents mais ce n’est pas du tout perçu comme tel par les Américains, ce qui est un phénomène classique. En France, les entreprises ont créé 2 millions d’emplois ces dernières années, mais peu de Français créditent quiconque d’une amélioration de la situation du marché du travail. Sur les questions d’immigration et d’insécurité, Kamala Harris n’a pas de bilan positif à défendre car la situation des Etats-Unis est, sur ces sujets, objectivement mauvaise. Ne lui reste que la défense de l’avortement, sujet évidemment crucial mais insuffisant pour gagner l’élection, où le désordre institutionnel que créeraient l’élection de Trump. Mais ce dernier argument ne semble pas beaucoup convaincre les électeurs Républicains.

Ceci étant dit, cette élection américaine se joue dans les swing states comme le Michigan, le Nevada ou l’Arizona, à quelques milliers de voix. Tout pronostic est donc un exercice futile voire inutile. Je suis très agacé quand j’entends des responsables européens être terrorisés par l’élection possible de Trump. Quel que soit le gagnant, les Etats-Unis se désintéresseront de plus en plus de l’Europe. Nous devons être adultes et puissants par nous-mêmes.

Deux grands thèmes focalisent la campagne américaine : le pouvoir d’achat et l’immigration. Le bilan de Biden, sur ces deux items, est-il porteur pour Kamala Harris ?

Sur l’immigration clairement pas mais la faiblesse de Kamala Harris puise dans un sujet plus large : le sentiment que les démocrates sont incapables de faire régner l’ordre. Prenez des bastions démocrates comme San Francisco ou Los Angeles. Le nombre de homeless a atteint un nombre délirant, on ne peut plus se loger, la drogue circule comme l’eau dans la rivière… Kamal Harris est une femme raisonnable mais une partie importante du parti démocrate est aussi laxiste que le sont nos écologistes les plus radicaux. Les Américains rejettent ça. Sur l’économie en revanche, le bilan de Joe Biden est absolument remarquable. L’inflation reduction act (IRA), qui est un grand système de credits d’impôts pour les entreprises, génère une réindustrialisation verte dans le pays, ce qui montre que la puissance économique et l’écologie sont parfaitement compatibles. Grâce a cette politique, les Etats-Unis redeviennent un pays industriel tout en produisant des innovations qui vont contribuer à decarboner le monde. Ils rendent aussi très difficiles à la Chine de les rattraper économiquement. C’est une politique bien conçue et très bien exécutée par une excellente administration.

Le débat sur le système santé fracture aussi les deux camps : La candidate démocrate veut renforcer l »Obamacare » ; le candidat républicain trouve cette réforme « minable ». L’Etat américain, très endetté, a-t’il les moyens de financer cette extension de couverture sociale ?

Il y a objectivement un souci d’accès à la santé aux Etats-Unis. Le pays est l’un de ceux qui dépense le plus au monde en la matière pour des résultats médiocres. C’est un système très inégalitaire où vous trouvez les meilleurs hôpitaux au monde mais où la couverture assurantielle est pour les familles une charge financière colossale. Surtout, les modes de vie font exploser les maladies chroniques et les coûts. Dans son autobiographie, JD Vance, le colistier de Donald Trump, raconte que, quand il était enfant, il prenait tous ses petits déjeuners au fast food. Il est vrai que les Etats-Unis sont très endettés mais, en proportion de leur PIB, pas beaucoup plus que la France. Surtout, leur dynamisme économique et le rôle du dollar rendent cette dette soutenable.

Kamala Harris a fustigé dans ses derniers meetings le comportement « de plus en plus instable et dérangé » de Trump. L’ancien Président américain avait lui aussi ironisé sur la santé mentale de Biden . Ce type d’argument peut-il déplacer des voix ?

Non. Les Etats-Unis sont un pays incroyablement clivé et la quasi-totalité des Américains sait pour qui il va voter. Les supporters de Trump considèrent que leur candidat est un héros et ils applaudissent à chacune de ses provocations contre Harris, les médias ou les juges. Les partisans de Kamala Harris estiment que l’élection d’un Trump beaucoup plus jusqu’au boutiste et préparé qu’il y a 8 ans ferait courir un risque à l’Etat de droit américain. Permettez-moi de vous dire que je partage cette analyse. Mais tout ceci n’est pas nouveau et n’a plus beaucoup d’impact sur la campagne en cours.

Le camps démocrate mobilise le show business américain… Trump jouit du soutien sans faille du milliardaire à succès Elon Musk. Mobilisation d’un électorat jeune contre celle d’un électorat plus âgé ?

Trump incarne le monde du business et c’est très bien vu aux Etats-Unis. C’est une immense différence avec la France. Pascal Bruckner a coutume de dire que la différence entre nos deux pays, c’est que les Français ont un problème pour parler d’argent et les Américains un problème pour parler de sexe. Je n’aime pas la personnalité de Musk et je déteste les réseaux sociaux et Twitter en particulier, mais Elon Musk est un genie. Tesla, SpaceX ou Neuralink sont des entreprises qui révolutionnent les transports, l’espace , la robotique, les neuro technologies. D’ailleurs, nous Européens devrions y réfléchir jour et nuit. Prenez l’intelligence artificielle : toutes les entreprises qui comptent sont américaines, aucune n’est européenne. La nouvelle Commission Européenne semble enfin acquise à cette problématique mais la vérité c’est que, en matière d’innovation, notre continent a complètement décroché par rapport aux Etats-Unis, ce qui nous fait courir un risque presque existentiel. Le récent rapport Draghi en parle mais, en France et en Allemagne, la plupart de nos politiques s’en désintéressent, ce qui est une erreur majeure.

Les 7eme Rencontres de l’Avenir que vous présidez se tiendront à Saint-Raphael du 8 au 10 novembre . Nicolas Sarkozy y prendra la parole pour parler de « l’avenir de la France ». Cet avenir passe -t’il par plus de souveraineté economique ?

Ni la France ni l’Europe n’ont fait de choix clair en la matière. Kamal Harris et Donald Trump ont au moins quelque chose en commun : ils veulent tous deux une Amérique innovante, technologiquement à la pointe, économiquement puissante car ils savent que la puissance scientifique et économique est un attribut de la puissance géopolitique. En France, nous préférons matraquer fiscalement les entreprises et sacrifier les dépenses d’avenir pour tenter de protéger notre Etat-providence. C’est en effet l’un des sujets que nous évoquerons à Saint-Raphaël avec le président Sarkozy, mais aussi avec la cinquantaine d’intellectuels, dirigeants d’entreprises, responsables polémiques qui seront présents sur place. Ces Rencontres qui rassemblent plus de 10 000 personnes défendent la science, l’innovation, le progrès, la liberté, ces valeurs des Lumières qui sont parfois combattues à l’intérieur même de nos pays occidentaux.

(*) Économiste et essayiste français, directeur du cabinet d’études Asterès et président des Rencontres de l’Avenir de Saint-Raphaël, enseignant au sein du MBA Law & Management de l’Université de Paris II Assas.