Alors que les prix de l’or atteignent des sommets historiques à l’échelle mondiale, un vieux refrain refait surface au Liban : vendre une partie des réserves d’or pour relancer une économie en chute libre. Mais derrière cette proposition alléchante se cache une vérité brutale : dans un système rongé par la corruption et le chaos, céder l’« épargne blanche » du Liban pourrait aggraver la situation plutôt que la sauver.

Une tentation née du désespoir

À l’image d’un joueur ruiné misant sa dernière carte dans l’espoir d’un miracle, certains appellent à monétiser l’or pour accélérer la reprise. À chaque flambée du métal jaune, surgissent de nouvelles idées : compenser les déposants, rembourser la dette, financer les réformes... Or, beaucoup oublient une donnée essentielle : l’économie libanaise fonctionne aujourd’hui comme un casino où l’on perd toujours à la fin.

Pendant des décennies, l’or du Liban — quelque 9,2 millions d’onces — est resté enfoui dans les coffres de la Banque centrale. Mais avec l’effondrement financier de 2019, il est soudainement revenu au centre des débats comme une solution potentielle. Si les autorités avaient vendu cet or en janvier 2020, au début de la crise, elles auraient encaissé à peine 14 milliards de dollars. Aujourd’hui, avec une once passée de 1 515 à plus de 3 390 dollars, ces réserves valent plus de 31 milliards.

Des milliards engloutis pour rien

Certains affirment que l’injection de milliards dès le début de la crise aurait pu provoquer un électrochoc et redonner vie à l’économie – évitant ainsi le défaut de paiement, l’effondrement de la livre libanaise et l’envolée de l’inflation. Une théorie séduisante mais illusoire : le déclin économique du Liban n’était pas un incident isolé, mais un cancer généralisé.

Entre 2020 et aujourd’hui, plus de 50 milliards de dollars ont été injectés dans l’économie sans résultats tangibles :

- 12 milliards pour les subventions ;

- 5 milliards de gains issus de la plateforme de change ;

- 30 milliards pour rembourser la dette à taux préférentiels ;

Plus de 2 milliards en prêts et aides internationales.

Résultat ? Aucune reprise durable. Pire encore, ces fonds ont souvent été dilapidés ou utilisés de manière contre-productive, au détriment des déposants.

Or et corruption : un cocktail explosif

« Dans le contexte actuel, utiliser les réserves d’or n’est pas seulement déconseillé, c’est extrêmement dangereux », affirme l’économiste Elie Yachoui. En temps normal, vendre ou mettre en gage de l’or peut s’envisager. Mais dans un pays où les fonds publics s’évaporent, liquider cet actif reviendrait à le jeter dans un gouffre sans fond.

Yachoui souligne que même les solutions alternatives comme la location ou l’investissement avec conservation de l’actif sont peu efficaces. L’or a de la valeur tant qu’il est détenu. C’est pourquoi les banques centrales achètent de l’or au lieu de le céder. En 2023, elles ont acquis 1 045 tonnes, soit près de 96 milliards de dollars, pour réduire leur dépendance au dollar depuis la guerre en Ukraine.

Un actif précieux qu’il faut préserver

En se séparant de son or aujourd’hui, le Liban perdrait sur deux fronts :

- Il mettrait en péril sa dernière réserve stratégique dans un contexte de corruption endémique et d’absence de vision économique.

- Il passerait à côté de la hausse continue des prix de l’or. Durant la rédaction de cet article, le prix de l’once a grimpé de 10 dollars.

Plutôt que d’épuiser ses dernières ressources, Yachoui appelle à des réformes de fond : révision du Code de la monnaie et du crédit, restructuration de la Banque centrale, réforme du budget de l’État, puis du secteur bancaire. « Sans justice et responsabilité, il n’y aura ni redressement ni retour de la confiance », affirme-t-il.

Légalement, l’or du Liban est protégé par la loi 42 de 1986 qui en interdit strictement l’usage. Et même si cette loi venait à être amendée, y toucher serait une erreur — non pas parce qu’il est inutile — mais parce que dans le Liban d’aujourd’hui, s’il est bradé, il sera impossible de le récupérer.