Le 9 janvier 2025, le nouveau président élu, Joseph Aoun, a tracé une feuille de route claire pour son mandat. Dans son discours d’investiture, il a brandi le principe du droit exclusif et constitutionnel de l’État à porter les armes et à exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire libanais. En tant que commandant en chef des forces armées et président du Conseil supérieur de la défense, il a appelé à « une politique de défense globale intégrée à une stratégie nationale de sécurité — diplomatique, économique et militaire — qui permette à l’État libanais, oui à l’État libanais, de mettre fin à l’occupation israélienne et de repousser ses agressions sur toutes les terres libanaises. »
À l’époque, toutes les parties, y compris le Hezbollah, avaient salué ce discours avec enthousiasme. Mais alors que la présidence approche des cent premiers jours, le ton a changé. Ce qui fut autrefois acclamé par des « Hosanna » risque désormais de se transformer en appels à la « crucifixion », surtout avec l’escalade du Hezbollah et ses menaces de « trancher la main » de qui tenterait de désarmer ses milices.
Le 18 avril 2025, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Qassem, a lancé un avertissement : la patience du mouvement à l’égard de la diplomatie a ses limites. « Nous n’avons peur de rien, » a-t-il déclaré. « Essayez, et vous verrez — au moment que nous choisirons. Personne ne sera autorisé à désarmer le Hezbollah ou la résistance. Cette idée doit être rayée de votre vocabulaire. » Et de conclure : « Nous conseillons à quiconque de ne pas jouer à ce jeu avec nous. »
Le Hezbollah est passé maître dans l’art de détourner les récits à son avantage, même au prix de contradictions. Dans ses dernières déclarations, Qassem a attribué aux combattants de première ligne du Hezbollah le mérite d’avoir stoppé l’avancée israélienne et contraint Tel-Aviv à négocier le 26 novembre 2024. Pourtant, lors des funérailles des hauts responsables du parti, les Sayyeds Nasrallah et Safieddine, le 23 février 2025, il avait expliqué le cessez-le-feu par l’absence d’issue militaire ou politique.
Puis est venu, le 20 avril 2025 à Aïtaroun, le discours du député Hassan Fadlallah, qui a esquissé ce qui semble être la propre feuille de route du Hezbollah vers une stratégie de défense. Mais elle est truffée de mines et de conditions. Il y a énoncé quatre priorités à traiter avant toute discussion :
- La fin des agressions israéliennes contre le Liban.
- Le retrait complet d’Israël de toutes les terres libanaises.
- La libération de tous les prisonniers.
- Le lancement d’un processus de reconstruction.
Ces revendications reflètent une lutte interne, attisée par des pressions extérieures et les négociations en cours entre les États-Unis et l’Iran. Mais ces demandes — fin des agressions et retrait israélien — ne constituent-elles pas précisément le socle d’une stratégie nationale de sécurité, comme l’a proposé le président Aoun ? Quant aux prisonniers, le Hezbollah semble oublier que l’accord de cessez-le-feu qu’il a validé ne les mentionnait même pas. À l’inverse, le président Aoun les a placés au centre de ses préoccupations dès le départ, et ses efforts diplomatiques ont déjà permis la libération de certains d’entre eux.
Conditionner la discussion stratégique à la reconstruction apparaît comme une tactique dilatoire. La reconstruction exige du temps et des fonds que le Liban n’a pas. Le Hezbollah le sait : l’accès à l’aide internationale dépend d’une seule chose — le règlement de la question des armes illégales, au premier rang desquelles celles du Hezbollah.
Lors d’une apparition à Bkerké pour le dimanche des Rameaux, siège patriarcal maronite, le président Aoun a réaffirmé son engagement envers son serment. En réponse aux menaces de Qassem, il a insisté : la question des armes du Hezbollah ne se traite ni dans les médias ni sur les réseaux sociaux, mais par un dialogue responsable, centré sur l’intérêt national, à l’écart de toute provocation.
Sa position, ferme et réfléchie, est sans ambiguïté : « Je n’ai pas parlé de l’exclusivité des armes de l’État pour faire joli, mais parce que je suis convaincu que les Libanais ne veulent pas la guerre, ne peuvent plus la supporter, ni même en parler. Pour que cela devienne réalité, les forces armées libanaises doivent être les seules à porter les armes légitimes et à défendre la souveraineté du pays. »
À ceux qui invoquent le besoin de temps, Aoun répond sans détour : « Qu’on ne vienne pas me parler de calendrier ou de pressions. Nous avons parlé du désarmement dans le discours d’investiture, et nous le mettrons en œuvre. La décision est prise, il ne reste qu’à attendre les conditions propices. » Une réponse qui anéantit les « quatre conditions » posées par le Hezbollah.
Entretemps, le Hezbollah et ses alliés tentent de détourner cette position en surfant sur les discussions récentes des ministres des Forces libanaises, qui ont proposé un délai de six mois pour traiter la question des armes — une démarche qui fait écho à l’accord de Taëf de 1991, lequel avait désarmé toutes les milices... sauf le Hezbollah. À l’époque, le désarmement avait commencé à Beyrouth-centre, avant de s’étendre progressivement au reste du pays. Ce rappel historique montre que la proposition des Forces n’est ni nouvelle ni infondée, mais bel et bien un engagement jamais tenu.
« Peuple bien-aimé, nous avons atteint l’heure de vérité », déclarait Aoun lors de son investiture. Cette heure a sonné. Le Hezbollah ne peut parier sur une patience présidentielle sans limite. Le chef de l’État n’attendra pas six ans pour remplir son serment, uniquement pour satisfaire une milice attachée à ses armes. Le contexte régional et international a, lui aussi, lancé le compte à rebours pour les bras armés de l’Iran dans la région. « Ne jouez pas à ce jeu avec nous », a lancé Qassem. Mais la vérité, c’est que ce « jeu » des armes illégales touche à sa fin. Les « conditions propices » que le président Aoun attend… arrivent, inévitablement.