Donald Trump désire porter les droits de douane sur l'ensemble des importations à 10 ou 20%, selon les produits, voire à 60% sur les importations chinoises, et jusqu'à 200% sur les importations de véhicules venant du Mexique… L’Europe et la France sont en première ligne … Le gouvernement français est inquiet des effets récessionnistes. Votre avis ?
La Chine représente une exception, vus les instincts totalitaires et expansionnistes du Parti Communiste Chinois. M. Trump l'a bien compris. Mais, en règle générale, l'échange est la base de la prospérité, qu'il soit entre deux personnes, deux villes, ou deux pays. C'est une telle évidence, qu'on l'enseigne dès lespremière séances de cours d’introduction à l’économie. Les droits de douane proposés par M. Trump sont un impôt, imposé aux consommateurs américains et aux exportateurs étrangers. Certes, l'Etat en recevrait des recettes fiscales et quelques industries américaines inefficaces seraient protégées. Maisl'économie américaine, dans l'ensemble, en souffrirait, ainsi queles économies de ses exportateurs, et l'économie mondiale en général. On peut supposer, toutefois, que ce régime douanier draconien ne sera pas la vraie politique de M. Trump, mais un outil de négociation pour obtenir des concessions bilatérales.
L’OMC peut-elle condamner et prendre des sanctions si les Etats -Unis mettaient en place ces droits de douane, nouvelles marchés vers un protectionnisme voir un isolationnisme economique ?
Le président américain peut invoquer certains pouvoirs échappatoires en matière de commerce international. Ainsi, la fameuse "Section 301" permet au président d'imposer des droits de douane contre des pays accusés de pratiques déloyales (ce que n'a cessé de répéter le candidat Trump). Il peut aussi imposer des droits de douane au nom de la défense nationale (ce qu'il avait fait lors de son premier mandat). En 2022, l'OMC a déclaré que la politique douanière de M. Trump enfreignait les obligations des Etats-Unis. Mais l'OMC n'a aucun pouvoir et ne fonctionne qu'avec la bonne foi de ses participants, et le désir partagé de faciliter le commerce international. M. Trump considère que la mondialisation et son système multilatéral, dontl'OMC, nuisent aux intérêts américains. Il y a donc peu de chance qu'il se préoccupe des jugements prononcés par une organisation qu'il estime faire partie du problème. Mais ce n'estlà qu'un symptôme d'une méfiance isolationniste plus profondeet plus globale. Entre la chute du Système Continental napoléonien et la première guerre mondiale, le monde a connu l'essor du commerce international, suivi d'un repli isolationniste dans l'entre-deux guerres. Depuis 1945, et surtout depuis les années 1990, nous avons vu l'essor du commerce international et de la mondialisation. La croissance qui a suivi a été énorme, mais elle n'a pas été uniforme. Elle a causé des réalignements socio-économiques, ce qui pousse certains à remettre en cause le système, M. Trump le premier.
Trump s'est engagé à éliminer l'inflation. Les Démocrates ont payé électoralement cher cette hausse des prix sous Biden . Trump a surtout promis de diviser par deux les factures d'énergie, et ce, dès sa première année de mandat. Promesses démagogiques ou est-ce faisable ?
Voilà une grande ironie de la politique ! Kamala Harris a payé électoralement cher la hausse des prix aux Etats-Unis… dont Joe Biden n'était pas responsable (son dirigisme économique, le "Bidenomics" est une autre problème, mais ce n'est pas la cause de l'inflation). Comme nous l'a expliqué Milton Friedman, l'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire. L'Etat américain a dépensé 5000 milliards de dollars pour faire face au COVID. La dette de l'Etat étant déjà élevée, et les augmentations d'impôts politiquement impossibles, l'Etat s'est tourné vers la Fed, la banque centrale américaine. Celle-ci a monétisé la dette, et tout simplement créé 5000 milliards de dollars. L'inflation (20% entre 2020 et 2024) a peut-être été amplifiée par la demande post-COVID ou les chaînes d'approvisionnement, mais elle est due à la création massive de nouveaux dollars. Quant au prix de l'énergie, le baril de pétrole était à $70 en janvier 2017, lors de la première investiture de M. Trump. Le prix a chuté pendant le COVID, mais il est revenu à $70 en avril 2021. Il a augmenté pendant deux ans pour des raisons de géopolitique… et il est de nouveau à $70. Diviser par deux les factures d'énergie, c'est une promesse électorale, et l'inflation est déjà matée. En revanche, M. Trump veut s'attaquer aux diverses règlementations qui rendent l'économie américaine moins efficace qu'elle ne pourrait l'être.
