Le Liban se trouve à la croisée des chemins, frappé par l’effondrement économique, la paralysie politique et les cicatrices de la tragédie. L’explosion du 4 août 2020 à Beyrouth a été un signal d’alarme, mais la promesse de réformes n’a toujours pas été tenue. Un fonds souverain offre une bouée de sauvetage, une chance de débloquer la valeur des vastes actifs publics du Liban, de lutter contre la corruption et de reconstruire une nation au bord du gouffre. Le temps des demi-mesures est révolu. La survie du Liban dépend d’un leadership visionnaire et de mesures décisives. La question est : le gouvernement agira-t-il maintenant ou laissera-t-il s’échapper l’espoir ?
Dans ce contexte, des changements régionaux importants ont remodelé le paysage politique du Liban. L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a signalé un réétalonnage potentiel de la politique américaine au Moyen-Orient, notamment concernant l’influence de l’Iran. Le récent renversement du régime Assad en Syrie a encore perturbé la dynamique de pouvoir régionale de longue date, affaiblissant l’emprise de l’Iran sur les principaux acteurs au Liban.
La situation a été encore aggravée par les tensions régionales. Le 8 octobre 2023, l’armée israélienne a lancé une guerre à grande échelle contre le Hezbollah dans le sud du Liban, entraînant des destructions et des déplacements de population à grande échelle. Ce conflit a ajouté une couche supplémentaire d’instabilité à une nation déjà fragile, mettant encore plus à rude épreuve les ressources publiques et les infrastructures.
Au milieu de cette tourmente, le Liban a finalement élu un nouveau président, Joseph Aoun, le 9 janvier 2025, mettant fin à un vide politique prolongé. L’élection du président Aoun a été suivie de la formation d’un nouveau gouvernement le 8 février 2025, dirigé par le Premier ministre Nawaf Salam, un diplomate respecté et ancien ambassadeur du Liban à l’ONU. Le président libanais a récemment visité l’Arabie saoudite, signalant un réalignement potentiel avec les alliés du Golfe. Sa participation ultérieure au sommet arabe du Caire souligne les efforts du Liban pour réaffirmer son rôle sur la scène régionale et rechercher le soutien des pays arabes. Si ces développements ont apporté une lueur d’espoir, la nouvelle administration est confrontée à d’immenses défis pour faire face à l’effondrement économique du Liban, à la fragmentation politique et aux conséquences du conflit en cours dans le sud.
Dans ce contexte, la nécessité de gérer stratégiquement les actifs publics du Liban n’a jamais été aussi cruciale. Un fonds souverain (SWF) pourrait être une solution viable pour débloquer la valeur de ces actifs et répondre aux défis croissants du pays.
Le portefeuille d’actifs publics du Liban
Le portefeuille d’actifs publics du Liban reste vaste, malgré l’effondrement économique. L’État possède un éventail important d’actifs opérationnels, notamment :
- Infrastructures de télécommunication : le réseau fixe d’Ogero et les réseaux mobiles Alfa et Touch.
- Électricité du Liban : responsable de la production et de la transmission d’électricité.
- Quatre services publics d’eau : fournissant des services d’eau dans tout le pays.
- Actifs de transport : Middle East Airlines, les aéroports Rafiq al-Hariri et René Mouawad, et les ports de Beyrouth, Sidon, Tripoli et Tyr.
- Entités industrielles et commerciales : Deux raffineries à Tripoli et Zahrani, la Régie Libanaise des Tabacs et Tombacs, le Casino du Liban, la société d’investissement INTRA et la Banque de Finances.
Malheureusement, la mauvaise gestion et la corruption continuent de gangrener ces institutions, rendant les investissements publics non rentables. L’approche actuelle de la gestion des richesses publiques est inefficace, voire totalement inexistante. Un fonds souverain (SWF), s’il est correctement structuré et géré de manière transparente, pourrait résoudre ces problèmes et générer des revenus indispensables.
Pourquoi un fonds souverain ?
Plusieurs pays ont réussi à créer des fonds souverains (SWF) pour gérer les actifs appartenant à l’État et générer de la richesse à long terme. Le Government Pension Fund Global (GPFG) de Norvège, évalué à plus de 1 700 milliards de dollars, est le plus grand fonds souverain au monde et est connu pour sa transparence, ses investissements éthiques et sa stabilité financière à long terme. L’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), avec des actifs d’environ 790 milliards de dollars, Temasek Holdings et GIC de Singapour, gèrent plus de 1 000 milliards de dollars combinés. Le Public Investment Fund (PIF) d’Arabie saoudite, d’une valeur de plus de 930 milliards de dollars, de même que la Qatar Investment Authority (QIA), évaluée à environ 526 milliards de dollars, et la Kuwait Investment Authority (KIA), l’un des plus anciens fonds souverains avec plus de 1 029 milliard de dollars d’actifs. La China Investment Corporation (CIC) de Chine, gère plus de 1 300 milliards de dollars. Le Liban pourrait s’inspirer de ces modèles pour structurer son propre fonds souverain, en exploitant les terres et les actifs appartenant à l’État pour générer une croissance économique et une sécurité financière.
