Pascal de Lima: Economiste de l'innovation, knowledge manager et Professeur à Aivancity proche des milieux de cabinets de conseil en management.

Aux assises des Finances publiques à Bercy, Bruno Le Maire vient d’annoncer 10 milliards d’euros d’économies budgétaires d’ici 2027.  La trajectoire budgétaire envoyée par la France à Bruxelles vous semble-t-elle conforme à la réalité des dépenses engagées ?

La trajectoire budgétaire française est envoyée à Bruxelles dans le cadre du Pacte de Stabilité de l’UE qui prévoit deux principaux critères de convergence, un déficit <3% du PIB, une dette publique < 60% du PIB auxquels il faut ajouter les réformes structurelles. Ces deux critères ont été suspendus à cause de la pandémie, assouplissement prolongé jusqu’à la fin 2023 pour faire face au ralentissement économique provoqué par la guerre en Ukraine et aux mesures de politique économique à déployer. En France par exemple, on a le bouclier tarifaire, l’amortisseur électricité, l’indemnité carburant…Il y a eu aussi des réformes structurelles comme celle de l’assurance chômage ou des retraites. La France aujourd’hui à une dette publique rapportée au PIB de 115% et un déficit public de 5%. Autant dire qu’elle n’entre pas dans les clous de Bruxelles mais du fait des assouplissements récents du Pacte européen, au final, avec une hypothèse de 1% de croissance en 2023, 1,6 en 2024, 1,8 en 2027 dans la loi de programmation 2023-2027, le gouvernement pense pouvoir entrer dans les clous dès 2027 sauf pour la dette publique. C’est vrai que la Commission européenne est beaucoup plus sceptique sur la trajectoire de la France. Des prévisions de son côté montre qu’il en faudra peut-être pour 17 ans avant d’avoir une dette publique conforme. A partir du moment où les modèles statistiques tournent bien avec des hypothèses de croissance qui permettent des anticipations de recettes et de dépenses précises et transparentes, finalement tout est possible d’un côté comme de l’autre. Récemment la France a déjà gelé de 1% supplémentaire des crédits du budget 2023 pour tenir sa trajectoire et sacrifier l’écologie en faveur de la Défense et de l’éducation, la santé et la justice, bref, un budget à l’euro prêt. Nous verrons bientôt ce qu’en pense les agences de notation.

Du côté des recettes publiques engendrées par les hypothèses de croissance retenues dans la copie budgétaire française, peut-on faire mieux ?

Peut-on faire mieux en termes de recettes ? Il existe plusieurs leviers : stimuler les investissements directs étrangers en France, relancer la consommation, ou le commerce. Mais il faut citer aussi, la politique économique, budgétaire donc, les réformes structurelles vertueuses, ces deux aspects impactent directement la croissance économique, enfin de façon plus brutale, la politique fiscale et tout ce qui peut toucher au pouvoir d’achat. Il faut évidemment à tout prix éviter d’augmenter les impôts mais créer une économie vertueuse fondée sur la destruction créatrice et les métiers de demain me paraît être une ambition digne d’un « grand état ». Pour les 4 à 5 années qui arrivent, c’est donc dans la transformation économique, environnementale et numérique et les métiers de demain qu’on va trouver croissance et recettes.

Que penser de la décision de Standard and Poor’s ? La France est-elle sous surveillance ? Faut-il comprendre qu’à l’automne prochain , avec une nouvelle salve d’avis d’agences, notre note financière pourrait être dégradée ?

Je pense que contrairement à l’agence financière Fitch, S&P a surpondéré le critère de la réforme des retraites en l’estimant vertueuse, et s’est davantage projetée sur la trajectoire Budgétaire à 2027, en espérant non seulement une accalmie sur le front du quoi qu’il en coute énergétique au rythme de l’abaissement de l’inflation et une meilleure consolidation budgétaire avec une projection plus favorable sur la croissance. Ici, il est clair que les mouvements sociaux ont été minimisés. Les perspectives on l’oublie reste négative, avec énormément de choses encore à consolider, je suis presque persuadé que la note sera abaissée dans le courant de l’année.


