La mise en œuvre de la loi sur les télécommunications n° 431/2002 au Liban revient au centre des discussions sur les réformes. Cette loi, conçue pour réguler le secteur des télécommunications, définit le rôle de l’État et pose les bases d’une privatisation, qu’elle soit partielle ou totale. Elle prévoyait initialement la création de deux entités clés pour mener à bien cette réforme : l’Autorité de régulation et Liban Telecom.

Cependant, 23 ans après son adoption, cette loi est devenue obsolète dans un monde technologique en perpétuelle évolution. Au fil des ans, elle n’a pas su s’adapter aux transformations fondamentales, non seulement en matière de services et de modèles de revenus, mais aussi à la baisse de la valeur des entreprises de télécommunications et aux changements de leurs modes de gestion. Alors que l’État possède déjà deux opérateurs mobiles, la création d’une troisième entreprise publique est-elle encore pertinente ? La vente des opérateurs existants, Alfa et Touch, serait-elle une solution viable ? Et quel rôle l’Autorité de régulation joue-t-elle dans ce contexte d’incertitude ?

Une loi en décalage avec la réalité du marché

En 2002, le Liban a repris le contrôle de ses deux opérateurs mobiles, Cellis et LibanCell, à l’expiration de leurs contrats datant de 1993. L’État les a rebaptisés en tant qu’opérateurs temporaires sous les appellations MIC1 (Mobile Interim Company 1) et MIC2 (Mobile Interim Company 2), en vue de leur privatisation. La loi 431, adoptée la même année, autorisait la création d’un troisième opérateur, Liban Telecom, destiné à concurrencer les deux entreprises privatisées. Cette nouvelle entité devait absorber l’infrastructure des lignes fixes du ministère des Télécommunications, tout en étant détenue à 40 % par le secteur privé et à 60 % par l’État.

L’État garde la main sur les revenus des télécoms

Aujourd’hui, le gouvernement libanais détient et gère directement les deux opérateurs mobiles, MIC1 et MIC2. « Leur vente n’est plus aussi rentable qu’auparavant », explique l’expert en télécommunications et ancien PDG de Touch, Wassim Mansour. « Ces entreprises génèrent environ 1 milliard de dollars de revenus annuels pour l’État, alors que leur vente ne rapporterait qu’un demi-milliard de dollars en une seule fois. »

Dans ces conditions, la création de Liban Telecom comme troisième opérateur public est devenue obsolète. Plutôt que de stimuler la concurrence, elle renforcerait le contrôle de l’État sur le secteur, offrant un nouveau terrain propice aux nominations politiques et aux transactions de plusieurs millions de dollars.

« Au lieu de créer un troisième opérateur public, le gouvernement devrait privilégier les partenariats public-privé au sein des entreprises télécoms existantes », estime Mansour. Il propose plusieurs modèles, notamment permettre aux investisseurs privés d’acquérir jusqu’à 60 % des parts des opérateurs existants ou encore créer une entreprise nationale des télécoms qui conserverait la propriété des infrastructures, tandis que plusieurs sociétés privées se disputeraient le marché des services. Une telle réforme favoriserait la concurrence, améliorerait la qualité des services et garantirait des revenus durables à l’État, une nécessité urgente compte tenu de la crise financière libanaise.

Des technologies et des besoins qui ont évolué

Lors de l’adoption de la loi 431 en 2002, les smartphones, les réseaux à large bande et l’internet haut débit n’existaient pas encore. À l’époque, les technologies WiMAX et 3G étaient considérées comme de pointe, mais aujourd’hui, la loi est complètement dépassée face à l’arrivée des réseaux 6G. Ce retard souligne l’urgence d’une mise à jour législative pour aligner le cadre juridique avec les réalités numériques modernes.

Une réforme avortée de l’Autorité de régulation

La loi prévoyait également la création d’une Autorité de régulation indépendante pour superviser le secteur et garantir une concurrence équitable. Toutefois, dès sa mise en place en 2007, son rôle a été rapidement vidé de sa substance. En 2010, son président, Kamal Shehadeh (aujourd’hui ministre des Déplacés, des Technologies d’État et de l’Intelligence Artificielle), a démissionné en raison de l’ingérence politique, révélant ainsi la réticence de l’État à accepter un organe de surveillance indépendant.

Trois lignes rouges pour l’avenir

Mansour définit trois principes fondamentaux pour la réforme du secteur des télécoms au Liban :

- Non au retour de l’État comme unique propriétaire des entreprises de télécommunications.

- Non à l’attribution de la gestion des infrastructures publiques à des sociétés privées sans prise de participation.

- Non à l’illusion que la vente des entreprises de télécoms rapportera des milliards de dollars.

La vraie solution, selon lui, repose sur l’ouverture du marché, l’augmentation de la concurrence et l’intégration du secteur privé non seulement dans l’exploitation, mais aussi dans la propriété des entreprises.

Cependant, même si l’État adopte ce modèle, une question demeure : les revenus générés serviront-ils réellement l’intérêt public, ou continueront-ils d’alimenter un système profondément enraciné de corruption et de clientélisme ?

En fin de compte, le débat entre la maximisation des recettes du secteur public et la privatisation pour plus d’efficacité ne pourra être tranché que par un État fonctionnel, doté de réformes légales claires et d’un pouvoir judiciaire garantissant la transparence. En attendant, le secteur des télécoms au Liban reste piégé dans un cycle de domination étatique, d’occasions manquées et de réformes avortées.