Le pétrole au plus bas depuis huit mois, les opérateurs craignent un marché déséquilibré durablement … Est-ce votre avis ? Quelles conséquences ?
Les marchés, y compris les marchés pétroliers, sont très centrés sur le court terme. Le mot ‘’durablement’’ doit donc être apprécié dans ce contexte. Disons que cette crainte concerne la période 2024-2025. Derrière cette crainte, il y a certains éléments tangibles, notamment sur l’offre, et des anticipations, notamment sur la demande. Globalement, il y a une probabilité significative d’excédent de l’offre sur la demande en 2025. Cela dit, la demande pétrolière mondiale continue à augmenter en 2024 après avoir atteint un niveau record en 2023 et ce sera également le cas en 2025. La principale conséquence de cette situation et de cette perception est la baisse des prix du pétrole brut. Si l’on prend comme référence le Brent, les cours ont chuté de 14 dollars depuis le début juillet avec près de $86 par baril le 3 juillet et $71,80/b le 9 septembre dans la soirée.
Quelles explications ? L’Offre de brut serait trop importante sur le marché alors que le ralentissement economique frappe les Etats-Unis et la Chine ?
En dépit des réductions de production par les pays de l’OPEP+ (22 pays), l’offre pétrolière mondiale va continuer à augmenter d’ici la fin 2025 du fait de la croissance de la production de quatre pays américains, les Etats-Unis et le Canada en Amérique du Nord et le Guyana et le Brésil en Amérique du Sud. C’est un point qui est clairement établi. Dans le même temps, l’économie chinoise suscite des inquiétudes. Or, ce pays est le deuxième consommateur mondial de pétrole après les Etats-Unis et le premier importateur. Il devait par ailleurs être la principale locomotive de la croissance de la demande avec une part d’un peu moins de 40% sur 2024-2025.
L’expert Sam Stovall estime que la prime géopolitique dont ont bénéficié les cours du brut depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas " a masqué la faiblesse de la demande". D’une manière plus générale, les facteurs géopolitiques pèsent -ils sur les cours du Brut ?
Le pétrole est une matière première qui a un très fort contenu géopolitique et il est donc parfaitement logique que les tensions géopolitiques aient un impact significatif, voire majeur, sur les prix de l’or noir. En 2022, la guerre en Ukraine a eu un impact très fortement haussier sur les cours du brut. Pour la guerre à Gaza, il y a eu, à plusieurs reprises depuis octobre 2023, une prime géopolitique dans les prix du pétrole mais celle-ci a été beaucoup moins importante que celle liée à la guerre en Ukraine. Mais pour revenir à la déclaration de Sam Stovall , il a parfaitement raison : si la guerre à Gaza s’arrêtait demain, les prix du pétrole baisseraient. Pourtant, Israël et Gaza ne produisent pas une goutte de pétrole. Mais la guerre est au Moyen-Orient, région qui concentre près de 50% des réserves prouvées mondiales de brut. Les marchés redoutent l’extension régionale de ce conflit, ce qui pourrait perturber les activités pétrolières. On en voit d’ailleurs des signes avec les affrontements quotidiens entre Israël et le Hezbollah au Liban, les attaques par les Houthis du Yémen contre des navires marchands en mer Rouge, y compris des navires pétroliers, et les risques de conflit direct entre Israël et la République islamique d’Iran. En dépit de ces menaces, la production et les exportations pétrolières du Moyen-Orient n’ont pas, à ce jour,été affectées négativement par le conflit entre Israël et le Hamas, ce qui fait que la prime de risque a diminué et que les marchés sont surtout préoccupés par l’évolution de la demandemondiale. Mais cette prime géopolitique peut à nouveau augmenter demain en fonction de l’évolution de la situation.
l'Organisation des pays exportateurs de pétrole discute d'un possible décalage du calendrier d'augmentation de sa production… S’agit-il juste de gesticulations verbales ?
Huit pays de la coalition OPEP+ avaient décidé d’augmenter leur production pétrolière de 180 000 barils par jour chaque mois entre octobre 2024 et septembre 2025, soit 2,2 millions de b/j sur cette période de 12 mois. Le 5 septembre, ces pays (Arabie Saoudite, Russie, Irak, Emirats Arabes Unis, Koweit, Kazakhstan, Algérie et Oman) ont annoncé qu’ils repoussaient de deux mois la mise en œuvre de cette décision, ce qui veut dire que la hausse progressive de leur production débutera en décembre 2024 et pas en octobre. Ces Etats espéraient rassurer les marchés pétroliers mais ce report n’a eu aucun impact haussier car deux mois, ce n’est vraiment pas grand-chose. Il n’y avait pas de quoi impressionner les opérateurs.L’OPEP+ devra trouver autre chose si elle veut vraiment faire remonter les prix.
La faiblesse actuelle du prix de l’or noir peut-elle constituer un ballon d’oxygène pour les économies française et allemande ?
La baisse des prix du pétrole bénéficie à tous les pays importateurs de brut, dont les Etats membres de l’Union européenne. L’Allemagne et la France ne produisent pas ou quasiment pas de pétrole et leur consommation est donc satisfaite par les importations. C’est donc une bonne nouvelle pour ces deux pays mais une petite bonne nouvelle car il ne faut pas oublier que les prix du pétrole peuvent augmenter demain ou après-demain. Et cela ne compensera pas les faiblesses structurelles des économies de ces deux Etats.