L’effet économique des JO pour la France est-il garant d’un rebond de la croissance française après le 0,3% du 2e trimestre 2024 ?
Cela aurait été le cas sans la dissolution car une petite dynamique aurait pu se mettre en place avec une reprise de la consommation tirée par une hausse modérée des salaires réels et la continuation de l’effort d’investissement des entreprises. Le troisième trimestre sera un peu meilleur qu’en l’absence des Jeux olympiques mais ce ne sera pas durable. La dissolution a créé une incertitude d’autant plus insupportable qu’elle a renforcé les partis qui veulent taxer le capital - retour de l’impôt sur la fortune – dont l’élément principal est aujourd’hui constitué des actions des entreprises. Ces partis promettent une relance de l’activité tout en annonçant un alourdissement fiscal considérable sur ceux qui sont au cœur de l’activité économique : entrepreneurs qui déterminent l’effort d’investissement productif, ingénieurs et innovateurs dans les nouvelles technologies dont les revenus seraient arasés par une hausse considérable de l’impôt sur le revenu.
Ces réflexes destructeurs de l’effort et de l’excellence, ancrés dans un monde fermé économiquement et intellectuellement, n’imaginent même pas que tous ces créateurs de richesses sont totalement mobiles et iront s’installer dans d’autres pays plus accueillant ce qui détruira la dynamique de création de richesses. La dissolution de juin 2024 restera, avec celle de 1997, comme un cas d’école d’aveuglement politique provoquant des dégâts massifs dans le pays.
Les Français ont célébré ses champions. Est-ce que cela peut avoir un effet plus long terme sur la cohésion nationale dans un pays largement fracturé depuis des années ?
Les fractures qui minent la cohésion nationale sont profondes même si le peuple français peut se rassembler lors d’événements exceptionnels qui sont non manipulables par les politiques comme les Jeux olympiques. Le problème central est que nous ne sommes plus capables d’une action de long terme dans les domaines clés de la compétition économique, de l’excellence dans l’éducation et la recherche ou dans le retour à l’ordre républicain. Nous adorons l’effort et la discipline dans le sport mais pas en économie.
En économie, le corps politique et les médias mettent l’accent principalement sur la redistribution dans un pays qui est pourtant un des moins inégalitaires au monde sous l’effet d’une redistribution massive. La France détient en effet le record du monde de la protection sociale avec une dépense publique sociale de 34% du PIB contre 28% du PIB dans le reste de la zone euro et 24% du PIB pour l’OCDE. Or ce n’est jamais assez comme le montre le projet fiscal de la France insoumise. Si nous étions à la moyenne de la zone euro, le déficit public disparaîtrait.
En éducation, toutes les réformes mises en œuvre depuis trois décennies ont eu pour effet de casser les filières d’excellence et de réduire le niveau, notamment à l’école primaire, avec pour effet que 17% des élèves sortent du primaire sans maîtriser les trois compétences de base (lecture, écriture et calcul).
Dans l’ordre républicain, les mesures déjà mises en œuvre en Suède ou au Danemark sont immédiatement présentées en France par les médias et la gauche, voire le centre, comme liberticides.
En célébrant nos champions, les Français ont implicitement demandé la mise en ouvre d’une politique d’excellence dans la durée, ce que la classe politique refuse de faire depuis trop longtemps pour restaurer une cohésion nationale durable.
L’emploi rechute aux Etats-Unis, la première puissance économique mondiale se dirige-t-elle vers la récession ? Une nouvelle baisse des taux américains semble inévitable en septembre… Les marchés financiers s’inquiètent…
La création d’emplois a ralenti aux Etats-Unis après une longue période faste mais je ne pense pas que nous soyons au bord d’une récession car les Etats-Unis sont en compétition pour la domination mondiale avec la Chine. Ils vont continuer d’investir massivement dans leur système de défense, dans le rattrapage de la production de micro-processeurs et dans une transition écologique tirée par l’offre. De plus, la population américaine continue d’augmenter et la consommation va rester dynamique à long terme.
Mais vous avez doublement raison sur la question des taux d’intérêt. Non seulement ils vont baisser mais c’est parce que la Réserve fédérale ne les a pas baissés fin juillet que nous avons eu un coup de tabac sur les Bourses mondiales début août. C’est un avertissement des marchés à la Fed qu’il faut cesser de retarder l’ajustement à la baisse qui devrait intervenir en septembre.
L’Allemagne n’arrive pas à sortir de sa torpeur économique. Ce pays est-il durablement « l’élève malade » de la zone euro ? Quelles conséquences pour l’économie française ?
L’Allemagne a fonctionné pendant vingt ans sur un modèle d’importation de gaz russe pas cher et d’exportations de machines-outils vers l’Asie et notamment la Chine qui construisait sa colossale industrie manufacturière. Mais la Chine n’a plus vraiment besoin de l’Allemagne dans la mesure où elle a répliqué les fabrications de machines-outilsallemandes dans ses propres usines géantes. Dans l’automobile, l’essor de la production chinoise de voitures électriques déstabilise la puissante industrie automobile allemande.
Mais je ne suis pas fondamentalement inquiet sur l’Allemagne à moyen terme car elle garde de puissants groupes industriels et technologiques et investit massivement dans le numérique, beaucoup plus que la France dans la construction d’usines de fabrication de micro-processeurs, par exemple. Ses entreprises de taille intermédiaire, les ETI, sont deux fois plus nombreuses qu’en France et restent dynamiques. L’Allemagne est en train de faire évoluer son modèle économique, de façon non spectaculaire mais réelle, et nous en verrons les premiers effets dans la deuxième moitié de l’actuelle décennie.
La France a intérêt à continuer d’investir et de se moderniser si elle ne veut pas rester au bord de la route.
Avec la crise politique actuelle, comment la rentrée sociale se profile-t-elle dans notre pays ?
Je suis beaucoup plus inquiet sur la situation politique en France que sur tout autre sujet en dehors de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Nous sommes le seul grand pays européen avec un double déficit, déficit extérieur et déficit massif des finances publiques.
Or la France est dominée par une idéologie stérile de redistribution sans prise en compte de l’impératif de production qui peut seul nous donner les emplois productifs durables et bien payés que le peuple réclame lorsqu’il met le pouvoir d’achat en tête de ses priorités.
Surtout, il ne semble plus y avoir d’affectio societatis dans le pays avec des extrêmes, totalisant plus de la moitié des votes aux dernières législatives, qui s’invectivent, voire s’excluent physiquement les uns les autres comme l’ont montré les élections de juillet au bureau de l’Assemblée nationale.
Avec un président largement délégitimé et une Assemblée nationale sans majorité, la France apparaît politiquement comme un bateau ivre. Je suis très en colère de voir des politiques irresponsables fusiller l’avenir du pays alors qu’il faudrait accélérer dans les investissements d’avenir et les réformes structurelles permettant de refaire de la France un pays compétitif et dynamique. L’évolution de la CGT vers un syndicat ultra-politique marxisant ne va pas aider.
Si le peuple ne se réveille pas, comme il l’a fait dans la parenthèse des JO, l’avenir sera sombre.
Propos recueillis par ERE
(*) Economiste universitaire
Dernier livre : « Le conflit sino-américain pour la domination mondiale » aux Editions Alpha.