La compétition pour le contrôle du Niger se profile comme un défi de taille. 

Si les spéculations et les récits sur l'intervention du groupe "Wagner" dans le récent coup d'État au Niger se confirment, Moscou aurait achevé le croissant russe dans la région du sud du Sahara en Afrique, après avoir pénétré au Burkina Faso et au Mali et avoir implanté ses pions en Afrique centrale, au Soudan et en Éthiopie. En revanche, la France, l'une des principales anciennes puissances coloniales du continent africain, se retrouverait au bord de perdre l'un de ses sites africains les plus importants dans une guerre d'influence internationale entre les grandes puissances, qui a déjà commencé et dont les résultats sont difficiles à prédire. La France n'a pas considéré les pays africains ayant acquis leur indépendance vis-à-vis de Paris comme des partenaires souverains, mais les a traités en colonies précédentes qu'il convenait d'exploiter, avec pour rôle principal la fourniture de ressources premières et de main-d'œuvre bon marché à des prix dérisoires, au détriment des intérêts de leurs populations en matière de santé, d'éducation et de subsistance. En adoptant cette approche, la France a maintenu son rôle central en Afrique, mais son influence a considérablement diminué. Son attrait auprès des Africains s'est effondré après avoir échoué à imposer la stabilité dans les régions où elle était présente sur le continent, et ses intérêts égoïstes ont conduit à l'essor de la violence, des mouvements terroristes, à la détérioration économique et à la domination des régimes autoritaires.

La compétition pour le contrôle du Niger se profile comme un défi de taille. Après avoir été chassée du Mali et du Burkina Faso, la France a déployé ses troupes en direction du Niger, où près de 1 500 soldats français épaulent toujours les forces nationales dans leur lutte contre les groupes djihadistes islamistes. Parallèlement, près d'un millier de militaires américains sont stationnés à Agadez, devenue le centre opérationnel des drones américains en Afrique, principalement en Somalie et en Libye. Ainsi, pour les États-Unis et la France, se retirer du Niger et éviter qu'il ne tombe sous l'influence russe, à l'instar du Mali et du Burkina Faso, ne s'annonce pas comme une tâche aisée.

Dans ce contexte en mouvement, Paris et Washington ont encouragé les nations de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à se rassembler sous l'égide du président nigérien, allié de l'Occident, Paul Tino, le 31 juillet dernier. Ils ont ainsi adressé un avertissement aux instigateurs du coup d'État à Niamey, les exhortant à relâcher l'ancien président pro-français, Mahamadou Issoufou, et à rétablir la gouvernance civile dans le pays, sous peine d'une intervention militaire. La bataille pour le Niger, territoire stratégique, s'annonce comme un enjeu de grande envergure, et les forces rivales étrangères, à l'instar de la Russie, la Chine et la Turquie, continuent de façonner le destin de cette région cruciale de l'Afrique.

Si la CEDEAO opte véritablement pour une intervention militaire, cette décision pourrait déclencher une dynamique régionale à haut risque, incitant les grandes puissances à entrer dans l'arène. Parallèlement, une opération militaire menée par la CEDEAO pourrait trouver un écho favorable du côté des États-Unis et de la France, ouvrant ainsi la porte à une répétition du scénario libyen de l'intervention de l'OTAN qui avait renversé le régime de Mouammar Kadhafi en 2011.

Dans cet environnement en ébullition, de multiples nations, en particulier les États arabes d'Afrique, pourraient être impactées par les répercussions de l'instabilité au Niger. Ce pays revêt une importance stratégique cruciale pour l'Algérie, avec laquelle il partage une frontière d'environ mille kilomètres. Ces deux nations sont également membres du groupe G5 Sahel, incluant la Mauritanie et le Mali, ce qui pourrait influencer leur collaboration dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et l'immigration illégale. Des milliers de migrants irréguliers traversent le Niger en direction de l'Algérie par cette frontière commune. De surcroît, le Niger constitue un corridor vital pour l'Algérie en direction de l'Afrique centrale, grâce notamment à des projets d'infrastructures routières transsahariennes reliant l'Algérie au Nigeria via le Niger, ainsi qu'à des installations de fibre optique et à un pipeline transportant du gaz nigérian vers l'Europe, en passant par ces deux pays.

Le géant pétrolier algérien Sonatrach a également paraphé un accord en février 2022 avec le ministère de l'Énergie nigérien pour une co-exploitation du gisement pétrolier de Kafra, au nord du pays, dont les réserves sont estimées à quelque 400 millions de barils. L'ensemble de ces accords et intérêts stratégiques se retrouvent désormais menacés suite au coup d'État survenu au Niger.

La Libye ne sortira pas indemne de cette situation, étant donné que le président Bazoum est issu de la tribu libyenne des Ouled Slimane, dont l'influence s'étend de la ville libyenne d'Harawa, en bordure de la Méditerranée, jusqu'au sud du Tchad en passant par le centre du Niger. Ces dernières années, la Libye a déjà fait l'expérience de l'instabilité au Niger, avec l'implication de groupes armés nigériens dans divers conflits. Du fait de la fragilité économique du Niger, les factions en conflit en Libye peuvent aisément recruter des mercenaires pour combattre à leurs côtés, voire protéger les champs pétroliers et les infrastructures vitales dans les zones reculées, en particulier dans le sud. Si le Niger sombre dans l'instabilité ou le chaos, un grand nombre de Nigériens pourraient se réfugier en Libye, qui ne dispose pas des moyens nécessaires pour sécuriser ses frontières. Cela pourrait également entraîner une intensification du trafic d'êtres humains le long de ses côtes occidentales, à proximité de Malte et de l'Italie, ainsi que la contrebande d'armes et de carburant le long de ses frontières.

En outre, le retour d'éléments de l'organisation "État islamique" en Libye constitue une menace sérieuse, résultant de leur défaite dans leur bastion de Syrte à la fin de 2016, et de leur fuite vers les régions du Sahel et du bassin du lac Tchad, en particulier au Nigeria. Si la situation se détériore au Niger, cela pourrait offrir aux groupes terroristes l'opportunité de réactiver un corridor reliant le Nigeria, le Niger et la Libye. Le Niger joue un rôle crucial en tant que point de passage pour les extrémistes entre leurs bastions principaux en Irak et en Syrie, et leurs nouvelles bases au Nigeria et dans le bassin du lac Tchad. De plus, les projets de transport de gaz du Nigeria via ces deux pays, ainsi que la liaison ferroviaire entre le Tchad, le Niger et la Libye, pourraient également être mis en suspens en conséquence.

Le Soudan, marqué par les cicatrices de conflits, ne partage pas de frontières directes avec le Niger, mais les sépare un vaste désert où se croisent des tribus liées par des liens ethniques et religieux. Tout écroulement de la stabilité au Niger aura des répercussions sur le théâtre soudanais des hostilités, et réciproquement. Le Niger, en particulier, se trouve en abondance de mercenaires et d'aventuriers en quête d'or et de renommée, qui ont tenu un rôle central dans le conflit libyen, aux côtés de factions armées associées aux Forces de Soutien Rapide du Soudan. La tribu Mahamid, d'où proviennent nombre de combattants des Forces de Soutien Rapide, s'étend jusque dans le sud du Niger, plus précisément dans l'État de Diffa, où ils se sont établis dans les premières années des années 80.