Le fonds souverain pourrait servir d’outil stratégique pour :
1. Générer des revenus : en gérant mieux les actifs publics, le fonds souverain pourrait générer des dividendes pour couvrir partiellement la dette publique, financer des projets d’infrastructure et soutenir les efforts de reconstruction sans imposer aux citoyens des impôts supplémentaires.
2. Attirer les investissements privés : un fonds souverain transparent et géré de manière professionnelle pourrait restaurer la confiance des investisseurs, en attirant la participation du secteur privé dans les projets d’infrastructures publiques.
3. Lutter contre la corruption : en déléguant la gestion des actifs à un conseil d’administration indépendant, le fonds souverain pourrait réduire l’influence des élites politiques corrompues.
4. Renforcer les services publics : une meilleure gestion des actifs tels que l’électricité, l’eau et les transports profiterait directement au peuple libanais et à l’économie.
Leçons des échecs passés
Le gouvernement Diab au Liban a proposé de créer une société de gestion des actifs publics (PAMC) en avril 2020 dans le cadre de son plan de redressement financier. Cette initiative a toutefois rencontré des difficultés importantes en raison de l’absence de mécanismes de gouvernance clairs et de la forte opposition des élites politiques bien ancrées. Les critiques ont fait valoir que le plan pourrait conduire à la privatisation des actifs de l’État sans garanties adéquates, ce qui pourrait potentiellement consolider les ressources entre individus politiquement connectés et perpétuer les problèmes de gouvernance existants.
De même, l’Association des banques du Liban (ABL) a proposé de créer un fonds souverain qui utiliserait les actifs publics comme garantie pour faire face à l’importante dette du pays. Cette proposition a suscité des inquiétudes quant à la transparence et au risque d’enraciner davantage les pratiques de corruption, car elle pourrait permettre à des acteurs politiquement connectés de prendre le contrôle de précieux actifs publics sans surveillance adéquate.
Ces initiatives mettent en évidence les complexités auxquelles le Liban est confronté dans la réforme de son secteur financier et la gestion des actifs publics, soulignant la nécessité d’une gouvernance transparente et de politiques économiques équitables.
Une voie à suivre
La création d’un fonds souverain doit être guidée par la transparence, la responsabilité et une vision stratégique. Deux étapes essentielles sont nécessaires :
1. Créer un registre public des actifs : Un registre centralisé et transparent des actifs publics, y compris les biens immobiliers, doit être établi. Chaque actif doit se voir attribuer une valeur indicative pour faciliter la planification stratégique et les études de faisabilité.
2. Transférer les actifs au fonds souverain : Pour éviter les conflits d’intérêts, le portefeuille du fonds souverain doit être géré par un conseil d’administration expérimenté et politiquement indépendant.
Exploiter le potentiel du Liban
L’État libanais possède environ 60 000 parcelles de terrain, couvrant plus de 900 millions de mètres carrés dans ses huit gouvernorats. Malgré leur potentiel important, ces terres et autres actifs immobiliers appartenant à l’État restent largement sous-utilisés. D’une valeur estimée à 69,1 milliards de dollars américains, ils pourraient servir de garantie financière précieuse ou être loués au secteur privé pour des projets agricoles, industriels, hôteliers, touristiques et de logements abordables, créant ainsi des opportunités économiques et générant des revenus indispensables. En outre, l’utilisation de ces actifs comme garantie pour les prêts pourrait constituer une alternative durable aux prêts prédateurs et aux privatisations à grande échelle, contribuant ainsi à stabiliser la situation financière du pays. De plus, la diaspora libanaise, réputée pour son expertise dans les institutions financières mondiales, pourrait jouer un rôle central dans la gestion du fonds souverain. Ses compétences et son expérience pourraient aider le Liban à traverser sa crise économique et à rétablir la confiance dans les institutions publiques.
Conclusion
La crise économique du Liban est grave, mais pas insurmontable. La création d’un fonds souverain, dans les bonnes conditions, pourrait changer la donne. Cela nécessiterait une volonté politique, de la transparence et l’implication de professionnels qualifiés. Le gouvernement actuel, dirigé par le Premier ministre Nawaf Salam et sous la direction du président Joseph Aoun, a l’occasion de tracer une nouvelle voie pour le Liban.
Il est temps d’agir maintenant. En tirant parti des vastes actifs publics du Liban et en exploitant l’expertise de sa diaspora, le pays peut renaître de ses cendres. Si ce n’est pas maintenant, quand ?