Quelles seraient les priorités économiques du prochain gouvernement ?
Je pense qu’il faudrait s’attaquer à la question du déficit et de la dette publique. Jusqu’à ce printemps, l’Etat Français parvenait à s’endetter à des taux faibles, aux alentours de 0 % une fois retirée l’inflation (taux réel). Mais, depuis l’annonce de la dissolution, les taux français (notamment le « spread », c’est-à-dire l’écart de taux entre la France et l’Allemagne, qui représente la prime de risque demandée par un investisseur pour prêter à la France) a soudainement augmenté et reste depuis à un niveau élevé. Les créanciers du pays ont pris peur à l’idée que des partis avec des programmes extrêmement dépensiers (notamment le NFP et le RN) arrivent au pouvoir. En fait, quand on regarde le spectre politique français, on a le choix entre des partis qui se préoccupent peu du déficit public (le centre et la droite) et d’autres qui s’en préoccupent pas du tout (la gauche et l’extrême droite). La conséquence est que, aujourd’hui, les investisseurs considèrent que la dette française est plus risquée que celle du Portugal, un pays qui était pourtant en très grande difficulté il y a une douzaine d’années !
Il ne convient donc pas de mener une politique d’austérité brutale, qui ne ferait qu’asphyxier l’économie sans régler les problèmes, mais conduire une politique qui permette progressivement de limiter le déficit public, en commençant par admettre qu’il y a un réel sujet concernant les finances publiques. Politiquement, ce n’est pas facile, car les solutions peuvent être assez impopulaires (travailler plus, augmenter les impôts, brider la dépense publique), mais cela semble indispensable dans le contexte actuel.
Y-at’il des réformes économiques à mener d’urgence ?
Je ne dirais pas des réformes urgentes, plutôt des points faibles bien identifiés de l’économie française sur lesquels il faut travailler dans la durée. Parmi les faiblesses de l’économie françaises je citerais notamment la question de la formation (initiale et tout au long de la vie), le faible taux d’emploi, l’insuffisance de l’investissement en R&D ou encore un cadre administratif parfois trop contraignant (construire une usine en France est un parcours du combattant). Dans le fond, le déficit public élevé résulte de ces points faibles car, si nous avions plus de croissance, il y aurait aussi plus de recettes fiscales. La France n’est pas la Grèce en 2010, nous ne sommes pas en situation de faillite, il vaut donc mieux conduire des réformes bien réfléchies et durables que d’agir dans la précipitation et de changer constamment de politique économique. Le problème est que la situation actuelle d’instabilité politique se prête mal à la réalisation de réformes de fond, on risque probablement d’être dans une gestion « au fil de l’eau », ce qui est l’inverse de ce dont nous aurions besoin.
Les réductions d’impôts avancées par Emmanuel Macron pour les classes moyennes sont-elles réalisables ?
Les réductions d’impôts destinées à accroître le pouvoir d’achat ne me semblent pas être une bonne idée au vu de l’état des finances publiques et de la situation de l’économie française. D’une part, le déficit public est déjà élevé, à un niveau qui commence à inquiéter nos créanciers. D’autre part, l’économie française ne souffre pas d’une insuffisance de demande, mais d’une incapacité à accroître l’offre, on le voit avec les difficultés de recrutement, la lenteur de la réindustrialisation ou la perte de parts de marché des entreprises françaises à l’exportation.
Dans ce contexte, il ne me semble pas pertinent de réduire les impôts sur les classes moyennes, ni de réduire la TVA ni, d’une manière générale, de dépenser de l’argent public pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages. C’est une position qui n’est pas populaire, ce qui explique que la plupart des partis politiques optent pour la facilité en promettant du pouvoir d’achat financé par la dette publique, ce qui n’est franchement pas raisonnable. La hausse du pouvoir d’achat n’est possible qu’à condition de générer plus de croissance car, dans le fond, plus de pouvoir d’achat signifie consommer plus, ce qui n’est possible que si la production augmente également, car on ne peut pas consommer ce qui n’est pas produit (sauf à faire exploser le déficit commercial). Autrement dit, le pouvoir d’achat ne pourra augmenter significativement et durablement que si la production s’accroît également, ce qui implique de travailler plus ou mieux.
Quelles conséquences un SMIC à 1800 euros ou le rétablissement total de l’ISF ? Même si certains leaders de Gauche n’en font plus que des « horizons à moyen terme »…
Une forte hausse du SMIC ne me semble pas souhaitable. Elle diminuerait les incitations des entreprises à embaucher, elle augmenterait les coûts, donc les prix et elle creuserait le déficit commercial en diminuant la compétitivité des entreprises françaises. Le SMIC est indexé sur l’inflation, ce qui est une bonne chose pour préserver le pouvoir d’achat des plus modestes, mais aller plus loin risque d’être contre-productif.
Rétablir l’ISF permettrait d’accroître les recettes publiques de quelques milliards d’euros mais pose la question de l’attractivité du pays. D’une manière générale, je ne suis pas nécessairement hostile à une hausse de la fiscalité sur les plus aisés dans le contexte actuel, mais il est illusoire d’imaginer que toutes les dépenses proposées par le NFP pourront être financées par un alourdissement des impôts sans qu’il en résulte des effets négatifs puissants (exil fiscal, perte d’attractivité, baisse de l’investissement).
Comment bâtir un budget avec une telle instabilité politique ? Comment faire face aux injonctions de Bruxelles qui a placé la France sous la procédure de déficit excessif ?
La question budgétaire est celle qui est la plus difficile à résoudre actuellement, car il faut non-seulement parvenir à s’entendre sur un budget, mais aussi s’orienter vers une baisse du déficit alors même que les programmes présentés aux législatives étaient très dépensiers. A mon avis, la question n’est pas tant celle de Bruxelles, car cela fait des décennies qu’on ne respecte pas les engagements pris et dans le fond plus personne, à Paris ou à Bruxelles, ne croit réellement qu’on les respectera. Le problème est celui des créanciers du pays, qui commencent à perdre patience, et c’est là que réside le problème, car si les investisseurs refusent de prêter à la France à des taux raisonnables, on se dirigera vers un scénario de crise de la dette publique.