D'autres pays en Europe voient leur dette et leur déficit s'accumuler, le pacte de stabilité qui est le fondement de l'Euro est-il menacé ? Il a été assoupli pendant la crise sanitaire…

Aujourd’hui on peut classer ces pays en trois groupes : Pour les dettes publiques : < 60% du PIB : l’Irlande, les Pays Bas, le Danemark, la Suède, les pays Baltes, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie. Entre 60 et 90% : l’Allemagne, l’Autriche, la Croatie, la Hongrie, la Finlande. Entre 90 et 110 : le Luxembourg, la Belgique. Au-dessus de 110 tous les autres dont la France. Pour les déficits publics, en excédent : la Bulgarie, le Danemark, l’Irlande, entre 0 et 3% : les Pays Bas, la Slovaquie, la Slovénie et au-dessus de 3% tous les autres dont la France. On aura donc compris que presque tout le monde a un déficit > 3% mais du fait des assouplissements successifs ces dernières années, on a plutôt l’impression que l’UE n’est pas vraiment inquiétée. De nombreux pays dont la France ont eu besoin de davantage de flexibilité à cause de la crise financière d’abord, de la Covid ensuite et maintenant des conséquences économiques de la guerre en Ukraine. De plus, le pacte de stabilité pourrait aussi s’ouvrir à de nouveaux critères comme la prise en compte des investissements publics. Finalement, le pacte apparait négociable à partir du moment où il y a réellement un conditionnement c’est-à-dire des réformes structurelles. Quelque part c’est un peu comme aux Etats-Unis : on peut toujours éviter un « Shutdown de l’Europe » si l’on respecte des engagements qui conviennent à Bruxelles, l’équivalent de la majorité à la chambre des représentants américaine.

Les Etats-Unis se sont retrouvés dans une impasse budgétaire. Un accord entre Démocrates et Républicains a été trouvé. Il n’empêche que le prix du papier obligataire américain flambe.  Y-a-t-il un vrai risque de déflagration monétaire mondiale ?

L’endettement américain est de 121% du PIB, le déficit à 6,8% en 2024 contre 6% probablement cette année. Il s’agit du traditionnel jeu politique évidemment et une solution vient d’être trouvée. Tout le monde l’a bien compris. Le plafond de la dette a été déjà relevé 78 fois depuis 1960 et un accord vient d’être trouvé entre Joe Biden et Kevin Mc Carthy, il doit être encore validé par le Congrès. Le jeu est simple à comprendre, les Républicains continuent à faire pression pour que les démocrates acceptent une baisse des dépenses. Mais les dépenses c’est le remboursement de la dette, la sécurité sociale, l’assurance maladie, l’armée, les salaires des fonctionnaires etc…la question est donc celle des priorités comme en Europe, couper sur quoi ? Cette pression avait déjà marché en 2011 lorsque les démocrates ont accepté de réduire les dépenses 72H avant que le gouvernement ne fasse « théoriquement défaut », il s’agirait en réalité d’un réajustement brutal de certains engagements d’après certains spécialistes.

Maintenant, ce n’est pas incompatible en parallèle avec une inquiétude des marchés et surtout des conséquences économiques lourdes avec cette hausse du dollar qui plane au-dessus de la tête de cette histoire.

La hausse du dollar pourrait bien empirer les choses. Alors certes cela pourrait attirer des capitaux vers les Etats-Unis mais la réalité est que la hausse du dollar pour un pays endetté en devise étrangère va faire aussi exploser la dette américaine tout en renchérissant les exportations détériorant ainsi la compétitivité et les recettes publiques. La baisse du prix des importations peut alors dans un contexte de déficit commercial important créer une déflation sur l’économie nationale en baissant les recettes. Un risque systémique est bien possible avec un dégonflement de la bulle monétaire autour du dollar. Dès lors, un mouvement inverse de dépréciation monétaire n’est pas impossible quoi qu’il advienne de l’impasse budgétaire politique. Si l’on voulait être encore plus pessimiste, on soulignerait les faillites bancaires aux Etats-Unis qui peuvent aussi créer beaucoup d’inquiétude sur les marchés avec des effets domino sur l’Europe.

Devant toutes ces situations budgétaires dégradées, les marchés sont-ils inquiets et nerveux ?

Les marchés financiers peuvent réagir à ces différentes situations budgétaires avec plus d’incertitude et de la volatilité, surtout les inquiétudes sur le remboursement des dettes commencent presque à devenir structurelles d’une certaine manière et il faudrait faire attention à ce que cela ne dégénère pas. En effet.