Les tensions persistantes entre l'administration américaine en place et le gouvernement de Benjamin Netanyahu traduisent un changement inédit dans leurs relations, passant d'une convergence à une contradiction. Le président Joe Biden a émis des critiques sans précédent à l'encontre du Premier ministre israélien lors d'une interview sur CNN, qualifiant certains membres de son gouvernement de "plus extrémistes" qu'il n'en a jamais rencontrés. Il a spécifiquement pointé du doigt le ministre des Finances israélien, Avigdor Smotrich, ainsi que le ministre de la Sécurité, Itamar Ben Gvir, en affirmant qu'ils "aspirent à coloniser tous les territoires" et qu'ils constituent "une partie du problème" en Cisjordanie occupée. Le président a fermement réaffirmé sa conviction profonde que la solution à deux États est la voie à suivre pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

La réponse de Ben Gvir ne s'est pas fait attendre, soulignant que Biden devrait prendre conscience qu'Israël n'est pas un État des États-Unis.

Ce qui se joue entre ces deux parties ne se limite pas à un simple différend secondaire, d'autant plus qu'il est étroitement lié aux profonds bouleversements politiques qui se déploient tant dans la région que dans le reste du monde.

Les positions constantes de Washington au Moyen-Orient, basées sur une confiance absolue envers Israël, sont en train d'évoluer. Ces positions impliquent la protection de l'État hébreu, la sécurisation des sources d'énergie et des voies de navigation internationales. Cependant, Israël a réussi, en mobilisant différents groupes d'influence, à orienter Washington vers des plans visant à affaiblir ses voisins arabes. De l'invasion de l'Irak au démantèlement de la Syrie et de la Libye, jusqu'à l'imposition d'un blocus à l'Iran pour l'empêcher de développer des capacités nucléaires, Israël a joué un rôle majeur. Cependant, l'émergence de la Chine en tant que rival puissant sur la scène internationale a bouleversé la donne.

Avec son succès économique en tant qu'usine du monde et principal exportateur, la Chine est devenue un concurrent direct de la politique américaine. L'initiative chinoise "La Ceinture et la Route" a renforcé cette rivalité. Ainsi, Washington a adopté de nouvelles stratégies visant à contenir cette puissance émergente. Pendant que les États-Unis dépensaient leurs richesses dans des guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie, dont Israël était le principal bénéficiaire, la Chine développait ses capacités militaires conventionnelles et nucléaires. Face à ce géant asiatique puissant sur les plans militaire, économique et financier, contenir la Chine est devenue la priorité absolue de Washington.

C'est ici que se révèlent les divergences d'intérêts entre les États-Unis et Israël. Alors que Washington cherche à apaiser les tensions au Moyen-Orient afin de concentrer ses efforts sur sa confrontation avec la Chine, Israël préfère maintenir un climat de tension et de conflit. Les États-Unis cherchent à contenir l'Iran par des moyens diplomatiques, tandis qu'Israël opte pour une pression croissante, allant jusqu'à imposer des blocus et envisager des actions militaires. Tandis que Washington souhaite mettre fin à la guerre au Yémen, Israël préfère maintenir le conflit actif pour affaiblir l'Arabie saoudite et la forcer à se rallier à la normalisation. Les États-Unis préfèrent limiter le conflit en Syrie, tandis qu'Israël préfère maintenir l'influence iranienne sous contrôle en frappant ses positions et en empêchant sa propagation vers le sud, tout en cherchant à bloquer la livraison d'armes au Hezbollah et aux factions palestiniennes. La Maison Blanche aspire à apaiser les tensions en Cisjordanie occupée et à progresser vers une solution à deux États, ce qui soulagerait les souffrances humanitaires et répondrait aux attentes de certains pays arabes, notamment l'Arabie saoudite.

Cependant, Israël persiste dans sa politique de colonisation et tire avantage des débats internationaux sur des enjeux majeurs tels que la guerre en Ukraine et le conflit avec la Chine, exploitant également la faiblesse du monde arabe pour reléguer la question palestinienne au second plan. De plus, lorsque les intérêts américains exigeaient de contenir la Chine sur le plan technologique et artistique, Israël a transféré certaines technologies acquises de l'Occident vers la Chine, à travers des accords commerciaux et l'implantation de filiales d'universités israéliennes dans des villes chinoises, cherchant ainsi à réaliser d'importants gains financiers et à exercer un chantage sur Washington. Au sommet des tensions sino-américaines, Netanyahu s'est rendu à Pékin pour exercer une pression supplémentaire ou procéder à des marchandages, au détriment de son allié le plus proche.

Ce paradoxe explique en grande partie les événements en cours dans les territoires occupés, le long des frontières libanaises, les frappes en Syrie et les tensions avec l'Iran. Surtout depuis les récentes informations annonçant la conclusion imminente d'un accord partiel entre Téhéran et les Six Grandes Puissances, accord qui ne satisfait pas Israël.

Dans l'ensemble, l'Occident, et en particulier Washington, ne se détournera jamais d'Israël, quelle que soit la situation. Pour eux, Israël est une pièce maîtresse stratégique et un investissement crucial. Sa chute serait un événement historique d'une profondeur similaire à la prise de Constantinople par les Ottomans au XVe siècle. Ils ne s'inquiètent pas d'une attaque extérieure tant que les conditions ne sont pas réunies, et un déséquilibre militaire et politique serait à leur avantage. Cependant, ils sont préoccupés par la situation interne en Israël, où l'extrémisme atteint son paroxysme et où la division profonde menace l'unité du pays.

Cela découle de ses politiques instables, avec des changements fréquents de gouvernement tout au long de l'année et des élections anticipées à répétition. Les déclarations de Biden et son refus de recevoir Netanyahu à la Maison Blanche reflètent les inquiétudes de l'administration, d'une grande partie du Parti démocrate, des stratèges du Pentagone et même de certains leaders du mouvement sioniste mondial, face aux tendances "suicidaires" de l'extrême droite israélienne.