La nouvelle administration américaine va-t’elle poursuivre l’Inflation Réduction Act, politique de subventions pour attirer sur son sol des groupes étrangers ?
L'Inflation Reduction Act de 2022 est tout simplement une loi budgétaire, mais on lui a donné un joli nom pour marquer des points politiques. C'était, dans le fond, surtout une dépense écologique, des subventions dirigées vers l'énergie renouvelableet les émissions carbone, un sujet pour lequel M. Trump a peu d'enthousiasme. Par contre, on peut s'attendre à ce que M. Trump prolonge le retour de M. Biden à la politique industrielle nationale, et le soutien à la production sur le territoire américain.
En 2017, sous son premier mandat , le taux de l'impôt sur les sociétés était alors passé de 35% à 21%), avec le Tax Cuts and Jobs Act. Dans le cadre de son second mandat, Donald Trump a indiqué qu'il pourrait abaisser le taux de l'impôt sur les sociétés à 15% pour certaines entreprises. Est-ce possible ? L’Etat fédéral a besoin de recettes fiscales pour son budget !
La moyenne des taux de l'impôt sur les sociétés pour les pays de l'OCDE est de 24%. Ce n'est donc pas aberrant d'avoir baissé le taux américain de 35% à 21%. En outre, l'impôt sur les sociétés ne représente que 5% des recettes totales de l'Etat américain. Ce n'est donc non plus pas aberrant de vouloir enlever un frein supplémentaire au moteur économique américain, qui a une croissance bien plus élevée que la moyenne de l'OCDE. L'Allemagne en récession, la France qui toussote, l'Europe en général, pourraient y réfléchir. Le vrai problème, c'est les dépenses publiques. Quand je puise dans mon compte d'épargne à la fin du mois, ma première réaction n’est pas de chercher un emploi plus lucratif mais de couper mes dépenses. Baisser les impôts, c'est rajouter de l'oxygène à l'économie ; mais il faut aussi baisser les dépense publiques. La dette américaine est déjà à plus de 120% du PIB, et les intérêts représentent une charge de 11% du budget fédéral.
Elon Musk , nommé dans le futur gouvernement de Trump , comme ministre de « l’efficacité gouvernementale »… Peut-on gérer un État comme une entreprise ?
Non ! On ne peut pas gérer un Etat comme une entreprise, ne serait-ce que parce que l'Etat n'est pas tenu d'obéir à la discipline du marché. C'est tout le défi de la gestion publique. Comment avancer le bien public et répondre aux défaillances du marché, sans gaspiller des ressources ? On peut commencer par se demander quel pourcentage du poids de l'Etat fait vraiment avancer le bien public, et quel pourcentage permet aux intérêts individuels d’être servis. L'Etat fédéral dépense environ 6000 milliards de dollars par an, dont 13% du budget pour la défense, 11% d'intérêt sur la dette, et 60% pour les aides sociales, qui sont constitutionnellement du ressort des états individuels, et non de l'Etat fédéral. Le poids de l'Etat fédéral représente 23% de l'économie, auxquels on peut ajouter 13% du PIB dépensé par les Etats et les municipalités, et 10% du PIB dépensé tous les ans pour se conformer aux multitudes de régulations fédérales. Ceci veut dire que, sur chaque dollar créé par l'économie américaine, 46 centimes sont dans les mains d'élus et de fonctionnaires, et non dans les mains de familles, de consommateurs, ou d'entrepreneurs qui font avancer l'économie. Il y a donc beaucoup à réfléchir, en premier lieu surl'inefficacité, et ensuite sur l'envergure de l'état. Il sera intéressant de voir comment le candidat Trump évolue en président Trump. En effet, il veut baisser les impôts sur le revenu… mais il veut aussi augmenter les impôts sur la consommation (droits de douane). Il veut baisser le poids de l'Etat fédéral… mais il n'a pas attaqué la dette ou les dépenses lors de son premier mandat. On peut espérer qu'Elon Musk et Vivek Ramaswamy, nouveaux ministres de l'efficacité gouvernmentale, ne se limiteront pas aux gaspillage marginal ou aux petites inefficacités, mais proposeront de vraies réductions.
(*) Nikolai Wenzel est professeur des universités à l'Universidad de las Hesperides (Espagne), où il dirige le master en économie. Il est senior fellow au American Institute for Economic Research(Massachusetts) membre de l'Académie de l'Institut de Recherches Economiques et Fiscales (Paris), et membre de la Société du Mont-Pèlerin.