Le projet de budget 2025 a récemment été approuvé par le gouvernement du Premier ministre Nawaf Salam par décret, en vertu des pouvoirs constitutionnels conférés à un cabinet intérimaire. Si cette décision peut être perçue comme un pas vers plus de rigueur budgétaire — en dotant le pays d’un cadre formel essentiel pour restaurer la confiance dans l’économie — elle reste largement symbolique. Les chiffres présentés ne reflètent pas la réalité économique, et nombre de leurs prévisions sont vouées à ne pas se concrétiser. Surtout, le budget 2025 ne contient aucun plan de réformes, révélant une déconnexion manifeste face aux défis structurels et économiques du pays.
Le ministre des Finances, Yassine Jaber, a justifié l’adoption du budget 2025 par décret en affirmant qu’il n’y avait pas de temps à perdre, et qu’il fallait désormais se concentrer sur le projet de budget 2026. Mais quel type de budget le Liban peut-il raisonnablement élaborer sans un accord formel avec le Fonds monétaire international (FMI) ?
Si le Liban s’engageait dans cette voie, le gouvernement se heurterait à une série de défis et de restrictions :
1. Accès limité aux financements internationaux
Un budget non validé par le FMI compromettrait sérieusement la capacité du Liban à obtenir des prêts ou des aides des institutions financières internationales et des pays donateurs. La majorité d’entre eux ont déjà conditionné leur soutien à la signature d’un accord avec le FMI. Ainsi, le déficit très probable d’un tel budget serait difficile à combler. Un seul facteur pourrait éventuellement changer la donne : la géopolitique. Certaines grandes puissances pourraient chercher à éviter un effondrement du Liban, surtout dans le contexte actuel de redéfinition des équilibres au Moyen-Orient.
2. L’impossibilité d’un budget équilibré
Élaborer un budget équilibré tenant compte de toutes les obligations du pays — dette publique, créances dues à l’Irak pour l’électricité, etc. — relèverait du défi. L’activité économique étant en berne, le chômage élevé, et l’évasion fiscale massive, le gouvernement chercherait probablement à élargir drastiquement l’assiette fiscale pour générer des recettes. Mais contrôler les dépenses publiques s’annonce tout aussi difficile, ce qui entraînerait une dégradation supplémentaire des services publics de base. Et avec des élections municipales et législatives en approche, les pressions politiques contre toute forme d’austérité risquent d’entraver toute initiative.
3. L’impasse de la gestion de la dette
La dette publique libanaise représente actuellement cinq fois le PIB du pays. La rembourser sans décote semble irréaliste. Cela affecte directement les créances de la Banque centrale et des banques commerciales sur l’État — des fonds issus en grande partie des dépôts des citoyens. Comment, dans ce contexte, proposer un budget crédible sans restructurer la dette publique, tout en évitant de toucher à l’épargne des déposants en période électorale ?
4. L’érosion de la confiance des investisseurs
L’absence d’accord avec le FMI aggraverait encore la perte de confiance des investisseurs. Cela découragerait tant les investisseurs étrangers que locaux, sapant les investissements indispensables à toute relance économique. Une économie en contraction réduirait davantage les recettes publiques, alimentant un cercle vicieux de déclin.
5. Instabilité monétaire
Jusqu’à présent, le gouvernement et la Banque centrale ont réussi à stabiliser le taux de change de la livre libanaise face au dollar grâce à une dollarisation de fait et en retirant la monnaie locale du marché, en exigeant notamment le paiement des taxes, redevances et factures en espèces et en livres. Mais maintenir ce système est quasi impossible si les flux de dollars diminuent — ce qui est probable vu le rythme actuel des importations. Conséquences : inflation galopante, pauvreté accrue et instabilité sociale grandissante.
Comme si ces difficultés ne suffisaient pas, une autre menace plane : le cessez-le-feu fragile avec Israël. Ses violations répétées pourraient le faire voler en éclats si le gouvernement ne prend pas les devants par voie diplomatique, compromettant davantage toute perspective de stabilité économique.
La crédibilité de tout futur budget libanais repose sur son adossement à un plan de réformes global. Celui-ci doit inclure la restructuration du secteur public — tant des institutions que de la fonction publique —, une réforme de la dette publique et du secteur bancaire, une régulation des flux de liquidités, la lutte contre l’évasion fiscale, et la restauration de l’indépendance de la justice pour combattre la corruption. Mais cela suppose, au préalable, de garantir un cessez-le-feu durable avec Israël et de rétablir les relations historiques avec les pays du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite.
Un test crucial de crédibilité réside également dans la volonté du gouvernement de soumettre les comptes publics des années 2004 à 2024 à la Cour des comptes. Cela permettrait d’enquêter sur l’utilisation des fonds publics et de la dette en l’absence de contrôle. Le président de la commission des finances et du budget affirme d’ailleurs que plus de 27 milliards de dollars manquent à l’appel dans les finances de l’État. Le rapport Alvarez & Marsal a lui aussi révélé plus de 48 milliards de dollars engloutis dans un secteur de l’électricité dysfonctionnel, et 6 milliards de dollars gaspillés dans le secteur des télécommunications — un dossier toujours à l’étude par la justice, sans évolution notable. Par ailleurs, le ministère des Travaux publics a bénéficié de budgets colossaux durant cette période, sans qu’on sache précisément comment ces fonds ont été dépensés.
En résumé, la capacité du Liban à élaborer un budget réaliste pour 2026 sans accord avec le FMI est hautement incertaine. Sans ce cadre, qui obligerait le gouvernement à mener des réformes fondamentales, les options seront extrêmement limitées, les services publics continueront de se dégrader, et le risque d’un soulèvement populaire s’amplifiera.