Pourquoi, au Liban, insistons-nous à nous flageller nous-mêmes et à prendre nos illusions pour des vérités incontestables ?

Nous savons tous que nous vivons une crise profonde. Nous réclamons des comptes, tout en sachant que la reddition des comptes n’est plus qu’une promesse illusoire. Et puis, qui tiendra réellement qui pour responsable ?

Aujourd’hui, nos dirigeants s’efforcent de contenir le chaos qui s’est enraciné dans les institutions de l’État. Ce désordre est devenu une culture à part entière, si ancrée qu’il semble désormais étrange de ne pas y adhérer. L’un des exemples les plus criants en est l’absence quasi totale de contrôle aux frontières terrestres et la corruption endémique dans les ports maritimes et aéroports. Cette anarchie a creusé de profondes inégalités : certains Libanais en tirent d’importants profits, d’autres récoltent des miettes, et beaucoup sont totalement exclus des « butins blanchis » de l’argent sale.

Parmi les manifestations les plus tenaces de cette culture de la corruption, figure la prolifération incontrôlée des armes à travers le pays. Des armes de poing — présentes, dit-on, dans presque chaque foyer et quartier — aux armes moyennes et lourdes, notamment celles encore stockées dans les camps de réfugiés palestiniens, malgré leur inutilité stratégique. Sans oublier ceux qui continuent de brandir des armes dites « stratégiques » au nom d’une résistance fanée, alors même qu’ils ont quitté les lignes de front avec Israël et regardent passivement les villages du Sud être rasés, bien plus qu’ils ne l’étaient pendant les anciennes guerres dites de soutien.

Le consensus est désormais clair : les armes doivent être exclusivement entre les mains de l’État libanais, sur l’ensemble du territoire. Même si, à titre hypothétique, certains citoyens conservent des armes légères sous un encadrement rigoureux, rien ne justifie la militarisation continue des camps de réfugiés — qu’ils soient palestiniens ou syriens — surtout lorsque ces armes sont souvent utilisées dans des actes criminels ou pour perturber l’ordre public.

L’ancienne justification — « nous avons besoin d’armes car l’État nous a abandonnés » — ne tient plus. Si l’État a failli à sa mission de protection pour certains, il l’a fait pour beaucoup d’autres, dans toutes les régions. Son absence n’a pas été sélective. En réalité, le Sud a bénéficié d’une attention particulière de la part de l’État et de ses organes de développement, même si cela a parfois profité à quelques privilégiés. Pourtant, lors de la dernière guerre de soutien, une grande partie de ces efforts de développement a été anéantie.

N’est-il pas ironique que cette logique de l’autodéfense n’ait produit que des pertes ? Nous avons reculé : des frontières sud reconnues internationalement sous les mandats français et britannique — et confirmées par l’Accord d’armistice de 1949 — nous sommes passés à la « ligne bleue » des Nations Unies, située à l’intérieur de notre territoire, après la « libération » de 2000. De même, nous sommes passés de la ligne 29 pour nos frontières maritimes — reconnue depuis l’époque du mandat et reprise dans l’accord du 17 mai 1983 (plus tard annulé) — à la ligne 23, tracée par le président du Parlement et signée par un président de la République revendiquant son droit constitutionnel de ratifier les traités… au prix de l’abandon de quelques 1 400 kilomètres carrés de notre zone maritime.

Il est temps de rendre à l’État ce qui lui appartient. Il est temps de nous rassembler sous sa bannière. L’expérience l’a prouvé : seul l’État est en mesure de protéger. Et chaque initiative individuelle ou hors-la-loi a coûté au Liban une nouvelle part de ses droits.